• #Livre et #conférence | #Elise_Pestre, « La vie psychique des réfugiés »

    Le réfugié est la principale figure historique du XXIe siècle. On estime aujourd’hui que plus de quinze millions de personnes sont des #exilés en quête de #refuge et les spécialistes annoncent que ce nombre devrait beaucoup augmenter dans les années à venir. Désormais, on ne parle plus seulement de réfugiés économiques ou politiques, mais aussi de réfugiés climatiques ou thérapeutiques.

    Or les Etats présupposent que la majorité des demandeurs d’asile mentent pour obtenir la qualité de réfugiés. Ils exigent donc des #preuves, et ces preuves ne peuvent passer que par le #témoignage. Mais comment témoigner quand on ne parle pas la même langue ? Qu’implique le fait de se remémorer dans l’urgence une série d’événements traumatiques ? Quel rôle le corps peut-il être amené à jouer ? A quels problèmes particuliers les professionnels, y compris les psychothérapeuthes, se trouvent-ils confrontés ?

    Sur la nécessité d’un refuge territorial et psychique ; sur le sens du témoignage chez des personnes qui évitent précisément de se dire ; sur des pathologies qui seraient spécifiques aux réfugiés ; et donc sur l’émergence d’une nouvelle « clinique de l’asile » – ce livre, situé au croisement de la psychanalyse, de l’anthropologie et de la philosophie politique, apporte des réponses cruciales.


    http://www.histoire-immigration.fr/agenda/2014-08/la-vie-psychique-des-refugies-pour-une-clinique-de-l-asile
    #réfugiés #audition #asile #attente #soupçon #psychologue #psychologie #psychothérapeute

    Notes que j’ai prises à partir de cette conférence donnée par Pestre à Paris :
    http://www.histoire-immigration.fr/2014/8/la-vie-psychique-des-refugies

    Pestre souligne que dans les procédures d’asile, le requérant doit faire face à une dépendance absolue à l’autre, ici à l’Etat à qui il fait une demande d’asile.

    La question de la précarité psychique :
    Etymologie du mot « précarité » → « ce qui s’obtient par la prière » et aussi « ce qui est susceptible d’être remis en cause et qui doit sans cesse être redemandé ».
    Celui qui tombe dans la précarité est celui qui est toujours dans la position de demander.

    Avec l’introduction de critères très strictes pour obtenir l’asile, la question de la sélection va se poser. Ce tri est appliqué par des professionnels… qui n’en sortent pas toujours indemnes, surtout dans un contexte où les catégories des réfugiés deviennent flous.

    Le requérant d’asile doit prouver que ses craintes de persécution sont vraies. Avec toute la difficulté et la crainte que représente cette objectivation par d’autres d’un tel affecte… alors que par essence l’affecte est subjectif.

    Beaucoup vont être identifiés par les autorités comme faisant de fausses déclarations. Et rejetés car considérés comme faux réfugiés. Ce soupçon et la non-reconnaissance des persécutions par l’Etat de droit a le pouvoir d’engendrer des effets destructurant sur le psychisme de celui qui est exilé et qui est en quête d’un abri.

    Les troubles sont dus :
    – au vécu traumatique passé ;
    – à la situation d’attente et soupçon rencontrée une fois arrivé dans le pays de destination.

    Eléments qui conditionnent la vie psychique des réfugiés → 2 aspects qui vont agir sur son psychisme et se mêler aux troubles qu’il présente déjà :
    – l’attente : suspension géographique et territoriale. Les requérants d’asile identifient cette étape comme génératrice d’angoisses. L’attente dans cet entre-deux peut même devenir traumatique lorsqu’elle s’infinitise. C’est vécu comme un désaveu du passé
    – le rejet à sa demande d’asile. Avec le statut juridique de débouté, la position du requérant d’asile se radicalise, dans le sens où l’expérience s’amenuise ou s’effondre. Il va être expulsé de cet entre-deux inconfortable, mais dans lequel il y avait encore de l’espoir. Désormais, il va être déshabillé de ses droits dans une sorte de no man’s land juridique et une nudité juridique va s’installer.

    Le requérant d’asile qui été tenu par sa position de demander, qui était une position active, entre dans un état où il est passivé.

    L’annonce de ce rejet peut provoquer une forme de déterritorialisation psychique, en utilisant les termes de Deleuze et Gattari, qui va les conduire dans une forme d’errance et qui va entraver la capacité à se créer un lieu, à se reterritorialiser : créer une nouvelle demeure quelque part.

    Le débouté se sent rejeté, abandonné, au sens d’un nouveau bannissement, comme celui qu’il a déjà vécu en quittant son pays. Et qui va renvoyer, comme le rappelle Agamben, à la structure du « ban » : « Celui qui est mis au ban, dit Agamben, n’est pas simplement placé en dehors de la loi ni indifférent à elle, il est abandonné par elle, exposé et risqué en ce seuil où la vie et le droit, l’extérieur et l’intérieur, se confondent ».

    Lorsque la confiance de laquelle il a besoin n’est pas accordée par la communauté d’accueil, il n’y a pas d’hospitalité délivrée, le réfugié peut se sentir profondément abandonné.

    Concept de « homo sacer » de Agamben → le réfugié serait le « homo sacer » des temps modernes, car il demeure un « homme tuable ».

