•  » [Reprise] Le point sur l’Ukraine par Jacques Sapir
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    L’ingérence de groupes étrangers est prouvée. Ainsi, Georges Soros s’en est-il même vanté et l’entrainement paramilitaire de militants néo-nazis ukrainiens en Pologne par des groupes polonais proches a été dévoilé par un journal polonais de gauche. Mais il y a aussi eu un soutien, implicite ou explicite et actif de la part d’Etat de l’Union européenne et des USA. On peut penser qu’il s’agissait plus de maladresse et d’aveuglement plutôt que d’un dessein, mais cela a conduit à une fuite en avant incontrôlée. Ainsi, des personnalités, et parfois des officiels, européens et américains vont défiler place Maïdan de décembre 2013 à février 2014, mais sans jamais dire, même à mots couverts, ni à ces manifestants ni à leurs relais politiques, qu’il n’y avait aucune chance d’intégration à l’UE de leur pays à court ou moyen terme, et ce contre toute prudence élémentaire.

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    Le soutien initial au mouvement « EuroMaïdan » était très diversifié et très large, et représentatif de la société ukrainienne dans sa diversité, tant toutefois qu’il était vécu comme un mouvement anti-corruption. Ce soutien allait donc d’un mouvement démocratique fort mais très peu organisé (mais qui s’effondre en réalité en janvier-février) jusqu’à des mouvements fascistes. Jusqu’en janvier, cette diversité prévaut mais une évolution apparaît alors d’un mouvement anti-corruption à un mouvement pour une intégration à l’Union européenne, créant une fracture interne. Dans le même temps, on assiste à la montée en puissance à l’intérieur de ce qu’il reste de ce mouvement de mouvements extrémistes tels que Svoboda[1] ou encore Pravy Sektor[2], et au muselage des voix discordantes. L’élection d’un nouveau président, Poroshenko, a d’ailleurs constitué, malgré le boycott massif des électeurs du sud-est de l’Ukraine, un (court…) moment de stabilisation politique, mais aussi l’expression d’une défiance populaire dans l’ouest le centre du pays à l’égard des extrémistes de Maïdan. La Russie elle-même reconnait son élection malgré le boycott d’une partie des russophones. Mais Poroshenko, vite mis en face de ses contradictions, choisit la méthode forte en déclenchant une opération militaire dans le Donbass (région de l’est de l’Ukraine et poumon industriel du pays), réduisant à néant presque aussitôt les espoirs nés de son élection.

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    Ce soulèvement dans le sud-est de l’Ukraine, particulièrement puissant dans le bassin industriel du Donbass, est très composite. Ses principales motivations sont l’absence de confiance envers les autorités de fait installées à Kiev par le mouvement « EuroMaïdan », le souci de défense de la langue russe et de leurs spécificités par la population locale, le sentiment antifasciste vivace hérité de la 2eGuerre mondiale et l’enracinement des idées communistes dans cette région cultivant une forte nostalgie de l’époque soviétique.

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    Très vite, les pertes civiles vont être importantes. La Garde Nationale, qui rassemble des militants du « secteur droit » (Pravy Sektor) et de Svoboda, va se distinguer par les exactions commises. On doit ici rappeler le drame d’Odessa ou des militants d’extrême-droite ukrainiens vont bruler vifs près de 40 militants pro-insurrection. Ce drame a des conséquences politiques et psychologiques très importantes. Aussi, dès la fin juin, des volontaires russes, des communistes (du KPRF) mais aussi et majoritairement des nationalistes, parfois d’extrême-droite, viennent progressivement épauler ces insurgés. Ces volontaires seraient entre 3000 et 5000 dans les forces insurgées. A partir de la seconde moitié du mois de juin, et surtout dans le mois de juillet, on assiste à une prise de contrôle de l’appareil décisionnel plutôt par la fraction la plus nationaliste. Mais sans effusion de sang ni exclusion de la fraction communiste toutefois, qui conserve des leviers politiques. Par ailleurs, des volontaires européennes antifascistes, surtout des Espagnols et des Italiens, sont actuellement présents pour se battre aux côtés des insurgés. Il y a aussi des Français d’origine ukrainienne, anciens de la Légion étrangère engagés dans les années 1990, ainsi que d’anciens camarades de régiment à eux venus là les aider. Une forte confusion sur le plan politique prévaut donc. Ce qui fait leur unité, je pense, plus que l’idéologie nationaliste, c’est la volonté de sauver la population civile victime de véritables massacres, de bombardements systématique, et menacée d’épuration ethnique.

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    Il existe une implication russe qui se précise dans le cours du mois de juillet et début août, mais elle est indirecte et non directe. Ainsi, il y a une tolérance en faveur du recrutement de volontaires pour le Donbass, mais pas de troupes russes engagées par le Russie sur place, du moins jusqu’au 15 aout. Depuis, la Russie semble avoir franchi un pas, et s’être impliquée plus directement. Aujourd’hui (30 août), il semble qu’il y ait environ un millier de soldats russes en Ukraine. Ceci constitue bien entendu un développement nouveau et inquiétant, même si cela ne saurait expliquer les victoires remportées par les insurgés depuis le 15 août. Rappelons que les forces de Kiev comptent environ 50 000 à 60 000 combattants déployés contres les insurgés, et que ces derniers déploient environ 15 000 hommes. La question de l’équipement des insurgés a été posée à de nombreuses reprises. Rappelons que, lors de la phase initiale de l’insurrection, ces derniers ont saisi des quantités importantes d’armement sur la police ou sur les unités de l’Armée qui se trouvaient à Donetsk et Lougansk, et dont la plupart se sont soit débandées soit on rejoint les insurgés. Par ailleurs, de nombreuses unités loyalistes ukrainiennes qui ont été encerclées par les insurgés se sont rendues que ce soit aux insurgés ou aux gardes-frontière russes. La Russie a alors rétrocédé leur matériel militaire aux insurgés. On ne peut pas dire que la Russie soit neutre, mais elle n’est toutefois pas en état de belligérance avec l’Ukraine du point de vue du droit international. L’aide de conseillers militaires russes aux insurgés est possible, et pour tout dire assez probable, mais elle n’a toutefois jamais été prouvée. Inversement, l’aide de conseillers militaires américains à l’armée ukrainienne ne fait par contre aucun doute, de même que l’emploi de « mercenaires » (de la compagnie Academi qui est le nouveau nom de Blackwater, un société de sécurité privée) voire de volontaires polonais et Baltes.

    Propos recueillis par J. Wachill, pour le journal étudiant amiénois Solidarité Etudiante (journal d’information syndicale de l’AGEP)

    #Ukraine #Russie