Stéphane Bortzmeyer

Je suis un homme du siècle dernier, j’essaie de m’adapter, mais je n’en ai pas vraiment envie.

  • « Car figurez-vous que je reviens d’une veille sur les écrans et les
    enfants [...]. Depuis que j’ai lu ce que j’ai lu, j’ai jeté l’iPad,
    j’ai remisé l’iPhone au fond d’un tiroir, j’ai planqué l’ordinateur au
    grenier sous trois piles de livres et je l’ai entouré de gousses d’ail
    – on n’est jamais trop prudent -, et je tape ce billet sur une bonne
    vieille Olivetti. »

    http://parents3point0.com/ecrans-et-si-on-arretait-davoir-peur

    Du classique, mais toujours bon à rappeler. Il y a un terme médical en grec pour désigner cette peur ridicule des écrans ?

    • Le φάρμακον (pharmakon) Stieglerien ? Je trouve que c’est une approche intéressante, et qui a le mérite d’essayer de garder un peu de complexité.

      http://www.arsindustrialis.org/pharmakon

      En Grèce ancienne, le terme de pharmakon désigne à la fois le remède, le poison, et le bouc-émissaire

      Tout objet technique est pharmacologique : il est à la fois poison et remède. Le pharmakon est à la fois ce qui permet de prendre soin et ce dont il faut prendre soin, au sens où il faut y faire attentioni : c’est une puissance curative dans la mesure et la démesure où c’est une puissance destructrice. Cet à la fois est ce qui caractérise la pharmacologie qui tente d’appréhender par le même geste le danger et ce qui sauve. Toute technique est originairement et irréductiblement ambivalente : l’écriture alphabétique, par exemple, a pu et peut encore être aussi bien un instrument d’émancipation que d’aliénation.

      Ok, toute #technique porte en elle une organisation du monde, une vision, un « projet » sous-jacent, mais ce n’est pas immuable. La différence se ferait alors entre « utiliser » et « s’approprier » ?

    • Absolument pas stieglerien. #Charbonneau - #Ellul - ien, peut-être.

      Même en t’appropriant le nucléaire, tu auras des déchets pendant des millions d’années ; même en t’appropriant la voiture, il te faudra la démesure de l’infrastructure routière et l’urbanisation qui en découle ; même en t’appropriant le téléphone portable avec un OS libre, il te faudra des antennes relais partout dans le monde ainsi qu’exploiter des minerais rares en Afrique pour les construire (et de l’eau, beaucoup d’eau, potable).

      Toute technique est ambivalente. Certaines ont plus de bénéfices que d’inconvénients mais la plupart des techniques complexes (ce que n’est pas l’écriture par exemple, qui peut se reproduire seule avec un bout de charbon, et voilà entre autre pourquoi on ne peut pas comparer du tout l’apparition de l’écriture à celle de l’informatique ou d’internet, car on ne peut pas juste comparer le produit final sans prendre en compte comment le produit est construit et qui le crée et le gère), la plupart des techniques complexes, donc, ont plus d’inconvénients que d’avantages. Le problème étant qu’au lieu de rejeter ce genre de technique, notre société progressiste prétend invariablement que la Recherche, la Science, va trouver une technique encore mieux, sans danger, ou bien va améliorer cette technique qui a trop d’inconvénients pour inverser la tendance. Ce qui est quasiment toujours contredit dans les faits, les solutions techniques a une technique apportant souvent plus de nouveaux problèmes, et pire ! : des problèmes encore plus difficiles à résoudre et à s’en débarrasser.

