• Entretien avec Rached Ghannouchi - Institut Jean Lecanuet - France Forum
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    Jeudi 28 août 2014

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    ENTRETIEN AVEC RACHED GHANNOUCHI

    Terre de naissance des révolutions arabes, la Tunisie vit, depuis trois ans, un chapitre capital de sa jeune histoire. C’est évidemment l’opinion de Rached Ghannouchi, président du parti Ennahda. Pour lui, l’ensemble de l’islam est concerné par l’expérience démocratique tunisienne. « Ce qui est en train de se passer en Tunisie libère l’image de l’islam de celle du terrorisme et lui associe celle de la démocratie : une démocratie musulmane, assise sur une souveraineté populaire. » La religion garde un rôle important tempère Rached Ghannouchi, mais un rôle différent : « Diffuser des valeurs de paix et de tolérance, d’équité et de justice. » Est-ce bien l’avis de tous les Tunisiens ? « Islamistes et laïques modérés peuvent vivre ensemble. Le problème vient des extrémistes des deux camps », répond le président d’Ennahda.

    Guillaume Klossa, président du think tank EuropaNova se demande néanmoins si, derrière le mot démocratie, chacun met bien la même chose. Le responsable politique tunisien est on ne peut plus clair dans sa réponse : « J’ai 72 ans et, dans ma vie, je n’ai voté qu’une fois, mais je sais ce que veut dire pour moi la démocratie : des élections libres et multipartistes, la liberté de la presse, l’égalité des sexes, la justice, l’alternance au pouvoir. » Et puis, fait-il remarquer : « Nous ne sortons pas d’une période avec un gouvernement “fort” comme ont dit certains politiques en France après la chute de Ben Ali, mais d’une dictature véritable. » Ce sera la seule petite mise au point du déjeuner car « les Tunisiens veulent aller de l’avant. Le reste, c’est de l’histoire ancienne », n’a cessé de répéter Rached Ghannouchi.

    Le sénateur de Paris Yves Pozzo di Borgo évoque les prochaines élections en Tunisie et leurs conséquences possibles sur la cohésion nationale du pays. Rached Ghannouchi, dont le parti est donné favori, se montre rassurant : « Les élections auront lieu à la fin de l’année et, quelle que soit l’issue, un gouvernement de coalition est souhaitable car notre démocratie naissante est encore fragile. Oui, un consensus est nécessaire même si une majorité se dégage. Il nous faut encore au moins cinq ans pour stabiliser notre démocratie. »

    Rachida Dati, ancien ministre de la Justice, député européen et maire du 7e arrondissement de Paris, et Anne-Marie Idrac, ancien secrétaire d’État aux Transports et au Commerce extérieur et ancienne présidente de la SNCF et de la RATP, abordent la situation compliquée des autres pays arabes : Syrie, Irak, Libye, Egypte. Entre contextes sociaux sectaires ou communautaristes, interventions extérieures, aucune solution ne semble émerger. Rached Ghannouchi constate aussi ces crises et les fortes difficultés pour qu’une véritable démocratie s’installe dans ces pays voisins, mais il reste optimiste, notamment pour l’Egypte : « Le monde arabe dans son ensemble est entré dans une nouvelle ère comme l’Europe l’a été à la suite de la Révolution française. La révolution égyptienne réussira aussi sa mue démocratique. Le génie ne retournera pas dans sa lampe ! La Tunisie a mieux réussi que les autres parce que la situation y est moins complexe. Notre société est plus homogène comparée à l’Irak, à la Syrie ou à l’Egypte. Forcément, le prix de la démocratie sera plus lourd dans ces pays. » Yves Pozzo di Borgo évoque les relations politiques des nouveaux partis du monde arabe et interroge sur les relations entre Tunisie, Algérie et Maroc. « Qu’attendez-vous de la France ? » demande Rachida Dati. « Nous attendons que nos amis français et européens nous aident, que les démocraties européennes et toute la communauté internationale fassent leur devoir car il n’y a pas d’autres solutions que la réussite de la démocratie. Chacun y a intérêt. » Il ajoute : « Nous sommes avec tous ceux qui se battent pour la démocratie et contre le terrorisme. Le vrai visage de l’islam, c’est la liberté et la démocratie. Nous devons montrer le bon produit islamique pour faire disparaître le mauvais. » Anne-Marie Idrac ajoute : « Vous devez, de votre côté, nous aider à mieux vous comprendre, c’est bien le but de telles rencontres. »

    Guillaume Klossa s’interroge sur l’état des relations avec la France compte tenu des tensions diplomatiques au moment de la révolution. Rached Ghannouchi le rassure : « Les relations avec la France et aussi avec l’Europe s’améliorent. La Tunisie a maintenant un accord de partenariat privilégié avec l’Europe. Les visites ministérielles de la France sont nombreuses. L’ambassadeur de France en Tunisie a prononcé un discours en arabe. Le nombre d’étudiants tunisiens en France augmente. Les touristes français sont un peu moins nombreux, mais c’est aussi le résultat de la crise économique en France. » « C’est aujourd’hui notre intérêt et celui de l’Europe de vous connaître et de vous accompagner vers la démocratie. J’espère que la nouvelle Commission européenne sera à la hauteur de cet enjeu », ajoute Rachida Dati.

    « L’union du Maghreb reste un objectif, mais la question du Sahara est toujours un point très dur entre l’Algérie et le Maroc », précise le président d’Ennahda.

    Fadila Mehal, conseillère de Paris, voit bien les interrogations qui persistent dans la société française envers les évolutions en cours en Tunisie ou au Maroc et souhaite le faire entendre à Rached Ghannouchi : « La France a deux points de vigilance très forts qui peuvent compliquer nos relations. Je pense à la question du rôle des partis religieux par rapport à nos valeurs de laïcité et aussi à la question des femmes. »

    Rachida Dati partage la remarque de Fadila Mehal, mais elle note néanmoins que « nous sommes exigeants avec les peuples arabes comme en Tunisie alors que nous avons cautionné pendant des années des dictatures ». Et elle déplore que le ressentiment contre l’Islam repose parfois sur des fantasmes ou des comportements très minoritaires : « La loi sur les signes ostentatoires, puis celle sur le port de la burqa n’ont causé aucun problème dans la communauté musulmane et chez ses responsables. »