Stephane M

Antiraciste

  • Pourquoi les réfugiés de guerre doivent-ils encore risquer leurs vies pour demander l’asile en Europe ?

    Partout, les frontières se ferment en Europe. Après avoir laissé entrer sur son territoire des dizaines de milliers de réfugiés coincés en Hongrie, l’Allemagne a fait marche arrière et rétabli ses contrôles aux frontières. L’Autriche a suivi, puis la Slovaquie. La France bloque depuis des mois l’entrée de réfugiés passés par l’Italie. La Hongrie a érigé une clôture sur sa frontière avec la Serbie et vient d’adopter une loi qui criminalise l’entrée “illégale” sur son territoire. Des dizaines de milliers de réfugiés se retrouvent encore coincés dans des camps de transit, dans des conditions catastrophiques, en Hongrie, en Serbie, ou en Grèce, dépassée par les arrivées sur son territoire [1].

    Plus de quatre millions de Syriens ont fui leur pays depuis le début de la guerre en 2011. Parmi eux, près de deux millions se trouvent en Turquie, plus d’un million au Liban, plus de 600 000 en Jordanie [2]. Pendant ce temps, les pays européens rétablissent les contrôles aux frontières. Et se battent sur le nombre de réfugiés qu’ils pourraient peut-être accueillir parmi ceux qui sont déjà arrivés en Grèce, en Italie ou en Hongrie, souvent après avoir traversé la Méditerranée sur des bateaux de fortune.

    ... Le kafkaïen système de Dublin

    N’y a t-il pas d’alternatives aux milliers de morts en mer et à l’enrichissement de passeurs sans scrupules ? Pourquoi les réfugiés de guerre sont-ils traités comme des criminels ? Pourquoi se retrouvent-ils coincés en Grèce alors qu’ils ne veulent pas y rester, et que le pays – qui a subi des années d’austérité imposée par ses voisins – n’a pas les moyens de les prendre en charge dignement ? Pourquoi la Hongrie recourt-elle à des méthodes de plus en plus brutales pour empêcher les réfugiés de passer sur son territoire ? La réponse tient pour beaucoup à une expression : “Le système de Dublin”.

    ...

    Ouvrir des voies légales et sûres

    Pourquoi les Syriens, une fois arrivés en Turquie, au Liban ou en Jordanie, ne demandent-ils pas tout simplement un visa auprès des ambassades consulats européens, plutôt que d’entreprendre un périlleux et coûteux voyage ? Avec un visa, ils pourraient se rendre en Europe en avion. Et demander l’asile une fois sur place sans devoir se risquer dans des embarcations de fortunes ni confier leur vie à des criminels potentiels. Un vol du Liban ou de Turquie vers l’Allemagne, la France ou la Suède coûte quelques centaines d’euros, bien moins que le chemin extrêmement dangereux de la mer et des Balkans. Un voyage pendant lequel les réfugiés n’ont d’autres choix que d’enrichir les passeurs et d’alimenter la corruption. Ce serait évidemment beaucoup plus simple. Trop simple pour l’Union européenne.

    Dans les faits, les demandes d’asile déposées dans les aéroports sont très peu nombreuses : 1100 en France en 2014 , 643 dans les aéroports allemands la même année, dont 178 de Syriens, 96 d’Afghans... [7] Car les États de l’UE ne donnent presque pas de possibilités légales et sûres pour les réfugiés syriens de se rendre en Europe. « C’est absurde, nous avons en Europe un système d’asile, et c’est bien, mais pas de système d’accès à l’asile, analyse Ska Keller. Il faut créer des voies légales d’arrivée en Europe pour les réfugiés. »

    Quand le Brésil accorde plus de visas aux Syriens que la France

    Quelques pays ont bien en mis place des programmes pour faire venir légalement des Syriens ou des minorités persécutées de la région depuis le début de la guerre. Mais il ne s’agit à chaque fois que de quelques milliers, voire de quelques centaines de personnes. La France a décidé l’année dernière d’accueillir sur deux ans 1000 personnes venues de Syrie ou des camps de réfugiés des pays voisins. Le pays a aussi distribué depuis 2012, 1880 visas d’asile à des Syriens [8]. Des visas qui leur permettent de se rendre légalement en France pour y déposer une demande d’asile. Pour comparaison, le programme d’accueil légal de la Suède a fait venir 2700 Syriens. Le Brésil a de son côté déjà distribué plus de 7000 visas humanitaires à des réfugiés de Syrie.

    ...

    Les réfugiés syriens : persona non grata dans les aéroports

    À côté de ces voies spécifiques, il reste en théorie la possibilité aux réfugiés syriens de demander des visas classiques, d’études, de regroupement familial, voire de tourisme. Mais les chances d’en obtenir sont faibles. En France, en 2013 [10], seulement 2957 visas ont été accordés à des Syriens. Et dans 2136 cas, les demandes de visas ont même été refusées.

    Pire, début 2013, la France a réinstauré l’obligation pour les Syriens de posséder un visa de transit aéroportuaire pour faire escale dans un aéroport français. Pourquoi ? Pour trouver asile en France, certains Syriens prenaient un billet d’avion vers un État qui ne les soumettait pas à un visa, mais avec un transit par des aéroports européens. Une fois arrivés en France, ils y déposaient parfois une demande d’asile.

    « Le visa de transit aéroportuaire représente une difficulté supplémentaire pour les Syriens qui cherchent protection, regrette Christophe Harrison. Une chose est sûre, développer des voies légales, ce sont autant de voyageurs qui ne vont pas emprunter des voies dangereuses, et qui pourront trouver protection sans risquer leur vie. » À rebours de ce verrou supplémentaire, les Verts européens proposent de leur côté de prendre le chemin complètement inverse : supprimer l’obligation de visa pour les Syriens qui voudraient venir en Europe.

    Militarisation des frontières

    Ce n’est évidement pas la direction prise par l’Europe. Bien plus que d’ouvrir des chemins sûrs pour les populations en danger, l’Union a renforcé ses frontières, avec toujours plus de moyens militaires. L’agence européenne de protection des frontières Frontex, créée en 2004, dispose d’un budget de 114 millions d’euros pour 2015. C’est dix fois plus que celui du Bureau européen d’appui en matière d’asile [11], une structure chargée depuis 2010 de renforcer les échanges entre États européens sur l’accueil des réfugiés.

    Une toute nouvelle mission militaire européenne est active depuis quelques mois dans les eaux méditerranéennes. Son cahier des charges : traquer les bateaux de migrants et leurs passeurs. C’est l’opération Eunavfor Med, en cours depuis juin [12]. Elle compte déjà quatre navires militaire, cinq avions, un hélicoptère. Aucun n’est destiné à aider les réfugiés à traverser la Méditerranée.

    http://www.bastamag.net/Pourquoi-les-refugies-de-guerre-doivent-ils-encore-risquer-leurs-vies-pour