• De la monoculture en Avignon - CQFD, mensuel de critique et d’expérimentation sociales
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    La ville, complètement dépendante, se développe par et pour le tourisme : « La mairie se fait miroir d’elle-même, explique Christophe. Elle affiche des photos de la ville du début du siècle complètement idéalisée, et qui ne concernent que l’hyper-centre. Même les banques s’y mettent. » Les habitants vivent dans un décor permanent, leur pain industriel vendu par des précaires costumés en boulangers traditionnels. Les commerces se développent en fonction de cette économie, magasins de fringue, de luxe et fast-foods à l’intérieur des remparts ; grande distribution à l’extérieur. Pendant le festival, la prostitution explose : « Les nanas peuvent se faire jusqu’à 2 500 euros par jour », évalue Christophe. Comme pendant un vulgaire Mondial.

    Derrière les grandeurs de la Création, des centaines de trimards dans les cuisines, les hôtels et les parkings sont payés pour mettre la cuillère dans la bouche des consommateurs. Chaque année, l’Urssaf et l’Hygiène organisent des inspections dites surprises mais annoncées à l’avance. L’an dernier, 150 restos et théâtres ont été redressés. Ils préfèrent souvent payer leurs amendes que leurs salariés : « L’économie du festival ne génère rien pour les habitants, si ce n’est quelques emplois saisonniers. Il y a 20 % de chômeurs à Avignon. La ville est de plus en plus pauvre, 30 % vit sous le seuil de pauvreté. Petit à petit, les classes populaires sont expulsées à l’extérieur des remparts. » Aux municipales, le Front national a fait 35 % au deuxième tour. Un vote de ressentiment ? « Il y a peut-être de ça, répond Christophe, même si le déchirement de l’UMP locale explique beaucoup. » Si le festival ne profite pas aux habitants, à qui est-il dédié ?

    Indice : le président du festival est Louis Schweitzer, ancien patron de Renault condamné par la justice belge pour non-respect du droit du travail, après la liquidation de l’usine de Vilvorde, et président actuel de la branche internationale du Medef. Un artiste de l’exploitation. Une salle du « Off » peut rapporter jusqu’à 1 500 euros par jour. Le diocèse, pour qui les voies du profit ne sont pas impénétrables, en posséderait cinquante à lui seul. Roger continue : à côté de l’hôtellerie et de la restauration, « t’as aussi le business de la sous-location, car les hôtels ne couvrent que 10 % de la demande. C’est bien souvent de la démerde individuelle, mais ça crée un vaste marché noir et une spéculation locative de mai à septembre. » Dans cette économie bien huilée, la grève et le blocage de l’économie ne seraient-ils pas la meilleure réalisation de l’art ?