Pierre Coutil

de celles et ceux qui marchent avec… (enfin qu’essayent).

  • Pour mes élèves de Seine Saint-Denis (Tailspin)
    http://tailspin.fr/post/107696839163/pour-mes-eleves-de-seine-saint-denis

    Alors ils m’ont dit ce qu’ils pensaient. Tout le monde a participé à la discussion. Voici ce qu’ils m’ont dit.
    Ces gens-là, madame, c’est pas des musulmans, c’est des tarés.
    C’est péché de tuer.
    Ils sont cons, ils vont aller en enfer, ils ont pas droit de tuer les gens. Allah est le seul qui peut juger, on n’a pas le droit de juger.
    Mais madame, si les dessinateurs étaient menacés de mort depuis longtemps, pourquoi ils ont continué ? Ils auraient dû arrêter, ils auraient été tranquilles. C’était quand même un peu abusé, ils en rajoutaient tout le temps.
    […]
    Toutes et tous ont compris. Aucun ne m’a dit : « C’est bien fait », « Ils l’ont bien cherché », « Je suis bien content-e ». Aucun. Je n’ai pas eu besoin de les mener à dire quoi que ce soit. Ils l’ont dit eux-mêmes. Les enfants de Seine Saint-Denis ne sont pas des idiots.

    Et moi non plus, enseignante, je ne suis pas idiote. Je ne baigne pas dans la démagogie dégueulasse dont on nous pense souvent coupables.
    Je sais qu’une poignée d’élèves a refusé de faire la minute de silence, quand une grande majorité l’a respectée sans aucun problème. Curieusement – ou pas – ce sont les mêmes élèves qui, tout au long de l’année, ne respectent pas l’école ni les enseignant-e-s. Les mêmes qui viennent au collège sans leurs affaires, ne font pas leur travail, n’apprennent pas leurs leçons, perturbent le cours. Les mêmes dont les parents ne viennent pas aux réunions de remise des bulletins, les mêmes dont la famille ne répond pas au téléphone. Les mêmes dont nous peinerons à freiner la déscolarisation.
    Ce n’est pas une coïncidence.
    […]
    Lorsque je vois qu’un quotidien national, quelques jours après l’attentat contre Charlie Hebdo, part investiguer dans le 93 pour savoir comment ont réagi les élèves, je m’interroge, parce que l’odeur qui émane d’une telle démarche n’est pas très agréable à sentir.
    Pourquoi le 93 ? Aucun de ces terroristes ne venait de Seine Saint-Denis. Aucun. Pourquoi le 93 ?
    […]
    Je regrette vraiment qu’aujourd’hui les élèves du 93 soient stigmatisés, au lendemain de l’attentat terroriste, et je ne comprends pas pourquoi les médias choisissent de titrer, dans un geste racoleur qui me fout sérieusement la gerbe, « Les élèves de Seine Saint-Denis ne sont pas tous Charlie ».
    Les élèves de Seine Saint-Denis n’ont surtout rien demandé. Ils aimeraient bien qu’on leur foute la paix, pour une fois, qu’on arrête de braquer les projecteurs sur eux dès qu’un bas du front islamiste vient dire ou commettre quelque chose d’effroyable.
    Pas d’amalgame, dit-on.
    Sauf qu’on regarde toujours du même côté quand quelque chose ne va pas. On dresse l’inconscient des lecteurs, même les plus intelligents, à créer une association d’idées entre un attentat terroriste et des gamins de Seine Saint-Denis qui ne représentent pas la majorité et qui sont conditionnés par le milieu qui les a vus naître.
    Oui, il y a des connards en Seine Saint-Denis. Oui, il y en a qui sont bien contents que Charb se soit pris une balle dans la tête.
    Non, tous les enfants de Seine Saint-Denis ne sont pas pour ces attentats. Non, tous les enfants de Seine Saint-Denis ne sont pas d’accord avec l’intégrisme islamiste. C’est même le contraire. Certains ont écrit spontanément des plaidoyers pour la liberté d’expression. D’autres ont eu des remarques plus intelligentes que certains adultes. D’autres ont lu « Liberté » de Paul Eluard en sanglotant.
    En braquant les caméras et les dictaphones sur une poignée de crétins, on oublie l’intelligence des autres et la sienne.
    Pendant ce temps-là, des Musulmans et des Musulmanes se font agresser. Des mosquées sont incendiées, taguées, injuriées.

    #éducation #médias #stigmatisation #collège #Seine-Saint-Denis

    • 1 autre témoignage :http://www.chouyosworld.com/2015/01/14/mes-eleves-un-drame-et-des-mots

      Et encore plus intéressant encore, une collecte de témoignages par un collectif de profs d’histoire-géo, où l’on découvre (alors qu’on devrait partir de là à mon sens) que certains élèves sont terrorisés : « Bonjour Madame,

      Je suppose que vous avez appris pour le Charlie Hebdo mercredi.. hier à Montrouge et ce matin prise d’otages.. a dammartin plusieurs coup de feu depuis 9h15.. en Seine et Marne... A coté.. de chez nous .. ça fait peur.. moi même Je commence à avoir peur Madame... Ai-je raison d’avoir peur ? ... »

      "Et ils ont « débattu » quasiment sans moi ensuite. Pareil, ni plus ni moins intéressant qu’avant. 
Mais avec beaucoup plus de scepticisme sur les pistes possibles pour sortir de cette merde.
"Il faut attendre qu’ils nous mettent dans des trains pour qu’il y ait un sursaut" dit l’une, citant Zemmour et Houellebecq. 
"C’est pas nous qui pouvons faire quoi que ce soit"
Un moment sur la violence qui a débouché sur une petite touche conspirationniste que j’ai désamorcée en me levant pour feindre de chercher les micros des RG et en faisant le clown pour les convaincre que j’étais une espionne, d’ailleurs, ai-je dit, « ne suis je pas un peu différente de d’habitude »

      « Bonsoir madame
J’avais un rdv médical aujourd’hui c’est pour ça que je n’ai pas pu assister à vos cours. Je voudrais vous posez des questions sur ce qu’il se passe en ce moment désolé de vous déranger alors que vous êtes en week end. Pensez vous que ça pourrait s’aggraver encore plus ? Que ça va être comment l’attentat du 11 septembre ? Vous pensez qu’il peut y avoir une guerre ? Je suis terrorisé j’ai même plus envie de sortir de chez moi c’est horrible d’instaurer un climat de terreur aussi fort. Je ne sais pas à qui poser mes questions et je pense que vous êtes la mieux placer. »

      « Je suis sortie vidée et assommée surtout par leur sentiment d’impuissance. Ils sont convaincus d’un fatalisme qui fonctionne sur une tautologie assez inextricable : l’Etat (ils ne savent pas ce qu’est l’Etat, il faudra y réfléchir) ment mais l’Etat fait. Donc eux n’ont rien d’autre à faire qu’à attendre que l’Etat fasse mais l’Etat ne fera rien d’autre que mentir. CQFD. Inertie. »

      http://aggiornamento.hypotheses.org/2538