• Extrait d’un mini-rapport que j’avais écrit en 99, à la demande d’un haut-fonctionnaire, suite à la proposition de loi Laffitte (http://www.senat.fr/leg/ppl99-117.html) et encore presque toujours d’actualité après le vote hier nuit de l’amendement retirant l’obligation de l’utilisation des logiciels libres à l’école.

    L’idée d’imposer le logiciel libre dans l’administration peut s’entendre
    dans des sens différents. Tel qu’il est rédigé, le projet de loi Laffite va
    trop loin. On n’impose pas à un utilisateur qui ne le souhaite pas l’usage
    d’un logiciel, quel qu’il soit, par la loi.

    L’excellence technique des logiciels libres est largement démontrée. Dans
    bien des domaines ils sont supérieurs à leur équivalent commercial. On
    pourrait comprendre qu’une loi impose le choix du libre lorsque le projet
    met en concurrence un logiciel libre et un logiciel commercial, à condition
    que le cahier des charges ne soit pas biaisé, ce qui est hélas facile dans
    le milieu informatique.

    On pourrait le comprendre, parce qu’il semble naturel qu’une administration
    fasse toujours le choix de l’indépendance, et que c’est cette indépendance
    qu’offre en premier lieu le logiciel libre : indépendance face à un
    commerçant qui peut imposer le rythme des mises-à-jours de son logiciel,
    imposer par ces mises-à-jour y compris l’achat de matériel informatique.

    L’autre avantage du libre dans l’administration est la pérennité. Par
    définition, un logiciel libre s’appuie sur des standards acceptés par tous,
    et n’impose pas de changement de format de fichiers, par exemple, d’une
    version à l’autre et qui rend difficile sinon impossible de relire quelques
    années plus tard des documents générés par une version obsolète.

    Une autre idée est défendue depuis des années par les partisans du libre en
    France, et est largement appliquée dans certains pays dont les USA : tout
    logiciel dont le développement est payé par de l’argent public et qui est
    d’usage général (c-a-d qu’il peut intéresser d’autres utilisateurs que le
    seul commanditaire) doit être d’office de license libre : diffusé librement
    avec ses sources.

    Autrement dit : le fournisseur d’un logiciel spécifiquement commandé par l’État
    doit vendre les sources du logiciel et non pas la seule license
    d’utilisation. Sans oter au fournisseur ses droits moraux, les droits légaux
    sont transférés à l’État qui en dispose et diffuse le logiciel avec ses
    sources, librement, sauf clause particulière (sécurité nationale...).

    3/ Les questions particulières :

    > A première vue, je vois une impossibilité majeure qui contrevient au
    > code des marchés publics et à l’obligation pour l’administration de
    > respecter le jeu du marché.

    Il est certain qu’une loi de ce type doit s’inscrire en exception au code
    des marchés publics, que ce soit le projet en l’état ou le projet moins
    contraignant que defendent les associations du logiciel libre. Le projet
    Laffite est plus contraignant au sens où il impose la solution libre quel
    que soit la concurrence.

    La solution que préconisent les associations de défense du Libre est moins
    restrictive : à égalité d’offre dans le cas d’un produit existant le code des
    marchés devrait d’ores et déjà imposer le choix du libre, parce que le libre
    est par définition moins cher que l’équivalent commerçant. En pratique on
    sait parfaitement que les décisions sont basées sur des prétextes et sont
    toujours orientées vers les solutions propriétaires au détriment du Libre :
    aucun commerçant ne proposera jamais de solution libre, donc les logiciels
    libres sont exclus des marchés publics, bien que souvent meilleurs que leurs
    équivalents propriétaires.

    Pour donner aux logiciels libres une chance équivalente aux logiciels
    comerciaux, il est évident qu’il faudra une loi contraignante. Mais sans
    doute pas celle du sénateur Laffite.

    > m’expliquer ce que çà peut bien vouloir dire concrètement, à quoi çà
    > sert, quelles difficultés çà supprime pour le public et quelles
    > difficultés çà crée pour les fonctionnaires utilisateurs ? (A

    C’est évident : un secrétaire habitué à Word ne va pas accepter d’utiliser un
    équivalent libre facilement, pour autant qu’un équivalent libre existe (et
    même si c’est presque le cas, ce n’est pas encore une réalité). La formation
    peut dans ce type de situation couter plus cher que la différence de prix à
    l’achat. C’est vrai dans toutes les situations de type bureautique.

    Par contre pour les solutions orientées serveur (messageries, bases de
    données, choix des systèmes d’exploitation des serveurs), le choix est
    restreint : Windows NT ou Unix. Et les Unix libres sont d’aussi bonne qualité
    que les unix commerciaux. Souvent meilleurs. Toutes les solutions
    propriétaires existant sous un unix commercial sont aujourd’hui disponible
    sous Linux (le principal unix libre), y compris les SGBD Oracle et leurs
    concurrents, en passant par Lotus Notes et autres outils utilisés dans la
    plupart des administrations. Dans ce type de situation, l’obligation de
    choisir au moins un système d’exploitation libre est compréhensible et ne
    coute rien (un informaticien formé à Unix utilisera indifférement Linux ou
    Solaris) en formation.

    En conclusion :

    – Oui à une loi donnant aux solutions libres la priorité quand une solution
    libre est équivalente ou supérieure à une solution propriétaire existante.

    – Oui à une loi imposant aux fournisseurs de logiciels dédiés développés à
    la demande de l’état ou par un représentant de l’état un statut de
    logiciel libre.

    – Non à une loi qui impose aveuglément des solutions libres lorsqu’il
    n’existe pas de solution libre équivalente à l’offre commerciale, ou
    lorsque le coût de formation est trop élevé.