Il y a un très intéressant développement dans le livre de George Corm sur l’idée de la prépondérance des penseurs chrétiens dans le développement de la nahda (la renaissance arabe moderne). Idée qui n’a, selon lui, « aucune consistance ».
De même, les tendances modernisatrices dans la pensée arabe ont souvent été attribuées aux penseurs chrétiens, supposés plus proches de la modernité européenne par leur affiliation religieuse, alors que les penseurs musulmans auraient opposé une résistance à cette modernité. Comme on le verra, cette thèse n’a aucune consistance, car les clercs musulmans ont très longtemps joué un rôle central dans l’intégration de la modernité dans la culture religieuse musulmane : affirmer que le travail d’acculturation des sociétés arabes aux idées européennes a été principalement le fait des élites chrétiennes constitue donc un contresens historique majeur.
Il attribue le succès de cette idée à l’influence de l’ouvrage d’Albert Hourani (1962) :
Cette présentation n’est pas innocente, d’autant que, comme on le verra, je ne pense pas qu’il existe dans ce domaine des différences majeures entre penseurs chrétiens et musulmans, ni que les penseurs chrétiens aient été plus radicaux que leurs confrères musulmans dans l’appel à la séparation du temporel et du spirituel. L’idée que, parce que chrétiens par leur naissance, ces penseurs seraient plus proches des idées laïques européennes et plus radicaux que les musulmans ne correspond pas à la réalité des écrits où chrétiens et musulmans ont également réclamé la séparation du temporel et du spirituel, la valorisation de l’individu et sa liberté, y compris la liberté de conscience. Compte tenu de la notoriété acquise par l’ouvrage d’Hourani, cette dichotomie sera malheureusement souvent reproduite par d’autres auteurs, en dépit de son inconsistance – j’y reviendrai plus longuement.
(J’ai encore vu passer cette idée, présentée comme une évidence, aujourd’hui même sur Twitter.)
