#Kanjiža, dernier arrêt avant d’entrer dans l’UE (Politika)
Dans leurs GPS, les Syriens les plus favorisés ont indiqué cette ville
frontalière, où ils attendent la nuit avant de passer la « frontière
verte ». Photo (A. Isakov) : le repos avant de surmonter le dernier
obstacle : la frontière hongroise.
Kanjiža – Je ne dirai pas mon vrai nom, mais seulement le surnom de
dr. Tony, parce que si ce soir nous ne parvenons pas à franchir la
frontière, je ne souhaite pas voir mon nom dans le journal, dit de
façon catégorique ce médecin qui a quitté la Syrie il y a 3 mois.
« J’ai pleuré toute la nuit quand j’ai quitté Damas et j’ai pleuré
chacune des nuits qui ont suivi. C’est très dur, non seulement sur le
plan physique, c’est difficile, mais c’est encore plus difficile sur
le plan émotionnel, quand on doit quitter sa ville, son pays, toute la
vie qui était la sienne », précise le Syrien.
Dans les cafés du jardin de Kanjiža, les seuls clients sont des
migrants de Syrie. Presque tous les jeunes gens parlent anglais et
appartiennent à la couche instruite des migrants. Le médecin Tony
montre son jeune frère juriste, son frère plus âgé a longtemps
enseigné en Chine, parmi d’autres on trouve dans ce groupe des
étudiants en économie et en droit maritime. Tony est visiblement le
chef informel de ce groupe, car tandis que nous conversons d’autres
l’abordent, et il leur donne de l’argent pour faire des achats dans
les environs, pour ce qui sera la dernière et sans doute la plus
importante des étapes de leur voyage : le passage de la frontière avec
l’Union européenne.
Les migrants se rendent à Kanjiža depuis 2009, explique Robert Lacko,
président du Conseil municipal de Kanjiža, mais à l’époque il
s’agissait de petits groupe de dix ou vingt personnes. A la fin de
l’année passée, il y a eu une vague de migrants venant du Kosovo et
puis, à partir du mois de mars de cette année, il y a eu un véritable
boum des migrants, dans cette ville frontalière de 9.000 habitants, où
chaque jour se suivent près de 1.500 malheureux, pour la plupart de
Syrie.
Jusqu’à présent, il arrivait en moyenne jusqu’à 1.000 personnes, mais
la semaine passée, après que la Hongrie ait annoncé la construction
d’une clôture le long de la frontière, le nombre de ceux qui arrivent
a augmenté. La société de transports en autocars „Lasta” compte quatre
lignes régulières jusque Kanjiža, mais presque chaque jour il y a eu
jusqu’à 12 départs depuis Belgrade, le maximum que l’on connaît est le
jour où il y a eu 20 autocars. Tous sont remplis de migrants. Nous
avons essayé de trouver un accord pour qu’ils ne soient pas
transportés au centre de Kanjiža, mais plutôt de les laisser à
proximité de la « ligne verte » [NdT : la frontière avec la Hongrie],
mais cela n’a pas été possible. Dans les GPS de navigation de leurs
téléphones a été enregistrée cette route et ils n’en dévient pas. Du
reste, ils sont à des milliers de kilomètres de leur maison et n’ont
pas d’autre choix que de suivre la route qui leur a été décrite –
explique Lacko.
Les migrants ont rempli le parc du centre de Kanjiža à 50 mètres du
siège du conseil municipal. Il y en a dans le parc de Banja Kanjiža
mais aussi le long de la rivière Tisa. Pour eux, Kanjiža est
simplement un répit et à partir de 17h jusque minuit, tous se rendent
dans le village voisin de Martonoš qui, avec 1.500 d’habitants, à ces
heures du soir est deux fois plus important. Le but de ces migrants,
ce sont les 300 mètres de la zone forestière qui séparent la Serbie de
la Hongrie, et le passage de la frontière, ou bien ils attendent leur
« correspondance ». Comment on peut avoir appris à Damas l’existence du
parc de Kanjiža et de la « frontière verte » de Martonoš, ce n’est pas
une si grande énigme.
– Nous supposons qu’il y a une vingtaine d’entre eux qui se sont
engagés professionnellement dans la conversion des Syriens à travers
la frontière, et ils se relaient. A part cela, selon différentes
sources, tout est organisé par des Syriens qui vivent ici légalement,
qui ont les documents requis, et leur travail se fait par le biais du
téléphone [NdT : en Serbie on peut acheter une carte SIM sans donner
son identité], et ils sont donc presque insaisissables – souligne
Lacko.
