• L’armée israélienne est colonisée par les religieux | Mediapart
    11 décembre 2014 | Par René Backmann
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    Année après année, l’armée israélienne s’est « théocratisée ». Les rabbins se font désormais inspecteurs des casernes et négocient les missions et le statut des soldats avec les hauts gradés. Cette présence désormais massive de religieux ultra-orthodoxes pose le problème du rôle politique de l’armée et de son attitude si elle reçoit un jour l’ordre d’évacuer les 500 000 colons de Cisjordanie et de Jérusalem-Est.

    Datée du 9 juillet, au deuxième jour de l’opération « Bordure protectrice » contre la bande de Gaza, la lettre porte la signature du colonel Ofer Winter, commandant de la brigade Givati, l’une des plus célèbres unités d’infanterie de l’armée israélienne. Né à Kyriat Ata, à l’est de Haïfa, formé à l’école militaire religieuse Bnei David, dans la colonie d’Eli, au cœur de la Cisjordanie, le colonel Winter, qui porte la kippa des juifs ultra-orthodoxes, est un soldat de choc. Pendant ses classes, il s’est porté volontaire pour le commando d’élite Sayeret Matkal, puis pour les parachutistes et l’unité spéciale Maglan, chargée de l’infiltration derrière les lignes ennemies, avant de coiffer le béret violet de la brigade Givati et d’en prendre le commandement en 2013.

    Qu’un commandant d’unité de combat parle ou écrive à ses hommes avant une offensive pour préciser le sens et la valeur de leur mission est assez banal, en Israël comme ailleurs. Ce qui l’était moins, dans la lettre du colonel Winter, dactylographiée en hébreu et frappée de l’emblème des Givati, un renard pourpre, c’était le ton. Et le choix des arguments mobilisateurs. Après avoir affirmé à ses « chers officiers et soldats » qu’ils avaient « le grand privilège de commander et de servir dans la brigade Givati », il affirmait qu’ils avaient été « choisis par l’histoire pour être le fer de lance du combat contre l’ennemi terroriste qui maudit, défie et profère des blasphèmes contre le Dieu des armées d’Israël » . Et il concluait en adressant au ciel une prière : « Dieu d’Israël, donne-nous la victoire, aide-nous à vaincre cette bataille pour Ta Nation, Israël, contre un ennemi qui maudit Ton nom »

    Dérapage mystique d’un dévot en uniforme ? Égarement rhétorique d’un soldat en proie à une soudaine exaltation messianique ? Non. Choix décomplexé, assumé, d’un officier religieux qui ne voit pas de frontière entre son devoir de soldat et sa mission de croyant. Et établit sa propre hiérarchie entre les ordres de l’État, du gouvernement et les injonctions divines.

    Car Ofer Winter ne s’en est pas tenu là. Quelques semaines plus tard, alors que l’offensive contre la bande de Gaza était toujours en cours, le commandant de la brigade Givati a accordé une longue interview à l’hebdomadaire ultra-orthodoxe Mishpacha dans laquelle il affirmait qu’il ne regrettait pas un mot de sa lettre. « Ceux qui m’ont attaqué à propos de ce texte, expliquait-il, n’ont vu des armes qu’en photo, n’ont jamais combattu et ne savent pas ce qu’est l’esprit du combat. Lorsqu’une personne se trouve dans une situation où sa vie est en péril, elle se trouve confrontée à ses vérités les plus profondes, et dans ces cas-là, même l’athée le plus athée rencontre Dieu »

    Dans la même interview, Ofer Winter allait plus loin encore en confiant à Mishpacha que son unité avait miraculeusement bénéficié de la protection divine au cours d’une opération. « Un raid nocturne que nous avions préparé a été retardé et le soleil venait de se lever lorsque les soldats se sont mis en route en direction de leur objectif, ce qui les exposait à l’ennemi. À ce moment précis, un brouillard épais est descendu du ciel pour couvrir leurs mouvements jusqu’à la fin du raid. Et il ne s’est dissipé que lorsqu’ils se sont retrouvés à l’abri, mission accomplie. C’était clairement l’exaucement du verset : Le Seigneur Dieu est celui qui t’accompagne pour te donner la victoire » , ainsi qu’il est écrit dans le Deutéronome.(...)