• Projet » Combien de temps pourra-t-on encore vivre à Gaza ?
    ParBernard Flichy / 21 août 2014
    http://www.revue-projet.com/articles/2014-08-flichy-combien-de-temps-pourra-t-on-encore-vivre-a-gaza

    Fuir Gaza ou mourir… Fuir les bombardements, bien sûr. Fuir, aussi, une situation sociale et écologique explosive. Si seulement les familles de Gaza avaient le choix. Sauf que depuis des années, elles ne l’ont pas.

    En 2012, bien avant cette dernière guerre israélienne, le Bureau de la coordination des affaires humanitaires des Nations unies (Ocha) se demandait si Gaza serait encore un territoire vivable en 2020. Un espace très réduit dans lequel vit une population en croissance rapide, des équipements collectifs insuffisants, voire inexistants, une dépendance économique, alimentaire et énergétique vis-à-vis de l’extérieur, et surtout, à très court terme, une pénurie d’eau potable : tels sont les problèmes auxquels les dirigeants et les habitants de ce territoire doivent faire face. Devenus encore plus insurmontables à cause des conséquences tragiques de l’opération « Bordure protectrice », troisième guerre en moins de sept ans, ces problèmes ne pourront être résolus sans une véritable ouverture politique, non seulement dans la bande de Gaza mais aussi en Cisjordanie.
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    Aujourd’hui, c’est 72 % de la population – en premier lieu, les 365 000 personnes déplacées et sans abri – qui se trouve en insécurité alimentaire. La production locale de volaille a été détruite pour moitié. Ce qui en reste est menacé en raison des difficultés à les nourrir. Il en va de même pour le bétail. Le siège/blocus est étendu à la façade maritime : la zone de pêche, limitée à 3 miles marins, interdit aux pêcheurs (dont le nombre a été divisé par trois ces dernières années) de fournir les protéines qu’ils procuraient autrefois.
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    D’énormes investissements sont nécessaires dans les domaines de l’eau et de l’assainissement. Selon les rapports de la Banque mondiale et du Programme des Nations unies pour l’environnement, la situation est critique : « Sans cours d’eau pérenne et avec de faibles précipitations, Gaza dépend presque complètement de l’aquifère[3] côtier ». Celui-ci se recharge annuellement d’environ 50 à 60 millions de m3 d’eau, alors que les pompages représentent environ 160 millions de m3, c’est-à-dire près de trois fois plus. Le niveau de la nappe phréatique baissant, l’eau de la Méditerranée voisine s’y infiltre. « La salinité a ainsi atteint un niveau supérieur aux normes de l’Organisation mondiale de la santé [OMS] pour l’eau potable. » La contamination de l’aquifère est aggravée par les nitrates provenant des eaux usées non traitées et par les engrais utilisés par l’agriculture.
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    Reconstruire… et après ?

    Parmi les conséquences de « Bordure protectrice », 365 000 personnes sont à reloger, 17 000 logements sont détruits ou inutilisables, 5 600 partiellement inhabitables et 33 600 ont subi des dommages. « Au moins 373 000 enfants ont besoin d’un soutien psychologique direct. Ces enfants montrent des signes croissants de détresse : énurésie[4], refus de quitter les parents, cauchemars. Il est probable que tous les enfants de la bande de Gaza sont affectés par cette crise et devraient recevoir quelque soutien psychologique » écrivait l’Ocha dans son rapport du 15 août dernier sur la situation à Gaza. La terreur des enfants ne disparaîtra pas avec la trêve. Elle n’arrêtera pas les drones de surveillance et leur sifflement caractéristique, ni le passage d’avions à réaction qui crèvent trop souvent le mur du son.

    L’armée israélienne a tiré plus de 32 000 obus, sans compter des milliers de missiles. Un certain nombre n’a pas encore explosé. C’est quatre fois plus d’obus que lors de l’opération « Plomb durci » de 2008-2009. Les conséquences matérielles et psychologiques de cette guerre seront très longues à cicatriser. Le financement d’urgence demandé par l’Ocha atteint déjà 373 millions de dollars, montant qui ne prend pas en compte la reconstruction matérielle et psychologique ni les soins de longue durée des 1 000 enfants ayant subi une infirmité à vie, comme l’indique le dernier rapport de l’Ocha du 20 août 2014.

    Ne doit-on pas se demander pourquoi l’Union européenne et la communauté internationale devraient, encore une fois, participer à cette reconstruction, et laisser ainsi 2 millions de personnes dans un territoire invivable, sans ouverture vers l’extérieur ? Sans réelle solution politique équitable, une quatrième guerre est inévitable. « La trêve est inutile tant que Gaza restera une prison », écrivait, le 4 août dernier, Mgr Fouad Twal, patriarche de Jérusalem.