CQFD

Mensuel de critique et d’expérimentations sociales

  • Le réel de Marx
    par Bernard Aspe et Patrizia Atzei
    Intervention au colloque Communisme à Rennes en mai 2017

    http://ladivisionpolitique.toile-libre.org/le-seminaire/le-reel-de-marx-ciolloque-communisme

    Le communisme est le refus de la mise au travail généralisée, de la mise au travail pour le capital. Un refus dont la mise en œuvre suppose une opération de désidentification.

    #communisme #Marx #opéraïsme #post_opéraïsme #refus_du_travail #salariat #Tronti #capital #réel #Lacan #Rancière

    • Le réel de Marx
      http://ladivisionpolitique.toile-libre.org/le-seminaire/le-reel-de-marx-ciolloque-communisme

      Nous savons que, comme d’autres mots, le mot « communisme » n’a jamais été et ne sera jamais univoque, qu’il s’agit toujours de lui donner une signification qu’il n’a pas tout seul, c’est-à-dire de mettre sur le mot « communisme » ce qu’on décide d’y entendre.

      Pour parler du communisme, il nous semble nécessaire de revenir une fois encore à Marx. Mais il ne saurait s’agir, pour nous, de proposer un énième commentaire de son œuvre : Marx n’est pas l’auteur auquel il faut en revenir parce que dans ses textes se trouverait une vérité ultime. Nous considérons qu’il est l’un de ces auteurs qui nous obligent à aborder son héritage de façon partiale, avec des parti-pris. Il nous oblige, surtout, à nous saisir de cet héritage depuis le présent.

      Nous allons donc dégager quelques traits de l’approche de Marx qui nous semblent devoir être prolongés aujourd’hui pour une entente clarifiée et opératoire du mot « communisme », du communisme en tant que « mouvement réel ».

      Nous insisterons essentiellement sur deux aspects. Il s’agira dans un premier temps de montrer que le communisme se présente sous la forme du refus du travail. Ensuite, il s’agira d’affirmer la possibilité d’une intelligibilité de la politique qui ne dépend pas d’un horizon de totalisation, et qui suppose un mode de subjectivation particulier, relevant d’une « désidentification ». (...)

      version audio
      https://seenthis.net/messages/602983

    • Un texte qui commence par « comme le disait Althusser » n’augure rien de bon. Althusser était un charlatan stalinien qui a passé l’essentiel de sa vie à caricaturer le marxisme pour en faire une coquille vide (débarrassée de la dialectique) acceptable par l’idéologie dominante.

      Mais je tente une lecture quand même :)

    • Althusser, semble faire office ici de muleta mais il n’est cité que pour renvoyer à un phrase de L’idéologie allemande à propos du communisme « le mouvement réel qui abolit l’état de choses existant », afin d’avancer dans l’analyse du réel en question, avec et contre Hegel, avec Lacan. Outre Marx, ce sont les apports de tout autres théoriciens que le texte met en rapport, sans décerner ni blâmes ni médailles...

      Ce qui nous paraît essentiel dans les analyses de [Jason] Moore, c’est qu’elles donnent une extension nouvelle au concept de force de travail en montrant toutes les activités que l’on peut compter au titre de travail non-payé, non reconnu comme tel.

      Parmi ces activités, à considérer l’histoire de l’économie-monde, il y a bien sûr le travail des esclaves dans les colonies depuis les XVème-XVIème siècles ; ou le travail assigné aux femmes dans le développement de la société bourgeoise – travail invisible qui n’est pas seulement celui de la « reproduction de la force de travail », mais qui est lui-même force de travail non reconnue comme telle.

    • Tu n’a pas lu l’article, tu ne sais pas, comment fais-tu pour répondre ? je répète, je répète, Althusser n’est cité que pour introduire un passage de Marx qu’il a dit « fameux », et parce qu’il sagit d’un colloque ou les Français croient que le marxisme c’est Althusser.
      L’article, coécrit par une femme, puisque seul cela compte à tes yeux, n’a rien à voir avec tes a priori, avec cette manière purement réactive de (ne pas) lire. Il évoque tout autrement ces questions.

      L’adresse générique de la politique, l’adresse à un « tous » (non pas un « tous » positivé, effectif, mais un « tous » potentiel) cela implique notamment — et il est utile de le souligner dans la situation qui est la nôtre aujourd’hui — que la race ne peut, en tant que telle, être un opérateur de la subjectivation politique. On pourrait affirmer que pour qu’il y ait subjectivation émancipatrice, il faut qu’il y ait déprise des identités. Cela ne signifie nullement que toute revendication basée sur la race est nécessairement vouée à l’échec, ou intrinsèquement réactionnaire : cela signifie seulement que son potentiel émancipateur ne réside jamais en une positivation de l’identité raciale en tant que telle. Pour qu’une identité (prolétaire, peuple colonisé, femme, noir, etc.) constitue le point de départ d’un processus véritablement émancipateur, il faut que soit conjurée toute appropriation exclusive de la revendication politique. Autrement dit, il faut qu’il y ait une connexion entre cette identité particulière et une adresse générique. En clair : les identités existent bel et bien, et on ne peut pas simplement décider de les ignorer ou d’en sortir, comme le voudrait une certaine utopie queer. « Désidentification », cela ne signifie pas : abolition des identités. Cela signifie : constitution d’identités paradoxales, d’identifications polémiques. Car quand on ne travaille pas à déplacer les identités, à les rendre paradoxales, ce sera l’ordre d’oppression et d’exclusion qui se chargera de les remettre à leur place (pensons au racisme de la police).

