• Il y a tellement à dire sur Mad Max que certains feraient mieux de se taire - Vodkaster
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    Mad Max 4 est un tel succès critique qu’on finirait presque par avoir envie d’en dire du mal, uniquement par esprit de contradiction... Après plusieurs visions on se dit bien qu’il y aurait moyen de lui reprocher certains détails, mais impossible de nier la richesse de son sous-texte. Grisé par la portée immédiate de ce film monumental qui brasse féminisme, écologie et animalisme dans un geste furieux, mon esprit peine à faire complètement le tour de cet objet magnifique.

    Et puis j’allume la radio.

    – Je suis trop vieux pour ces conneries. C’est une réplique de l’Arme Fatale numéro 4.

    "Numéro 4", sérieusement ? Non mais qui parle comme ça ? Apparemment c’est Pierre Murat de Télérama, à la fois meuble et dinosaure installé du Masque et la Plume. Il a 67 ans. Le premier Mad Max a 36 ans et son réalisateur en a aujourd’hui 70. Pierre Murat n’est donc pas trop vieux pour ces conneries, le problème est ailleurs.

    – Si on aime un cinéma qui n’est fait que de poursuites... La première dure à peu près une demi-heure. C’est des plans de clips. Je ne sais pas combien il y a de plans par minute.

    Parler de clips pour critiquer le cinéma américain, on se croirait en 1995… Et en plus, il y a erreur. Mad Max n’a pas tant de coupes que ça. Il recourt même souvent aux plans-séquences. Regardez la capture de Max, au début : on part du plan large sur la voiture qui part en vrille, pour terminer sur le visage de Tom Hardy s’extrayant de la carcasse, sans aucune coupe.

    – Non mais pourquoi pas. « Why not », comme dirait Jean-Marc Lalanne. Sauf que là, "not" […] Je m’en fiche éperdument. Et c’est toujours la Terre Promise. On n’arrive pas à la Terre Promise, et on cherche ailleurs, et puis il y a un tyran qu’on renverse : j’ai vu ça tellement de fois, dans tellement de navets boursouflés, que ça en fait un de plus. A la limite je préfère – je ne les ai pas revus – la modestie qu’il y avait, dans ces petits navets des années 80.

    Pourquoi faudrait-il s’interdire de recourir aux mythes ? De la Terre Promise, il y en a plein chez Ridley Scott, de Kingdom of Heaven à Prometheus, en passant par Mensonges d’Etat ou Robin des Bois. Ça n’en fait pas un réalisateur sans idées pour autant. En plus, la Terre Promise est un thème particulièrement en vogue, maintenant que l’écologie s’affermit à Hollywood, que le rêve d’un monde inviolé se fait de plus en plus prégnant. Mais ne parlons pas d’écologie à Pierre Murat, me dis-je : quand il est né, nous n’étions que 2 milliards sur Terre et on dirait qu’il ne s’est pas donné la peine de mettre à jour ses connaissances écologiques.

    – Tu préférais Mel Gibson, c’est ça en fait. Le fond de l’histoire.

    – Moi j’aime bien Tom Hardy, je le trouve très sexy.

    – Ah bon ?

    Sous-entendu : « ah bon, toi l’hétérosexuel confirmé, tu es capable de reconnaître le sex-appeal d’un individu de ton sexe ? Tu es vraiment quelqu’un d’intelligent et d’avant-gardiste ». Pour dire quelque chose de réellement plus intelligent, il aurait suffi de dire que Tom Hardy n’est pas sexy dans Mad Max : Fury Road. Il n’apparaît jamais torse-nu, par exemple, n’échange pas de baiser avec l’héroïne ni avec aucune autre et d’ailleurs, il se contre-fout de séduire qui que ce soit. C’est aussi ça, le charme du film : il ne cherche pas à plaire (est-ce pour ça qu’il y arrive autant ?). Bien sûr, il cherche à plaire parce qu’il y a du spectacle et des explosions, mais ce barbu atrophié derrière la longue-vue ; cette scène d’ouverture où le héros ne parvient pas à s’enfuir et se fait misérablement capturer de nouveau ; ce monde étourdissant à force d’être répugnant : est-ce que c’est sexy, ça ? Les nymphes qui s’éclaboussent au jet d’eau, c’est le seul moment d’érotisme, l’unique. Etrange qu’on en parle autant. Les gens doivent aimer ça, l’érotisme, sous leurs airs de s’en dédire.

    – Ouais. Même avec sa muselière. Parce qu’il passe les trois quarts du film avec une muselière. Qu’il essaie chaque fois d’arracher.

    – Mad Max disparaît du film pendant sa première heure, c’est déjà un coup de force incroyable. C’est un film génial. Qui ne dit pas du tout des conneries. Je trouve le film très supérieur à la première trilogie des années 80 qui était déjà très bien. J’avais peur parce que George Miller était très marqué par son époque. Effectivement, il avait une esthétique très clipée fondée sur des plans très courts, très surdécoupés. Et ce que dit Pierre n’est pas tout à fait vrai. Il y a beaucoup de plans assez longs pour montrer que les cascades sont effectuées réellement dans le film.

    – Oui c’est ça, voilà. C’est pas les effets spéciaux habituels.

    « Ce que dit Pierre n’est pas tout à fait vrai » : belle tentative de Jean-Marc Lalanne de suggérer à l’auditeur de France Inter qu’il vient d’écouter un tissu d’affabulations… Il y a bien un élément intéressant, mais il n’est pas creusé. Une partie des effets spéciaux de Mad Max 4 est bien révolutionnaire, celle qui implique une fabrication des plans en mosaïque donnant l’illusion de la vitesse et du danger comme jamais auparavant. Miller a choisi de fondre plusieurs prises en une pour fabriquer les cascades les plus impressionnantes possibles en gardant la meilleure partie de chaque prise ; sans compter les nombreux effets numériques. Ces derniers, inédits à cette échelle, n’ont cependant rien de fondamentalement nouveau : on ajoute des voitures numériques pour augmenter le danger visible dans Bad Boys II, du décor numérique pour simuler la vitesse dans Indiana Jones 4, etc.

    – Il y a des accélérés tout le temps.

    Nouvelle hyperbole. Il y a plutôt des ralentis, puis des retours à la vitesse réelle qui donnent des impressions d’accélération. C’est vieux comme Matrix. L’effet de rythme est surtout souligné par les nombreux contrepoints entre la musique et l’image (en gros, il arrive à la musique de ralentir quand l’image s’accélère, et vice-versa). Le recours au Requiem de Verdi est passionnant, tant dans ce qu’il dit du rapport d’Hollywood à son classicisme, à sa propre musique classique à lui, que dans l’emploi qui en a été fait récemment (rappelons-nous de Lone Ranger et de l’ouverture de Rossini, employée ici également pour étoffer des courses-poursuites gorgées de numérique). Beaucoup plus intéressant, en tout cas, que le recours à la musique classique dans un film comme La Tête haute, où Mozart vient simplement adoucir le propos et littéralement ajouter une "petite musique" à des scènes dont le cinéma a l’habitude.

    #mad_max #critique #france_inter