• En Europe, la protection des données privées attendra
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    A court terme, les données personnelles des citoyens européens risquent bien, malgré l’insistance de la Commission et du Parlement européens, de ne pas être davantage protégées de l’utilisation qu’en font les géants américains de l’Internet et, au travers d’eux, les services de renseignement, notamment celui des Etats-Unis, la National Security Agency (NSA).

    Malgré les révélations d’Edward Snowden, ex-agent de la NSA aujourd’hui exilé en Russie, et l’énervement des eurodéputés, qui demandent des mesures de rétorsion contre Washington, les membres de l’Union européenne continuent de tergiverser. Pour preuve, la partie de cache-cache avec la vérité à laquelle se sont récemment livrés certains chefs de gouvernement, à Bruxelles.

    Le Conseil européen des 24 et 25 octobre, qui a appelé, entre autres, à évoquer la question de l’économie digitale et la place de l’UE dans ce domaine-clé, ne pouvait éviter la question de la protection de la vie privée. Et pas seulement celle des chefs d’Etat écoutés par les services américains…

    Dans le brouhaha suivant la réunion, un paragraphe des conclusions est passé un peu inaperçu. « Il est important d’accroître la confiance des citoyens et des entreprises dans l’économie digitale. L’adoption d’un cadre général de protection des données et de la directive sur la cyber-sécurité est essentielle pour compléter le Marché unique digital en 2015 », pointe-t-il.

    2015 ? Après, donc, les élections européennes du printemps 2014 ; après la mise en place d’une nouvelle Commission et d’un nouveau Parlement… Pourtant, en début de semaine dernière, il était encore question, à Bruxelles, juste après de nouvelles révélations sur les écoutes de la NSA, de faire adopter le plus vite possible les deux projets, de règlement et de directive sur les données personnelles, promus par la commissaire à la justice Viviane Reding, et dont l’adoption traîne depuis deux ans…

    Dans son texte, Mme Reding instaure la possibilité, pour les usagers, de permettre ou non l’utilisation de leurs données par les Google, Facebook, Yahoo ! ou Amazon. Et la possibilité de faire effacer des données numériques

    LOBBYING AMÉRICAIN

    Le paragraphe huit des conclusions du Conseil européen – en anglais – évoque désormais une « timely adoption ». Ce qui se traduit, selon certaines délégations (la France, l’Italie, la Pologne) par « une adoption rapide » et, pour d’autres, (le Royaume-Uni, la Suède) par « une adoption en temps utile »… L’Allemagne, même échaudée par les écoutes du portable de la chancelière Angela Merkel et même désireuse d’imposer un « code de bonne conduite » aux Américains, refusait quant à elle d’agir « dans l’urgence ».

    Pour le premier ministre britannique, David Cameron, qui a communiqué le message à la presse de son pays, il n’y a pas de doute : il a obtenu de ses partenaires un report « d’au moins un an » des mesures visant les grandes sociétés américaines du secteur. « Victoire pour les géants des technologies sur les lois de l’UE concernant les données » titrait explicitement le Financial Times, samedi 25 octobre, rappelant au passage que le patron de Google, Eric Schmidt, figure dans le groupe de conseillers de M. Cameron.

    A la Commission européenne, on cache mal son dépit. On déplore « la faiblesse institutionnelle du Conseil » qui le ramène à « un consensus sur le plus petit commun dénominateur ».

    L’adoption du terme timely a, en effet, permis aux chefs de gouvernement d’interpréter comme ils l’entendent les conclusions adoptées. Et si Mme Reding feint de se réjouir de la discussion qui a enfin eu lieu sur ses projets, soumise à un intense feu de barrage des lobbies américains, elle se demande désormais publiquement si ses textes pourront être adoptés dans les temps.

    On en doute quand on apprend, par la bouche du président du Conseil de l’UE, Herman Van Rompuy, qu’il convient d’étudier « soigneusement » les diverses dispositions sur la protection des données et leur possible impact…

    La colère et l’inquiétude gagnent aussi le Parlement européen, dont la commission des libertés civiles avait adopté et renforcé, lundi 21 octobre, le projet initial de directive de Mme Reding. Les eurodéputés ont fixé à 5 % du chiffre d’affaires mondial des compagnies l’amende en cas d’utilisation non autorisée des données.