• Bonne mise au point sur la galaxie extrême-droite xénophobe, avec un petit passage assez juste sur le positionnement moderne du FN

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    À la recherche du nouvel ennemi •
    Philosophie magazine
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    Marine Le Pen : suggérer plutôt que dire
    Et le FN ? Lorsque son père tenait le parti, xénophobie anti-arabe (souvenirs de la colonisation, ce qui le poussait à valoriser les harkis) et antisémitisme cohabitaient. Jean-Marie Le Pen était devenu un spécialiste des dérapages contrôlés et des plaisanteries orientées. En 1956, il déclarait à Pierre Mendès France, qui était d’origine juive : « Vous cristallisez sur votre personnage un certain nombre de répulsions patriotiques, presque physiques. » En 1988, un an après avoir tenu les chambres à gaz pour un « point de détail » de l’histoire de la Seconde Guerre mondiale, il lançait son « Durafour crématoire » à l’encontre d’un ministre. Aujourd’hui, il soutient Dieudonné et se proclame toujours « ami de l’Iran, nation libre qui n’accepte pas le diktat d’autres pays ». Et sa fille ? Elle a choisi son ennemi en congédiant l’antisémitisme traditionnel du FN. Au moment même de son élection à la tête du FN, début 2011, elle déclare dans le quotidien israélien Haaretz que son parti a toujours été « prosioniste ». En décembre suivant, elle effectue une visite en Israël, essayant de séduire l’électorat des juifs français. En revanche, elle développe systématiquement une argumentation anti-islam. Elle affirme, contre les faits, que les non-musulmans ne peuvent toucher de la viande halal, ce qui induirait une discrimination à l’embauche dans les abattoirs. En décembre 2010, elle compare les prières de rues des musulmans à une « occupation », sans « blindés » ni « soldats », mais « occupation tout de même ». Elle réclame que les mosquées « soient modestes et qu’elles ne soient pas ostensibles avec des minarets qui s’élèvent de plus en plus haut », et que les fidèles les financent eux-mêmes. Dans une interview accordée en avril 2013 au quotidien turc Zaman, elle martèle : « Les Français se sentent agressés dans leurs habitudes. Les voiles, les exigences sur les lieux de prière, les demandes de nourritures spécifiques… tout ça est en contradiction avec notre culture. » Enfin, interpellée dans la rue le 19 mars dernier, elle affirme : « Le FN n’est pas antisémite. […] Et aujourd’hui, je vais vous dire où ils sont les antisémites, ils sont dans les quartiers, là où ils sont en train d’organiser le recrutement pour le djihad. » On comprend pourquoi Alain Soral a quitté en 2009 le FN qu’il avait rejoint quatre ans plus tôt. Dans sa lettre de rupture, il dénonce « la bande à Marine – cet agglomérat de multitransfuges, de marchands du Temple et de cage aux folles – qui a tout fait pour [lui] barrer la route et [le] neutraliser depuis deux ans, et ce malgré la confiance et l’amitié que [lui] accordait le Président »… Marine Le Pen et Alain Soral n’ont pas le même ennemi. Selon ce dernier, en choisissant l’anti-islamisme et en délaissant l’antisémitisme, le programme du FN ne vise plus qu’à « faire payer aux pauvres Noirs et aux pauvres Arabes, tous déclarés islamistes et complices du terrorisme, la souffrance imposée au peuple de France par les riches Blancs, pas toujours catholiques, planqués dans leurs paradis nomades, à New York et à Miami… ».
