• Le retraçage assez incroyable par Michel Charles d’un sérial plagiaire dans les milieux et les revues d’analyse littéraire, qui a réussi à survivre quelques décennies sans se faire prendre.
    C’est un peu raconté comme une enquête, ça en dit beaucoup sur le monde universitaire et surtout sur les revues savantes, et franchement ça m’a assez captivé.

    Fabula, Atelier littéaire : Plagiat sans fard
    http://www.fabula.org/atelier.php?Plagiat_sans_fard

    J’ai reçu cet été un courrier de R.-L. Etienne Barnett. Il disait appartenir à l’Université d’Atlanta et au CNRS, exhibait des titres divers et prestigieux et, « sur la fervente recommandation » de deux personnes connues dans notre petit monde, proposait à Poétique un article « récemment achevé » et intitulé « Aux rets de l’insignifiant. Pour une poétique de l’anodin. » Au début de ma lecture, alors que le texte soumis était tout à fait fluide, j’ai trouvé très bizarres deux ou trois expressions qui ne s’inscrivaient pas dans le même registre que le reste (« nuageux soupçon », « parcours littéraire trans-temporel », « saillamment »). Ces microdérapages m’ont conduit à penser que le texte pouvait avoir été corrigé, et mal corrigé. A moins que quelques éléments n’aient au contraire échappé à une bonne révision. Je ne trouvais pas la clé de ce petit mystère stylistique. Intrigué, j’ai cherché si, par hasard, il existait une autre version de ce texte. Il y en avait une : c’était un article de Jacques Poirier publié en 2009. On pouvait même trouver deux versions de cet article, décidément peu anodin : outre celle de l’auteur (du vrai), une autre, publiée en 2013, avec un titre différent, et déjà sous le nom de R.-L. Etienne Barnett (voir ci-dessous le n° 15). Bref, c’était un cas de plagiat, un cas limite dans la mesure où le texte n’était quasiment pas maquillé. Disons que le plagiaire n’avait pas jugé bon de se servir du traité de Richesource sur l’art du déguisement, qu’il avait pourtant à sa disposition dans le numéro 173 de Poétique, justement, et que j’avais plutôt affaire à une vulgaire copie. Ce mépris était déjà désagréable : c’était bien la peine de publier un traité du plagiat ! Par ailleurs, le procédé était si grossier que je me suis alors demandé s’il ne s’agissait pas d’une mystification dont la finalité m’échappait. Une hypothèse qu’aujourd’hui je ne crois malheureusement plus tenable.

    Une enquête a montré que ce coup n’était pas un coup d’essai. J’ai pu établir une liste de dix-huit textes qui, sur seize ans, ont fait l’objet de trente-quatre plagiats ou copies (certains originaux ayant donné lieu à deux, trois, voire quatre copies) dans neuf revues différentes. On n’est plus du tout dans l’anodin. Remarquable production (bien que peu homogène) si elle avait effectivement été l’œuvre d’un seul auteur. Un mauvais esprit supposera que la liste est très vraisemblablement incomplète, les conditions de cette petite recherche en limitant la portée. Je dois le reconnaître, je n’ai pu relever que les cas où les textes étaient plus ou moins accessibles en ligne (intégralement ou à partir d’éléments suffisants pour commencer à les identifier). Je concède même qu’il faudrait ajouter aussi quelques tentatives de plagiat qui n’ont pas réussi.

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