      Sans oublier en plus, le fait que tous ces techniques à écran et à réseau ne se sont pas répandues magiquement pour le bonheur de tous, mais ont été matraquées marketinguement pour devenir un besoin, au même titre que la généralisation de la cigarette. Le budget publicité des périphériques mobiles est le deuxième plus important au monde après celui des voitures : bizarre, les deux inventions complexes les plus nocives du 20ème siècle (écologiquement, socialement, etc)... Et après on veut faire croire que ce sont les gens (riches ou pauvres) qui en ont besoin et qui le demandent... On va « s’approprier la cigarette », aussi ? Forcément, après coup, après avoir été drogué, il est tentant pour le camé de vouloir se réapproprier sa drogue (comme cultiver soi-même sa beuh au lieu de l’acheter à un dealer). Au final ça reste un drogué. On aboutit alors à l’auto-création de choses dont on avait pas besoin : super, la destruction citoyenne ! :)

      Et ce n’est qu’une petite partie des problèmes, on peut parler aussi du rôle omniprésent de l’expertise, du lien absolu entre techniques industrielles et capitalisme, du lien permanent entre états, militaires et industrie (que ce soit pour les réseaux, la nanotechno, les neuro-sciences), ad libitum, ad nauseam...

    • Stiegler qui transplante le pharmakon platonicien dans les questions techniques, ça n’a vraiment pas trop de valeur. Ce gars, il est capable de valoriser les OGM, les nanos etc... a partir du momment ou elle pourrait participer a « la culture » ou au monde des idées... franchement, je croyais qu’Aristote était passé par la. Mais visiblement certains ont encore besoin d’un « noble mensonge » pour faire passer leur pilule communiste.
      Et pour répondre au concours légendaire du plus radical que moi tu meurs, éducation ou critique politique des techniques, ce n’est pas l’un contre l’autre ! C’est l’un et l’autre. Chacun aura par ailleurs ses difficultés.

    • éducation ou critique politique des techniques, ce n’est pas l’un contre l’autre ! C’est l’un et l’autre. Chacun aura par ailleurs ses difficultés.

      Tout à fait d’accord, mais oui et non. :)

      « Éducation » à une technique, ça peut contenir des choses bien différentes. Ça peut être éduquer à utiliser une technique avec parcimonie et peut-être même pourquoi pas de moins en moins en fil du temps. Ça peut être au contraire éduquer à l’utilisation d’une autre manière mais tout aussi massivement, et dans ce cas il y a des invariants dans les conséquences. Autrement dit : il y a certaines conséquences néfastes qui sont les mêmes que l’on utilise « pour le bien » ou « pour le mal » une même technique.

      Mais éducation aussi, bien entendu. C’est juste que le discours dominant ne parle que de ce point, comme si éduquer à une technique suffisait à forcément modifier voire supprimer ses conséquences néfastes. Faut ré-équilibrer l’ambi-balance ! :D

    • je parlais de l’éducation des enfants c’est à dire tout simplement : ne pas les mettres devant la télé. ça n’éduque a rien.
      Sinon comment ne pas être d’accord qu’une éducation a la technique ne change pas grand chose aux effets de la technique elle même (il y a bien des détournements [internet est célèbre], mais aussi des invariants bien sur), c’est comme le coup de la kalachnikov équitable. :D

    • Stiegler qui transplante le pharmakon platonicien dans les questions techniques, ça n’a vraiment pas trop de valeur. Ce gars, il est capable de valoriser les OGM, les nanos etc...

      Je ne crois pas l’avoir jamais entendu dire cela, et je ne me considère pas non plus comme fanboy du bonhomme (qui peut être parfois ambigu, oui), même si je connais pas trop mal son discours. Sa pensée et ses concepts fonctionnent plutôt bien dans la sphère limitée des technologies de l’esprit, du #capitalisme_cognitif mais ne s’universalisent pas très bien, comme l’a souligné @rastapopoulos (joli paragraphe sur l’éducation !).

      En parlant d’#éducation... j’aurais bien encore discuté ici, mais la réalité me rappelle, mon marmot a fini sa sieste :)

    • La distinction de « technologie de l’esprit », ça ne fait pas tilt déjà chez vous ? En quoi les nanotechnologies ne serait que des techniques de l’esprit ? Quand ces choses font des pneu vert michelin, des raquettes de tennis, ou des chausettes qui pue pas, je vois pas en quoi on peu réduire ça des techniques de l’esprit !