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récoltes et semailles

  • Une Toile pleine d’imagination..., par Pascal Lardellier (septembre 2006)
    http://www.monde-diplomatique.fr/2006/09/LARDELLIER/13952

    Le Net est un outil formidablement décomplexant. Chaque internaute est acteur du débat (souvent anonymement, ceci a aussi son importance) ; et surtout acteur de l’#information « en train de se faire ». Bien sûr, certains peuvent être tentés par un peu de zèle dans la recherche de la « vérité ». Comme on peut facilement emprunter des raccourcis en interprétant des données numériques sans domiciliation fixe, ou considérer la Toile comme un déversoir à ciel ouvert, l’adjuvant cathartique est propice à l’expression de toutes les rancœurs.

    Plus d’intermédiaires, une liberté de parole totale, un accès instantané à tous types d’informations, via quelques mots-clefs... En regard d’une méfiance de plus en plus marquée vis-à-vis des #médias traditionnels, prompts à perpétuer le système et à asseoir ses tenants, le Net – « utopie démocratique et citoyenne », selon l’expression consacrée – est devenu l’agora providentielle des anonymes, mais aussi des « déviants » et des méfiants.

    #Internet #conspirationnisme

    • Il y a aussi ceci, par un certain @fil : « Si c’est écrit… » (@mdiplo, novembre 2001) https://www.monde-diplomatique.fr/2001/11/RIVIERE/8153

      Tous les internautes ont vu passer ces informations : une prophétie de Nostradamus annonçait les attentats du 11 septembre ; les images de Palestiniens se réjouissant des attentats, diffusées par CNN, datent en réalité de 1991 ; voici la dernière photographie prise depuis le toit du World Trade Center, au moment où l’avion vient le percuter ; prévenus par le Mossad, quatre mille Israéliens employés sur le site se sont abstenus de venir travailler ce matin-là ; un café de la ville de New York demanda 130 dollars à un médecin pour l’eau dont il avait besoin pour soigner les victimes. Faut-il préciser que - à l’exception du dernier - tous ces renseignements sont faux ?

      Internet comprendrait, selon certaines études, plus de deux milliards et demi de pages consultables publiquement sur la Toile, auxquelles viennent s’ajouter quotidiennement pas moins de sept millions de documents. Les courriers électroniques s’échangeraient, pour leur part, par centaines de millions chaque jour. Régulièrement, de cette soupe primitive, émergent des éléments qui croissent et se multiplient, se répandent, se répercutent de site en site, de courriers en messageries instantanées. Tel Superman, ils effectuent alors leur tour du monde à une vitesse de plus en plus vertigineuse, jusqu’à obtenir le statut de « rumeur planétaire ». Au-delà de leur pertinence, au-delà de leur véracité, ils se distinguent avant tout par leur capacité à se propager plus vite que les autres.

      Grand biologiste néodarwinien, Richard Dawkins nomme « #mèmes » ces fragments d’idées ou de discours dotés, à l’instar des gènes de la biologie, d’une faculté de reproduction. Pour les théoriciens modernes de l’évolution des espèces, les êtres vivants ne sont que des véhicules pour les gènes, conduisant ceux-ci d’une génération à la suivante. Les gènes montés à bord d’un « bon » véhicule - soit par chance, soit par leur implication directe dans la conduite de ce véhicule - seront, de génération en génération, plus nombreux, et sortiront gagnants de l’évolution.

      Dans le #cyberespace (la partie numérique du monde dans lequel évoluent les mèmes) et la noosphère (l’ensemble des pensées humaines, selon une expression trouvant son origine chez Teilhard de Chardin), un mème sort gagnant s’il est capable de monter rapidement à bord d’un grand nombre de « bons véhicules ». Spécialistes de ce type d’infection sans intervention humaine, les « vers » et autres virus informatiques exploitent les failles des logiciels les plus répandus, s’exécutent sur la machine cible qui les répercute vers des centaines de nouvelles cibles, dans une boucle exponentielle.

      « Plus vieux média du monde », la #rumeur, elle, ne doit pas seulement se transmettre de machine en machine : il lui faut s’introduire dans les cerveaux. Plus que ses qualités propres - fiabilité et pertinence -, c’est son adéquation au milieu dans lequel elle évolue qui, d’une divagation, peut faire une information puissamment relayée. « Face à la perte de confiance vis-à-vis des médias traditionnels, l’opinion publique a fini par se persuader que la vérité lui est cachée, explique - par courrier électronique - Guillaume Brossard, qui recense ces rumeurs avec l’équipe du site HoaxBuster. Pourquoi la vérité ne serait-elle pas là, dans nos e-mails, qui eux sont totalement libres de diffusion ? De plus, en chacun de nous sommeille un « héros » à l’affût du moindre scoop ou de l’info exclusive. Il semble qu’il y ait une véritable jouissance à détenir, avant tout le monde, l’information, et à la relayer. Et puis « On ne sait jamais, si c’était vrai ? », nous écrivent de nombreux internautes. »

      Ainsi, aux vecteurs classiques de diffusion des pensées - l’instruction, les médias de masse, la culture, les discussions -, l’interconnexion entre le cyberespace et la noosphère ajoute un canal supplémentaire aux caractéristiques inédites : immédiateté, décentralisation, dimension planétaire. Propriétés particulières dont découlent quelques effets :

      – un total découplage entre vérité et diffusion : qu’elle soit « vraie » ou « fausse » n’entrave ni ne facilite la marche d’une rumeur ;

      – un irrépressible jaillissement d’« informations » douées pour la reproduction mentale, et la nécessité pour les autres canaux d’« information » de les analyser, de les valider, de les critiquer ;

      – l’impossibilité de faire parcourir à un « démenti » les mêmes chemins qu’à l’« information » initiale ; le « démenti » ne pourra qu’emprunter un autre chemin (tribunaux, campagnes publicitaires dans la presse, informations télévisées, école...) ;

      – le sentiment d’hébétude qui saisit notre contemporain face au déluge informationnel.

      Il faudra un siècle pour absorber, dans toutes leurs incidences culturelles, ces outils de communication, pour construire de nouveaux modes d’information à la fois fiables et décentralisés, responsables et démocratiques. Un siècle durant lequel prospéreront marchands de rumeurs, agences de publicité exaltant le « marketing viral », arnaqueurs et officines de propagande. Assommés et blasés, nous apprendrons progressivement à soupeser la valeur de nos « infos exclusives » avant d’appuyer sur la touche « envoi ». Et, sans remords, nous enfoncerons la touche « effacer ». Mais la rumeur, malgré notre #attention, trouvera l’occasion de redémarrer, car elle est la créature la plus apte à survivre dans la société de la communication immédiate.