Rumor

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  • Retour sur les Printemps arabes
    http://blogs.mediapart.fr/blog/jean-francois-bayart/311013/retour-sur-les-printemps-arabes

    Lecture passionnante par Jean-François Bayart des Printemps arabes, replacés dans une perspective doublement élargie : géographique (de l’Indonésie au Mali, en passant comme il se doit par la Turquie et l’Iran), historique, en remontant non seulement aux émeutes de la faim ou du pain, mais même au delà, aux mouvements anticoloniaux des années 30.
    Deux traits dominants dans son analyse : une lecture sociale, où le mouvement de construction de l’Etat par les élites ne cesse de faire l’objet de protestations par les classes dominées ; et la « situation autoritaire » comme forme de stabilisation et de reproduction de cette domination sociale. Pour Bayart, « l’assignation identitaire » de type ethnoconfessionnel, produite par l’autoritarisme, a son pendant dans le caractère asymétrique de la formation, qu’il se manifeste dans les inégalités territoriales ou dans la captation des ressources par des « ’assabiyat »-s.

    Sa conclusion :

    des “Printemps arabes” [...] il ne faut pas désespérer, nonobstant la morosité – ou la joie mauvaise – qui règne désormais dans les esprits. Il est bien possible – bien probable ? – que les processus de restauration autoritaire, le rechapage thermidorien de l’aventure révolutionnaire, la modernisation conservatrice des monarchies ou la poursuite d’une coercition sans merci finissent par reconduire o sistema et les “démocraties sans démocrates” (56). Mais il est improbable que les événements de ces deux dernières années n’aient pas affecté en profondeur les sociétés et n’aient pas semé les graines d’autres transformations, d’autres ruptures. Tel fut d’ailleurs le cas du Printemps des Peuples, en 1848. Ses effets se firent sentir dans la durée, bien longtemps après que la fumée des canons qui l’ont étouffé dans les différents pays du Vieux Continent, dès 1852, se fut dissipée. En politique comme dans la nature, les saisons se suivent et ne se ressemblent pas. Néanmoins, il est bien rare que les hirondelles ne reviennent pas sur des terres qu’elles ont fréquentées.

    • Les généralisations sur le « printemps arabe » sont possibles si l’on considère que la Libye et la Syrie ont connu d’importants mouvements révolutionnaires. Mais si l’on a des doutes sur ce point et que l’on perçoit surtout l’instrumentalisation par l’OTAN et divers États de groupes armés islamistes, on peut considérer ces longues analyses et ces grandes théorisations comme étant bien peu fondées.

    • On peut s’accorder aujourd’hui sur le fait que les mouvements de protestation qui ont touché les pays arabes ont eu des trajectoires très diverses, voire même contre-révolutionnaire finalement dans le cas de l’Egypte. A partir de là, il n’y a pas que la Libye et la Syrie qui ne sont pas caractérisées par des révolutions. Mais les pays connaissent d’importants mouvements sociaux et politiques de révoltes et de protestations, dont la dimension sociale est très forte. Ce que fait Bayart, c’est justement de minimiser la singularité historique des mouvements de l’année 2011 par rapport à un ensemble de mouvements et de protestations qui se sont égrenées depuis la fin de l’Empire ottoman, moment fondateur de l’autoritarisme dans la région (long moment de rétractation, depuis 1830 pour l’Algérie, avant la chute finale en 1918-20). A partir de là, ce n’est plus tant une généralisation sur les révolutions arabes que sur les trajectoires de ces pays et de ces Etats.
      Là où la critique est sans doute fondée, c’est de dire que la dimension géopolitique - notamment impérialiste - est moins prise en compte.