• Rafle le jeudi 6 juin 2013.

    On n’a pas de problème avec les gens ici, on a un problème avec les flics.

    Jeudi dernier, une rafle géante de personnes sans papiers a eu lieu autour de Barbès. La Goutte d’or a été complètement bouclée et ratissée. Ambiance guerre d’Algérie. Voici le récit écrit d’une camarade (version non tronquée par Mediapart), suivi de deux témoignages téléphoniques d’hommes arrêtés puis enfermés au camp de rétention de Vincennes.

    Jeudi 6 juin 2013 après-midi, une rafle comme on n’en voyait plus depuis la guerre d’Algérie ou depuis les grandes vagues d’expulsions de squatts au début des années 80, a eu lieu à Barbès. Pendant presque 2 heures tout un quartier a été bouclé, les gens ne pouvant plus ni entrer ni sortir bloqués par des centaines de flics de toute sorte arrivés à bord de dizaines de véhicules quadrillant la zone jusqu ’à gare du nord, la chapelle, château rouge et Anvers. A l’intérieur du périmètre qui comprenait la rue de la goutte d’or, la rue des islettes et une autre rue parallèle à la rue des islettes, les flics se déploient. A l’extérieur du périmètre ils sont apparemment
    aussi extrêmement nombreux. Divers contrôles sont effectués : papiers et ventes à la sauvette, hygiène dans les établissements (d’après ce que disent certains commerçants mais ça je n’ai pas vu). Des gens commencent à s’entasser aux différents check points. Protestations molles entre résignation et agacement. Très vite, à l’intérieur du quartier bouclé, beaucoup moins de "vrais gens" que d’habitude et une multitude patrouilles de robocop qui interpellent au faciès. Comme souvent, délit d’extranéité et de classe sociale sont de mise, à savoir que les cibles principales du contrôle sont les Africains qui ressemblent à des mecs qui viennent d’arriver du bled. A chaque fois qu’ils en capturent les bleus appellent victorieusement leur central avec leur talkie pour annoncer combien ils en ont attrapé. Puis ils les ramènent vers des bus d’embarquements sur le boulevard barbès. Apparemment tout un staff technique et bureaucratique était installé dans les bus.

    Après, quelqu’un m’a raconté qu’à un moment, une vieille dame juive a attrapé un jeune sans papier qui était capturé et elle a dit que c’était son fils. Les flics voulaient quand même l’emmener car évidemment ils ne la croyaient pas mais elle criait et s’accrochait au jeune homme et ils ont finalement du le lâcher. Quand les flics bouclent un quartier ils sont plus ou moins obligés de
    relacher les barrages qui empêchent de sortir et entrer dans le quartier pour la sortie de l’école. Du coup ils ont ouvert les barrages à 16h25 Mais attention, info à faire circuler autour de vous, ouvrir les barrages et laisser les gens circuler dans le quartier ne signifie pas que les controles vont s’arrêter... Au contraire, et de fait plein de gens se sont fait attraper comme ça. Voyant que certains flics en uniforme partaient et que les camionettes de crs qui barraient les rues se poussaient, pas mal de personnes sans doute réfugiées dans des halls sont sorties de leurs cachettes... Mais c’était sans compter sur des groupes de civils qui par 4 ou 5 ou 6 sillonaient le quartier, pour certains avec des camouflages assez réussis (le rasta, le gars qui ressemble à un sans pap, la fille déguisée en jeune de quartier), et controlaient et arrêtaient les gens. Les personnes arrêtées étaient alors conduites menottées dans des bus stationnés à ce moment là sous le métro au carrefour barbès.

    Le dernier bus rempli est parti vers 16h30 je pense. En tout cas, même à 4 ou 5 ça vaut le coup de commencer à gueuler. Dans cette apathie déprimante où on a l’impression que les gens sont menés à l’abattoir dans la passivité la plus totale si ce n’est quelques ronchonnements individuels (mais on est prisonniers dans notre quartier) ou désabusés (Ah ici c’est comme ça ils cherchent les cigarettes, les sans papiers, pff) ça finit toujours par entrainer des personnes qui n’osaient pas se lancer pour protester et se transformer en petit rassemblement, ça permet de discuter de ce qu’il se passe. Ca met un rapport de solidarité minimal mais essentiel avec les gens arrêtés et les autres qui y ont échappé. A une époque où, de plus en plus, chacun/e pointe mutuellement l’ « Autre » comme responsable de ses petits tracas et des malheurs du monde (les Rroms, les vendeurs à l sauvette, les sans papiers, les jeunes...) ça permet de rappeler que la cible de l’Etat qu’il soit estampillé de droite ou socialiste c’est toujours les pauvres. Même seul/e, et bien pareil on peut toujours discuter (et donc de ne pas rester seul/e) et même parfois donner des petits coups de main à des gens pour essayer de leur éviter d’être controlés. Et puis ça permet toujours d’essayer d’analyser comment cela se passe et raconter.

