• De l’impérialisme linguistique
    http://www.laviedesidees.fr/De-l-imperialisme-linguistique.html

    L’anglais, nouvelle #langue mondiale, domine après le français au XVIIIe siècle. En sociologue, Pascale Casanova montre que l’usage de la langue mondiale assure une autorité à ceux qui le maîtrisent. Mais que faire, puisqu’une langue mondiale doit exister pour permettre une communication universelle ?

    Livres & études

    / #domination, langue, #traduction

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    • Oui, le livre ne parle que des langues et de leur position dans la hiérarchie mondiale. Il s’y intéresse à partir du bilinguisme, de la traduction, du rapport entre les langues, d’abord avec le passage (de relais) du latin au français puis regarde la manière dont le français domine les autres langues à partir de ses traductions (infidèles). Ainsi quelqu’un parlant sa langue maternelle et la langue mondiale, qu’on verrait a priori comme un privilégié, est ici présenté comme un dominé linguistique. Son bilinguisme est le signe que sa langue est en périphérie ; il doit régulièrement switcher entre deux langues selon la situation dans laquelle il se trouve.

      C’est assez frappant de voir comment le français se développe de manière extrêmement consciente et réfléchie, et comment les poètes de l’époque (~XVIe) invitent à s’accaparer le latin : on parle de vol, de pillage - il y a tout un vocabulaire guerrier et économique - dans le but non seulement d’enrichir une langue jeune peu adaptée à l’argumentation, mais aussi de la faire bénéficier du prestige du latin. Le développement du français se fait donc de manière paradoxale contre le latin (il s’agit de se faire sa place, de lutter contre l’idée que le latin est par nature parfait), mais en jouant aussi sur l’aura de celui-ci (les poètes français du passé sont au passage dénigrés, coupables de ne pas avoir suffisamment enrichi leur langue).

      Les traductions des anciens servent ainsi à s’accaparer le trésor d’une culture passée. On importe à la fois le savoir-faire et le prestige. Et pour se faire les traductions ne doivent pas être fidèles. C’est surprenant de voir qu’à l’époque on n’a aucun scrupule vis-à-vis de la source. La traduction ne visant qu’à enrichir ses propres langue et culture, si les pensées ou les mots ne semblent pas leur convenir, on les modifie. Il s’agit d’"annexer", de « naturaliser » ce que l’on trouve dans les originaux (latins, grecs, ou anglais, etc.). Quant au nom de l’auteur de l’original, il peut carrément disparaître. En Europe il semblait acquis que les traductions françaises n’étaient pas fiables, mais on n’y pouvait rien car le français dominait et l’élégance française jouait le rôle d’arbitre. (Pour concurrencer le français, l’allemand met alors en avant la notion de fidélité, et prétend être la langue idéale pour la traduction.)

      Casanova insiste pour dire que cette pratique n’est pas due à la paresse ou à la désinvolture des traducteurs, mais qu’elle est structurelle, propre à la position de domination de la langue. Dans la dernière partie du livre elle précise que c’est la même chose pour l’anglais aujourd’hui : les aspérités des originaux sont gommées pour qu’ils soient lus de manière fluide et facile, sans qu’on puisse penser qu’ils ont été écrits dans une langue étrangère ; les traducteurs sont « cachés » (on ne les mentionne parfois pas) ; un texte est souvent présenté de telle sorte qu’on peut croire qu’il a été écrit directement en anglais.

      Une question laissée sans réponse dans le livre (ou à laquelle il est dit qu’il n’y a que de mauvaises réponses) c’est : où commence la supériorité d’une langue ? Car, comme il est dit dans l’article « la langue mondiale n’est pas nécessairement celle du pouvoir économique ou militaire. »