• Misère de la sociologie contemporaine - Le blog de zones subversives
    http://zones-subversives.over-blog.com/2014/06/misere-de-la-sociologie-contemporaine.html

    Experts et sociologues pullulent dans les médias et sur les plateaux télévisés. Même les sectes gauchistes développent leur propre « contre-expertise » qui s’appuie sur des paroisses de sociologues. Claude Javeau attaque l’imposture de la sociologie académique dans un livre récent, intitulé Des impostures sociologiques. Cette charge ne provient pas d’un obscur groupuscule révolutionnaire. Au contraire, Claude javeau demeure une référence dans le monde de la sociologie francophone contemporaine. Mais il conserve un indispensable recul critique. Il se distingue des syndicats et de l’extrême gauche qui se contentent de "défendre l’Université" et de "sauver la recherche". Il remet en cause le contenu enseigné dans le petit ghetto universitaire. Les études sociologiques correspondent surtout à une routine académique. « Ensuite parce que ces recherches ne montrent le plus souvent rien, sauf quelques resucées de lieux communs et de platitudes enrobées de vocables prétentieux et faussement savants », constate Claude Javeau. Face à cette imposture, il propose une sociologie critique.

     

                    

    Faillite de la sociologie contemporaine
     

    Une typologie peut permettre de décrire le petit milieu des professionnels de la sociologie.

    « Les buveurs de la première gorgée de bière » se consacrent à l’étude des petits objets du quotidien comme le téléphone portable, la fréquentation des forums informatiques ou les blagues sur les blondes. Jean-Claude Kaufmann, universitaire et collaborateur habitué des magazines féminins, incarne bien cette tendance qui consiste à traiter la vie quotidienne avec légèreté. « On se trouve aux frontières d’une certaine micro-sociologie et d’une psychologie individuelle dont les médias, précisément sont assez friands », observe Claude Javeau. Mais ses sujets de recherches très précis ne sont jamais replacés dans un contexte social plus large. La simple description prime sur l’explication avec les causes et les déterminants des phénomènes sociaux. Cette sociologie de magazine se contente de dresser des catégories proches de la caricature avec « les bobos », les « jeunes de quartiers » ou les « habitués des réseaux sociaux ».

    La dépolitisation caractérise également cette approche. Les médias apprécient également les bavardages sociologiques autour des « phénomènes de société » comme la violence dans les transports en commun, le décrochage scolaire, le retour des jarretelles, la consommation de cannabis, les téléphones portables, la gastronomie, l’adultère, les romans à l’eau de rose, le tourisme sexuel ou l’addiction informatique. « Dans le poste de télévision, le sociologue, entre deux chanteurs à la mode, est prié de donner son avis en trois minutes », raille Claude Javeau. En général, le sociologue se contente de sortir toujours le même discours éculé sur la montée de l’individualisme.

     

    « Le scribe accroupi » regroupe les sociologues qui pratiquent l’enquête par sondages ou par questionnaires. Le choix des critères de quotas pour définir les échantillons représentatifs ne sont pas tous très justifiés et pertinents. L’apparence de l’enquêteur ou de l’enquêté, mais aussi l’intonation au téléphone, peut influencer la recherche. Les résultats de ses enquêtes peuvent également faire l’objet de manipulations et interprétations diverses.

    « Le missionnaire aux pieds nus » intervient auprès des plus pauvres pour résoudre les problèmes sociaux à coups d’encadrements sociologiques. « Experts de l’exclusion, de la réclusion, des zones de non droit, des cités érigées en citadelles de la fracture sociale, ils sont un peu comme des urgentistes du sociétal », ironise Claude Javeau. Cette sociologie de l’exclusion insiste sur la reconnaissance, selon le concept d’Axel Honneth, ou sur le care. Cette sociologie compassionnelle tente de redonner de la dignité aux pauvres, mais surtout pas de supprimer la pauvreté. Toute forme de conflit social est évacuée. Les notions de classes sociales, de systèmes de domination et d’aliénation disparaissent de cette Théorie critique aseptisée. L’individu victime de "l’exclusion" est décrit comme isolé du monde dans lequel son sort se fabrique.

    La figure du « médecin légiste » s’attache à analyser et à disséquer les problèmes sociaux. Cette démarche s’inspire de la Théorie critique qui replace son sujet d’étude dans le cadre d’une critiquer générale et multi-dimensionnelle de la société capitaliste avec la marchandise et l’aliénation. Par exemple, Jean-Marie Brohm replace l’analyse du sport dans une critique plus globale. Il observe une « sportivation généralisée de l’espace public au sein de la mondialisation capitaliste », considérée comme « l’une des expressions les plus achevées de la chloroformisation des consciences ». Le divertissement, l’abrutissement, l’intégrisme des masses et le culte de la performance caractérisent le phénomène sportif. Pourtant, cette sociologie n’évite pas toujours l’éceuil du scientisme et la recherche d’une illusoire objectivité.

     
    Contre la sociologie académique
     

    La recherche sociologique doit tenter de devenir accessible au grand public. Mais les sociologues médiatiques se réduisent souvent à des experts qui doivent élaborer un avis et un point de vue sur tous les sujets. Ils doivent se prononcer par rapport à des problèmes qu’ils n’ont pas étudiés. Par exemple de nombreux sociologues se sont pressés sur les plateaux télés pour expliquer les émeutes de 2005 alors qu’ils n’ont jamais mis les pieds dans un quartier populaire.

    La sociologie semble tiraillée entre deux écueils. D’un côté le scientisme se contente d’observer des données quantitatives et confond la rigueur intellectuelle avec l’absence d’analyse globale. De l’autre, l’amateurisme correspond à un bavardage philosophique sans la moindre observation de la réalité sociale. Le scientisme apparaît comme une posture qui s’appuie sur une supposée autorité intellectuelle. « L’invocation du caractère scientifique d’une recherche ou d’une étude n’est souvent qu’un procédé rhétorique », souligne Claude Javeau. La posture de l’expertise consiste à conseiller le pouvoir comme des « sociologues de ministères », selon l’expression d’Éric Hazan. La commande institutionnelle ne favorise pas les questionnements critiques et l’analyse globale de la société. D’autres sociologues privilégient l’étude des idées et de la philosophie à celle de la réalité sociale. Pour ses chercheurs, la Révolution française s’explique par les idées de Voltaire et Rousseau.

    #sociologie #université #presse #débat_public #javeau