• Israël a volé l’avenir de Gaza... et son espoir
    par Gideon Levy
    (Traduction : JFG-QuestionsCritiques)
    http://questionscritiques.free.fr/edito/haaretz/Gideon_Levy/Israel_a_vole_l_avenir_de_Gaza_020814.htm

    Les chiffres sont écrits à l’encre sur la paume de sa main, comme s’il était un enfant préparant une antisèche pour un examen : 1.035 morts, 6.233 blessés, à 2h, lundi matin (28 juillet). Il efface quotidiennement ces chiffres et les met à jour.

    Cette semaine, le Pr Mads Gilbert a quitté l’hôpital de Shifa, dans la Bande de Gaza, pour prendre de brèves vacances dans son pays, la Norvège, après deux semaines ininterrompues à soigner les victimes de la guerre. Son collègue et compatriote, le Pr Erik Fosse, était censé venir le remplacer à Gaza, mais Israël l’empêchait, encore en milieu de semaine, de le faire. Fosse, lui aussi, a passé la première semaine de l’Opération Bordures Protectrices à Shifa et voulait y revenir.

    Gilbert et Fosse avaient aussi travaillé à Shifa durant l’Opération Plomb Fondu, en 2008-2009, après quoi ils avaient publié leur livre déchirant, Eyes in Gaza, un best-seller international. A présent, ils soutiennent que la guerre actuelle dans la Bande de Gaza est encore plus terrible que la précédente, en ce qui concerne les dommages causés à la population civile.

    Les deux hommes ont la soixantaine. Ils étaient des admirateurs d’Israël dans leur jeunesse, mais la première guerre du Liban en 1982 - lors de laquelle ils se sont portés volontaires pour soigner les blessés palestiniens - a modifié leur point de vue et changé leur vie à jamais. « C’est à ce moment-là que j’ai vu pour la première fois la machine de guerre israélienne », se souvient Gilbert.

    Fosse dirige une organisation humanitaire qui s’appelle NORWAC (Norwegian Aid Committee), qui fournit une assistance médicale aux Palestiniens et est financée par le gouvernement norvégien. Gilbert, qui est un volontaire indépendant, et Fosse ont tous deux consacré une bonne partie de leurs vies à aider les Palestiniens, et Gaza est devenue un deuxième foyer pour eux. Lundi après-midi, nous avons rencontré Fosse, un chirurgien cardiaque, à Herzliya après son retour de vacances en Norvège, sur son chemin de retour vers Gaza. Les images décrites par ces deux hommes devraient peser lourdement sur la conscience de tout être humain.

    « Durant Plomb Fondu, je pensais que ce serait l’expérience la plus horrible de ma vie », dit Gilbert, « jusqu’à ce que j’arrive à Gaza, il y a deux semaines - qui était encore plus épouvantable. Les données révèlent qu’il y a 4,2 victimes palestiniennes par heure [.] Plus d’un quart des morts sont des enfants, plus de la moitié sont des femmes et des enfants. Les Forces de Défense Israéliennes [Tsahal] admettent que 70% sont des civils, l’ONU dit 80%, mais de ce que j’ai pu voir à Shifa, plus de 90% sont des civils. Cela signifie que nous parlons d’un massacre de la population civile.

    « Shoujaiyeh a été un véritable massacre », poursuit-il. « Durant Plomb Fondu, je n’ai pas vu cette sorte d’attaque contre des immeubles d’habitation : à l’époque, c’était plutôt les structures publiques qui étaient attaquées. La brutalité, le mal intentionnel infligé aux civils et la destruction sont plus terribles que lors de Plomb Fondu. Je ne suis pas impressionné par le fait que les gens soient prévenus 80 secondes à l’avance d’évacuer leurs habitations. C’est inhumain. Le spectacle de Shoujaiyeh est plus terrible que tout ce que nous avons vu durant Plomb Fondu.

    Regardez Shoujaiyeh - ça ressemble à Hiroshima. Jamais je ne m’habituerai au spectacle d’un enfant blessé pour lequel nous ne disposons pas de moyens adéquats pour le soigner. Nous utilisons une anesthésie locale, en raison du manque de médicaments, et nous n’en avons même pas assez pour cela ».(...)