    « Marine Le Pen conserve, consciemment ou non, tous les canaux sémantiques de la pensée fasciste traditionnelle »
     
    Mais Marine Le Pen est-elle elle-même antimusulmane ? Elle refuse cette accusation et prétend, en républicaine fidèle au principe de laïcité, ne lutter que contre l’islamisme, acceptant parfaitement un islam vécu dans la sphère privée. Pour mieux comprendre, allons l’écouter lors de son dernier meeting pour les élections municipales, à la Maison de l’éducation permanente dans le centre de Lille, le jeudi 20 mars. Contrairement à une émission de radio ou de télévision, on assiste ici à un ensemble cohérent, un discours articulé, mais aussi à un spectacle total où le débit, l’intonation, le souffle jouent leur rôle dans la transmission du message. Désincarné, résumé en quelques phrases, celui-ci est presque inoffensif. Replongé dans son contexte et sa matière, ses allusions et ses réseaux de sens, c’est tout autre chose. Avant de passer la parole à Marine Le Pen, le candidat du FN à Lille, Éric Dillies, évoque des meurtres mystérieux au moment de l’accession de Martine Aubry à la mairie et mentionne en plaisantant, pour en suggérer le caractère immoral, des réunions politiques au Carlton. Bref, il décrit les dirigeants socialistes de la ville et leurs rivaux de droite comme les membres d’une caste mafieuse. La présidente du FN poursuit dans la même veine, visant à criminaliser les représentants politiques de tous bords. Considérant qu’ils ont « tous été pris la main dans le pot de confiture », elle appelle « le peuple français [à] prendre la décision de juger les dirigeants ». Adepte d’une version à peine édulcorée de la théorie du complot, elle avance que « tous les chiffres de la délinquance sont “bidonnés” » et que « la population française est sous-informée : mensonges, chiffres maquillés ». Quant à l’ennemi principal, elle n’en prononce même pas le nom. Les sons composant le mot islam ou musulman ne sont pas articulés. Quatre termes suffisent : « communautaristes », « intégristes », « cantines », « piscines ». En fait, les mots agissent ici comme des signaux faisant référence à des déclarations anciennes ou à venir sur les menus aménagés dans les cantines scolaires à l’attention des élèves musulmans, ou encore sur la question des horaires aménagés dans les piscines pour y éviter la mixité, chiffon rouge fréquemment agité par le FN.
    Telle est la nouvelle stratégie sémantique du FN, que l’on peut qualifier de troisième génération du discours xénophobe. Avant l’interdiction de tels propos, on avouait franchement sa haine des Juifs ou des Arabes. Une deuxième génération, celle de Jean-Marie Le Pen, a dû user de la périphrase, de la plaisanterie, de la suggestion, afin de faire comprendre aux électeurs la persistance d’un discours raciste et xénophobe tout en échappant au scandale et à la condamnation. Marine Le Pen représente la troisième génération. Inutile, désormais, de faire des signes d’intelligence. Il suffit d’évoquer les problématiques par quelques formules et de laisser l’imagination de l’auditeur faire le reste. Bref, on provoque l’association et on laisse libre chacun d’aller, ou non, jusqu’au bout. L’un comprendra intégriste/islamiste/musulman. L’autre s’arrêtera à l’islamiste. C’est le moyen habile choisi par Marine Le Pen pour adjoindre aux racistes traditionnels un nouveau public républicain.
    Peut-on encore qualifier ce discours de fasciste ? D’un point de vue explicite, non, nous l’avons vu. Reste que Marine Le Pen conserve, consciemment ou non, tous les canaux sémantiques de la pensée fasciste traditionnelle : détestation et criminalisation des élites, réveil d’émotions violentes, vocabulaire du corps (Hollande est ainsi décrit : « torse bombé, bras mous »), théorie du complot, défense des « valeurs traditionnelles » et du « patrimoine civilisationnel », peur de la « dénaturation » et appel à « la saine réaction du peuple français ». Les mots n’y sont plus guère, mais la structure, que chacun pourra incarner à son goût, demeure. Pas d’antisémitisme ? Non, mais la possibilité de remplir des blancs, lorsque Marine Le Pen critique François Hollande d’avoir affirmé qu’il n’aimait pas les riches avant de « se coucher » le même soir « devant la grande finance », ou lorsqu’elle attaque Nicolas Sarkozy pour avoir servi « les mêmes maîtres ». Qui donc ? Elle enfonce le clou : « les banquiers et la finance internationale », « les dirigeants du Medef à New York », Babylone du cosmopolitisme. Un antisémite saura parfaitement compléter, en pensée, avec sa famille ou avec ses amis, les chaînes sémantiques ici présentées de la manière la plus traditionnelle qui soit : les politiques valets de la finance internationale, avec l’aide des « communicants du système »… Elle fait culminer son discours avec une coquetterie qui rappelle son père, en évoquant la « reptation » de l’UMP face au parti socialiste, mêlant pédanterie et allusion physique. Enfin, un autre moment du meeting mérite d’être retenu. Marine Le Pen chauffe l’assistance à propos des Roms, troisième figure, nouvelle, de l’ennemi. Elle prétend que les autorités de l’État leur fournissent des logements gratuits en priorité, laissant sur le carreau les travailleurs français qui attendent toujours un habitat social. Elle finit par faire huer les Roms.
    Le discours du FN se situe sur un autre plan que les mouvements d’extrême droite que nous avons évoqués et qui professent un credo anti-islam ou antisémite brutal et presque explicite. Mais il est certain que Marine Le Pen, même si elle se refuse à prononcer certains mots, n’a pas rompu avec des structures mentales et linguistiques plus anciennes. La pensée fasciste est parvenue à son stade postmoderne. L’avenir nous dira s’il faut plutôt s’en réjouir ou s’en inquiéter.