    Retour sur les auditions…

    D’où son attention accrue et permanente face aux dangers, car si il relâche son attention, alors qu’il est débouté, il sera expulsé du pays.
    → on assiste donc à l’amplification de symptômes avec le vécu d’exclusion (de l’exclusion de la communauté de droit), mais aussi à la naissance de symptômes auparavant inexistants et qui émergent avec la production de son témoignage. Là, la « crainte de ne pas être cru » va infiltrer son récit et provoquer des effets contre-productifs sur son interlocuteur → il y a un télescopage/collision entre la scène juridique et la scène psychique.

    Or, répondre à cette injonction de l’Etat à témoigner est une action complexe car le psychisme pour se défendre d’un possible retour du trauma et de la violence vécue, va plutôt avoir tendance, à son insu, à exclure de la mémoire certains souvenirs, voire transformer certains contenus inénarrables en contenus narrables et entendables.

    Le gel des affectes lors de la production narrative lors des auditions :
    Ce gel permet au requérant d’asile de congeler, à son insu, ses affectes dépressifs, ce qui va engendrer une certaine froideur affective. Cela va générer sur son interlocuteur un ressenti d’étrangeté, de distance qui va pouvoir l’amener à penser que le demandeur n’est pas affecté et que donc c’est pas vrai.

    Hypothèse : le rejet par les instances décisionnelles va entrer dans une dépendance très forte avec les affectes de la symptomatologie traumatique des requérants d’asile. Evidemment, ce n’est pas que la symptomatologie qui produit du rejet, mais l’hypothèse c’est que ça va participer, infiltrer l’interlocuteur lorsqu’il va prendre des décisions. Et que la subjectivité du requérant d’asile va être indexée à celle du décisionnel.

    Pourquoi un tel aurait un statut et l’autre pas ? Cela va renvoyer à la construction narrative de son récit, à l’élaboration de son traumatisme. S’il est très traumatisé et qu’il va mal, il ne va pas pouvoir être dans un récit construit structuré, temporalisé, exhaustif. D’où cette hypothèse de glissement entre les scènes du psychique et du juridique.

    Le témoignage :
    Les scènes traumatiques sont convoquées lors du témoignage, et avec elles le risque de réactualisation de la souffrance qu’elles ont provoquée. Pour éviter cette réactualisation, des sortes de récit mi-vrais mi-fictifs viennent opérer une fonction de protection contre la terreur que le réfugié a rencontrée.

    Dans la forme de témoignages requise par les administrateurs, on voit combien la vie psychique du réfugié est affectée par la logique de l’Etat, par ses exigences, ces propres représentations du « bon réfugié ». L’Etat participe ainsi à son insu de la création de ces témoignages malades, de ces récits-refuge, liés à cette injonction à témoigner.

    Le point de vue des professionnels :

    C’est le deuxième versant de la « clinique de l’asile ». Sur une quinzaine d’entretiens, la majorité était atteinte en profondeur, parfois même blessée par ce qu’ils vivaient au quotidien dans leur pratique avec les réfugiés (ceci est valable pour médecins et soignants mais aussi pour les agents de l’OFPRA).

    Deux caractéristiques concernant les soignants :
    – une demande débordante de la part du réfugié. Une demande d’amour nous dit Lakan, qui se relie à la question de la survie. Si la demande est si intense à l’égard des soignants, c’est parce que cet espace incarne l’unique lieu où le requérant se sentira écouté et cru. Et en cela ça représente un espace de survie majeur ;
    – la manière dont l’espace psychothérapeutique va être fréquemment atteint, voire contaminé par la situation juridique rencontrée par le réfugié. Le psy va se sentir parfois attrapé par le social, la précarité que son patient rencontre, mais aussi par la situation juridique envahissante du patient. Au risque de se sentir instrumentalisé non seulement par l’Etat et ses injonctions faites au soignant pour délivrer des attestations et des certificats qui prouvent l’état traumatique de son patient, mais parfois il se sent instrumentalisé par son patient aussi, qui veut cette attestation coûte que coûte parce qu’il est convaincu, et avec raison, que si il peut attester qu’il est traumatisé, ça lui facilitera la donne pour obtenir son statut. Donc ces demandes de l’Etat et du patient le placent dans une situation très particulière, inconfortable, qui peut entrer en conflit avec son travail d’écoute et d’accompagnement, parce qu’il est mis en position d’expert. Et s’il ne parvient pas à s’extraire de cette position d’expert et qu’il se met à évaluer la véracité des dires de son patient, il y a des risques de se transformer en « expert de la vérité », alors que le psychologique se doit de travailler avec la vérité psychique de son patient et non sur la quête d’une vérité juridique.

    Celui qui accueille des réfugiés, quelle que soit sa profession, s’identifie souvent de manière massive et à son insu au vécu douloureux de son patient. Avec cette clinique extrême, il va y avoir des phénomènes identificatoires et projectifs à l’égard du patient-réfugié, qui se dessineront comme caractéristiques essentielles et paradigmatiques de cette clinique. Cela va se manifester par des phénomènes de contagion entre la symptomatologie des patients, et celle du psychologue. Pour parer aux effets de la destructivité et soutenir l’exercice de sa praxis, le clinicien qui vit certaines de ces séquences cliniques avec angoisse, tente de s’en extraire par des stratégies de défense, voire de survie thérapeutique, et il va lui aussi déployer des mécanismes de défense qui vont être plus ou moins opérants. Notamment la question du doute aussi : eux-mêmes se mettent parfois à douter de ce que dit le patient.

    → D’où la nécessité de mettre en place des espaces pour les professionnels où la parole puisse circuler. D’où l’importance de lieux de parole, de supervision où circule la pensée, la réflexion, l’élaboration psychique. Ceci pour prendre soin de ceux qui prennent soin des populations réfugiées.