    Plus tard, au rassemblement pour l’assassinat de Clément Méric nous avons appris qu’une partie des gens emmenés dans les bus avaient été conduits au commissariat de la rue de Clignancourt. Cela avait un vrai sens par rapport à l’assassinat de Clément Méric et à ses engagements de lier les 2 événements. C’est en tout cas ainsi que plusieurs d’entre nous l’ont ressenti. On ne peut pas laisser des Manuel Valls affirmer vouloir « éradiquer la violence d¹extrême droite » le matin et faire rafler 150 sans-papiers à Barbès l¹après-midi. On ne peut pas ignorer que les politiques de tous bords depuis des années instrumentalisent la montée de l’extrême droite pour leurs objectifs électoraux tout en faisant son terreau en favorisant le nationalisme et en désignant des bouc-émissaires (les « clandestins », les Rroms, les vendeurs à la sauvette...) à la misère sociale dont ils sont les gestionnaires. Cela a d’ailleurs été rappelé aux socialistes tels Anne Hidalgo qui sont venus au rassemblement mais qui ont du très vite le quitter sous les cris de « les fascistes assassinent à saint lazare ; le PS rafle à barbès »

    Un appel à se rendre au commissariat de la rue de Clignancourt pour 20h30 a donc circulé. La rue était bloquée à la circulation par plusieurs camionettes et un bus de la police qui sert à transporter les gens arrêtés dans les manifs. Les premières personnes arrivées ont
    constaté que dans ce bus posté juste devant le commissariat étaient parqués plusieurs sans-papiers. Quelques autres sortaient libres. Ils nous ont dit que dans le commissariat ils avaient été triés : certains comme eux pouvaient sortir et d’autres qui allaient être conduits au
    centre de rétention de Vincennes étaient montés dans le bus. Ils pensaient que les gens emmenés à Vincennes étaient ceux qui avaient déjà un « quitte » (oqtf). Cela faisait plusieurs heures que ces derniers étaient enfermés là sous une chaleur écrasante, sans pouvoir boire ; manger, aller aux toilettes. Sans attendre l’heure du rassemblement, des slogans ont commencé à fuser « Liberté », « solidarité avec les sans-papiers » auxquels les dizaines de personnes emprisonnées dans le bus ont répondu chaleureusement en criant eux aussi et en tapant sur les vitres. Très vite les flics ont violemment repoussé les quelques personnes présentes en bas de la rue à grand renfort de coups de tonfas, coups de pieds, insultes, Š Très vite, alors qu’en bas de la rue quelques autres personnes commençaient à arriver, le bus a commencé à partir, protégé par un grand renfort de flics dont certains étaient flashball à la main. Nous n’avons pu qu’unir nos slogans à ceux de ceux qui étaient enfermés à l’intérieur.

    Le lendemain nous avons su qu’une quarantaine de personnes étaient enfermés au centre de rétention de Vincennes. D’autres sont peut être dans d’autres centres de rétention. Les gens arrêtés devraient passer devant un JLD mardi ou mercredi si ils ne sont pas expulsés d’ici là.

    • dans le même temps :

      "PARIS, 10 juin 2013 (AFP) - Le gouvernement veut inscrire dans la loi le droit des journalistes d’accéder aux centres de rétention, où sont placés les sans-papiers avant leur expulsion, a annoncé lundi le ministère de l’Intérieur.

      « L’accès des journalistes aux centres de rétention sera dans le
      prochain projet de loi immigration », qui doit être présenté en
      Conseil des ministres à la rentrée, a indiqué à l’AFP l’entourage de Manuel Valls.

      Les modalités pratiques pour « permettre aux journalistes d’entrer sans empêcher les services de fonctionner » ne sont toutefois « pas encore arrêtées », a ajouté cette source.

      En France, la loi pénitentiaire de 2009 établit précisément sous
      quelles conditions un directeur de prison peut refuser à un journaliste d’entrer dans son établissement.

      Mais rien n’existe pour les centres de rétention administrative (CRA) ou les zones d’attente en aéroport. Dans ce vide juridique, l’administration refuse quasiment systématiquement les demandes de journalistes.

      Environ 25.000 personnes sont passées en 2011 par un CRA de métropole et autant en Outre-Mer, selon un rapport d’associations publié fin 2012.

      Depuis plus d’un an, les réseaux Migreurop et Alternatives européennes mènent une campagne baptisée « #Open_Access » pour faciliter l’accès aux structures de détention des étrangers sur l’ensemble du continent européen. Dans ce cadre, Reporters sans frontières (RSF) avait transmis en octobre un recours au ministère de l’Intérieur pour obtenir l’accès en #CRA." #détention #migration #prison #police #journalisme

      chp/caz/nm

      http://seenthis.net/messages/147421
      http://seenthis.net/messages/157608

    • J’ai entendu hier matin aux infos sur France culture, que selon cette nouvelle loi, les journalistes pourraient accéder aux centres de rétention dans la mesure où ils accompagneraient un élu en mission... C’est déjà beaucoup plus restrictif mais ça reste à vérifier.

    • Voici un reportage à lire ici :
      http://www.streetpress.com/sujet/94794-quand-la-police-met-barbes-en-etat-de-siege-pour-rafler-des-sans-

      Métro Barbès – 15 heures. Ce jeudi, Kamel* est posté comme chaque jour face aux tourniquets de sortie de la station. Il tente d’alpaguer le chaland -« cigarettes, cigarettes ! » – quand il voit « des dizaines de fourgons de police arriver par tous les côtés. » En un instant c’est la débandade. Les vendeurs à la sauvette courent dans tous les sens, semant derrière eux des paquets de clopes et quelques babioles. Le jeune Tunisien, comme bon nombre de ses amis, n’a pas de titre de séjour. La plupart se précipitent à l’intérieur du Tati situé de l’autre côté de la rue.

      Du premier étage du magasin, ils assistent au déploiement des CRS. « Ils ont mis en place des barrages », raconte Karim. Harnachés « comme Robocop », ils prennent position en travers de la rue, formant un mur d’uniformes. Impossible de passer. La même scène se répète dans les rues voisines : les forces de l’ordre établissent un périmètre. A l’intérieur : une partie de la rue de La Goutte d’Or, la rue des Islettes, la rue Capla, la rue Charbonnière et une partie du boulevard Barbès. En un instant, le quartier est bouclé.