Cette migration comprend une haute technologie et entraîne le fait que
la population migrante à Kanjiža est significativement différente de
celle qui arrive à Subotica, car dans l’ancienne fabrique de briques
de Subotica ont trouve surtout des Afghans démunis qui ont faim et
vont pieds nus, alors qu’à Kanjiža il s’agit pour la plupart de
Syriens, et les paquets et sacs-à-dos autour d’eux indiquent que bien
qu’ils ont voyagé plusieurs mois, ils ne sont pas venus sans rien.
Le médecin Tony confirme que chacun a pu payer pour cette partie de
Belgrade jusqu’à la frontière les frais de taxi qui se montent à près
de 1.500 euros. De la frontière jusque Vienne cela coûte encore 1.500
euros. Mais la plupart d’entre eux sont arrivés avec les transports
publics, en train ou en autocar.
– Nous ne demandons rien, nous n’avons besoin de rien, seulement d’un
endroit où prendre une douche. Mais on ne nous laisse pas dans le
hôtels, on ne nous permet pas de passer la nuit n’importe où. Ici,
dans ces sacs en plastique il y a les vêtements que nous avons
achetés, nous avons acheté de la nourriture et de l’eau. J’ai tous mes
papiers et le passeport, mais même à Belgrade on n’a pas voulu me
donner d’argent via Western Union. Nous le voyons quand ils nous
vendent les cigarettes plus chères que ce qu’elles coûtent, nous
achetons tout nous-mêmes, et c’est probablement bien ici dans les
magasins. Nous sommes conscients de notre situation de migrants
illégaux, et nous savons que nous n’avons aucun droit à nous rebeller.
Au contraire, nous disons tous merci – raconte Tony. Leurs expériences
dans les camps en Turquie, où ils ont laissé les femmes, étaient très
difficiles, et ils racontent l’hostilité des habitants de Macédoine.
Ils ont rencontré la première main amicale dans un village, ils ont
oublié son nom, dans le sud de la Serbie, proche de la frontière avec
la Macédoine. Ils avancent que leur séjour à Belgrade a été difficile,
et ici à Kanjiža il s’agit d’un répit pour reprendre le souffle avant
de traverser la frontière. Ils ont appris que l’on construit une
clôture, mais qu’importe, disent-ils, si c’est nécessaire, il faut y
arriver. L’objectif de Tony, c’est la Finlande, car il est en contact
avec un ami qui est déjà en Finlande et qui lui a expliqué qu’après 45
jours, il sera en mesure de faire venir son épouse qui est restée dans
un camp de Turquie. Il explique comment est son épouse, elle est
ingénieur, et elle envisage de s’inscrire à un master et
d’entreprendre un doctorat.
C’est justement sur une zone proche de Martonoš que la Hongrie a
commencé lundi à construire la barrière de fil de fer barbelé visant à
arrêter la traversée illégale de la frontière avec la Serbie, et d’ici
vendredi devraient être posées les premiers 150 mètres de clôture (…).
En attendant, Kanjiža est parvenue à ce jour à faire face au problème
des migrants. Lacko explique que le plus difficile est qu’aucun niveau
du gouvernement n’a de solution à ce problème, mais plutôt des
solutions au jour le jour des problèmes urgents, et il y a un
sentiment d’un piétinement sur place plutôt qu’une solution à long
terme. Il existe encore la possibilité de placer Kanjiža en situation
d’urgence, et c’est au niveau municipal que cette décision doit être
prise.
– Le problème, c’est que nous avons fait appel à l’aide de l’État et
de la Province et nous ne savons toujours pas comment cela arrivera et
sous quelle forme. Si c’est une aide financière qui arrive à la
société communale „Komunalac”, qui porte la plus forte charge de
nettoyage et de ramassage des déchets et le nettoyage dans Kanjiža des
déchets laissés par les migrants, ce serait une partie de la solution,
mais si l’argent arrive sur le budget de la Ville, alors pendant un
mois nous ne pourrons l’utiliser tant que cela n’aura pas été mis à
l’ordre du jour des appels budgétaires de la commune – nous précise
Lacko.
Ce jeudi [16 juillet] au matin, des bouteilles d’eau sont arrivées de
la Province, de la nourriture, des couches et des produits d’hygiène
pour soutenir la commune de Kanjiža, pourtant Lacko précise que
d’après leurs expérience passées, les migrants ont peur et ne veulent
rien recevoir d’autre que des bouteilles d’eau.
Source : Aleksandra Isakov, Kanjiža – poslednja sirijska čekaonica pred
vratima EU, Politika, 18 juillet 2015. Traduction : Dragan Grcic.
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