Oui, j’ai vu des arbres que je fréquente depuis des années être abattus par les machines de mort, j’ai vu les gens y grimper à l’aube pour les protéger, j’ai vu les tentatives de ralentir les robocops avec des barricades et des cocktails Molotov – quelle naïveté, vu comment ils sont équipés.
Tu penses que nous ne sommes pas assez « équipés » ? Moi, je suis pour la résistance active, mais sans moyens violents. Je suis pacifiste.
Pourquoi te sens-tu obligé de me dire cela, et d’un ton si supérieur ? Aurais-tu du mépris pour celles et ceux qui, comme moi, ne se définissent pas comme « pacifistes » ?
Non, aucun mépris, excuse-moi. Je pense même qu’il s’agit d’une composante indispensable de la lutte. Tu me confonds peut-être avec d’autres gens, ceux qui se disent « légalistes », cherchent à négocier avec les autorités et se démarquent des « occupants » et des « violents ». En ce qui me concerne, je n’hésite pas à violer la loi pour défendre mes idées. Mais si je combats la violence de ce système, c’est parce que je m’oppose à toute forme de violence. Je suis donc pacifiste.
Je trouve bizarre la manière dont tu te définis et dont tu parles des autres composantes de ta lutte. Nous, dans la Résistance, nous ne nous divisions pas en légalistes, pacifistes et violents. Il y avait les maquisards qui vivaient armés dans la clandestinité, la population qui nous soutenait matériellement et les gens qui, au sein de l’administration, faisaient les faux papiers et transmettaient certaines informations – c’est grâce à l’union de ces trois composantes qu’il y a eu de la résistance en France, et il aurait été désastreux de se dissocier de l’une. Votre distinction – car tu n’es pas le seul à parler en ces termes – a forcément pour effet de stigmatiser ce qu’il faudrait soutenir en priorité : celles et ceux qui prennent le risque de menacer le bon déroulement du programme de destruction concocté par les autorités.
Soit, mais nos situations n’ont rien à voir – et il faut s’y adapter. On ne peut comparer le nazisme et ce que je combats : Carcenac est un escroc, mais ce n’est pas un Hitler qui assassine à tour de bras. Les gendarmes mobiles commettent des exactions, mais ils ne tirent pas à balles réelles.
C’est vrai, mais tu m’as dit toi-même que les logiques économiques et politiques qui poussent à faire ce barrage, elles menacent la vie et donc l’humanité. Et tu vois bien que ce barrage, il est fait contre vous. Contre votre monde, vos idéaux et vos pratiques pacifistes. Si vous n’arrêtez pas le chantier, vous allez sortir de cette lutte affaiblis, collectivement et individuellement. Il faut donc résister, tous ensemble. A chacun de faire ce qu’il peut en fonction de ce qu’il sait et se sent capable. Pour gagner un combat, de toute façon il faut de tout et ne pas reculer devant l’épreuve de force. L’essentiel, c’est de ne pas se dissocier des autres – çà, c’est faire le boulot du pouvoir : « diviser pour mieux régner ».
Il faut de tout, certes, mais tout n’est pas toujours possible ensemble – quand des gens lancent de loin des cailloux sur les flics qui encerclent les militants pacifistes enterrés, c’est stupide et dangereux. De toute façon, je ne pense pas qu’il soit possible de battre l’Etat sur son propre terrain. Je ne pense même pas qu’il soit souhaitable d’entrer dans ce jeu-là, nous n’avons rien à y gagner.
Vu le rapport de force, tu as peut-être raison. Mais je crois tu ne m’as pas bien comprise : pour moi, le problème n’est pas de savoir si on est prêt ou pas à recourir à la violence – ça, c’est une question personnelle, qui dépend de notre histoire, de l’Histoire aussi, des circonstances, etc. Mon propos n’a jamais été de dire que seuls les maquisards avaient fait le bon choix. Le problème à mes yeux, c’est que tu te définisses d’une manière qui donne le mauvais rôle à certains de tes camarades ; c’est que les adjectifs définissant les différentes branches de la lutte sont des catégories policières qui aboutissent, en te posant comme innocent, à montrer implicitement du doigt les autres comme criminels. Là, tu fais le jeu du pouvoir, qui cherche toujours à discréditer ses opposants comme « violents », voire « terroristes ». Dis moi seulement, d’où vient cette question de la « violence » ?