• Les mouvements féministes
    (In)Visibilité de la lutte contre le sexisme.

    mardi 4 juillet 2006

    par Jean Pierre Vernet

    « Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits ». C’est ce qu’affirme le premier article de la déclaration des droits de l’Homme et du citoyen du 26 août 1789. Cependant, lors de cette déclaration, les femmes étaient exclues et il fallut attendre encore bien des années pour que les femmes soient incluses dans les principes d’égalité de la démocratie. On pourrait croire alors que cet égalitarisme déclaré ait sonné le glas de toutes les discriminations sexistes. Cependant ce n’est pas le cas. Le principe de l’égalité cohabite avec un sexisme toujours puissant.

    http://chiennesdegarde.com/article.php3?id_article=448


    Sur la base du constat que les minorités sont très souvent connotées négativement, deux chercheurs, Pérez et Mugny en 1990, proposent une théorie de l’influence minoritaire qui nous intéresse beaucoup. Ces deux chercheurs expliquent que le changement est le résultat du processus de dissociation : pour ne pas être associés aux attributs négatifs de la minorité tout en adoptant néanmoins et publiquement le point de vue minoritaire, les gens sont amenés à dissocier le contenu du message (qu’ils acceptent) de la source du message (qu’ils rejettent). Il est donc possible d’adopter un point de vue d’origine minoritaire sans pour autant associer ce point de vue à l’action de la minorité qui défend(ait) ce point de vue. Ce phénomène se nomme la cryptomnésie sociale.
    Il est possible de définir la cryptomnésie sociale par une double composante. D’un coté il y a une sorte « d’oubli » de l’origine minoritaire d’une idée. D’un autre côté, cet oubli justifie que les gens continuent à déprécier cette minorité. Ainsi, des personnes peuvent accepter les droits qui prescrivent l’égalité des sexes tout en dépréciant (voire, en rejetant) les mouvements féministes même si ces mouvements ont historiquement réussi à faire le consensus autour de l’idée de l’égalité des sexes et qu’ils sont à l’origine des changements dans la société qui vont dans ce sens. Pour illustrer cet aspect, nous avons fait une petite étude (Vernet & Butera, 2003) où la moitié des participantes devait donner leur degré d’accord envers l’affirmation suivante : « l’égalité entre les femmes et les hommes est un progrès de justice sociale ». L’autre moitié des participantes avait la même affirmation, mais avec un rappel du groupe qui en était à l’origine. La phrase que les participantes devaient alors évaluer était donc dans ce cas « Comme le disent les mouvements féministes, l’égalité entre les femmes et les hommes est un progrès de justice sociale ». L’affirmation reste donc la même. Cependant, le premier groupe (sans rappel de la minorité) évalue l’affirmation beaucoup plus favorablement que le deuxième groupe (avec le rappel). On accepte donc le message tout en rejetant le groupe qui s’est battu pour ce message. C’est la cryptomnésie sociale.

    #féminisme #cryptomnésie_sociale