  • « Comment se fait-il que ces salauds d’ouvriers ne font pas ce que dit le Parti ? »

    Culture de base, refus du travail, ouvrier-masse et grèves métropolitaines dans l’Italie d’après-guerre.

    Entretien avec le collectif de traduction de La Horde d’or (Partie 1/3)

    Par Bruno Thomé, Claire Feasson et Duccio Scotini

    http://jefklak.org/?p=4581

    Livre d’histoires et d’analyses politique, boîte à outils, auto-enquête, recueil de chansons, collection de tracts, livre partisan qui ne dit jamais « je » mais donne à entendre des centaines de voix, L’Orda d’oro est à ce jour le seul livre qui évoque aussi complètement la foisonnante inventivité sociale, théorique, culturelle et langagière de l’Italie des années 1960-1970. Et il aura fallu attendre le printemps 2017 pour retrouver cette histoire en hexagone, grâce à la traduction aux éditions de l’Éclat, enrichie par le collectif de traduction, d’un appareil de notes indispensable au lecteur français.
    En ces temps de crise « créative, politique, et existentielle », Jef Klak a décidé de mener trois entretiens avec les traducteurs et traductrices afin de parcourir avec eux cette période fondatrice de notre présent, inspirante pour nos luttes.

    Affirmer, comme le fait ce livre, que le mouvement, c’est aussi la chanson sociale, les dissidences intellectuelles, les expériences contre-culturelles, les manières de vivre, etc., c’est rappeler que l’organisation politique échappe à la mainmise du Parti et passe par tous les domaines de la société : école, église catholique, musique, magistrature, médecine, psychiatrie, production éditoriale, etc. Cela permet de retracer une contre-histoire de l’organisation politique au sens large.

  • Poing par poing, une éducation populaire

    École sauvage et travailleurs organisés

    Par Alexane Brochard

    http://jefklak.org/?p=4556

    La grande crise argentine, qui a frappé le pays entre 1998 et 2002, n’a pas seulement généré de la sueur, du sang et des larmes. L’épisode a aussi été l’occasion de multiplier les expérimentations passionnantes. Parmi elles, les ouvertures d’écoles populaires, initiées en 2004 à Buenos Aires avant d’essaimer dans les autres grandes villes, sont indissociables des célèbres transformations d’entreprises en coopératives par leurs ouvriers. Car c’est souvent dans les locaux des usines récupérées que les professeurs et militants de l’éducation populaire donnent leurs cours. Et c’est très largement à destination des ouvriers qu’ils dispensent leur enseignement. Rencontre avec Fernando Lazaro et Ezequiel Alfieri, deux militants pédagogiques ayant participé à l’ouverture de l’école de la Maderera Cordoba, une usine de bois récupérée par ses travailleurs en 2002. Une occasion de découvrir, à travers cet établissement hors normes de quatre-vingt-dix élèves, le mouvement dans lequel il s’inscrit.

  • Only anarchists are pretty
    Balade sonore avec The World/Inferno Friendship Society

    Par Paulin Dardel
    2 octobre 2017

    « Après toutes ces années à vivre dans la peur, je me fous de la bombe et du reste. Après toutes ces années à m’inquiéter pour ma vie, j’ai enfin commencé à m’amuser – et les seuls à s’en plaindre sont mes créanciers et mes propriétaires. Et vous savez quoi ? Qu’ils aillent se faire foutre. Désolé si ça les dérange, mais les papillons qui vivaient dans mon estomac se sont envolés en passant par ma gorge, et ils ont appris à aimer l’air libre. » Il se peut que ces paroles de la chanson « Please my Favorite don’t be Sad » représentent à elles seules la philosophie de l’inclassable groupe de Brooklyn The World/Inferno Friendship Society (WIFS)…

    http://jefklak.org/?p=4443

  • PANTHERE PREMIERE
    http://pantherepremiere.org

    Félin pour l’autre

    Imaginer une revue qui s’appelle Panthère Première, c’est se retrouver en février 2016 à Marseille et se dire qu’on a envie de se lancer dans cette aventure toutes ensemble, celles qui s’étaient connues autour d’autres revues et celles qu’on rencontrerait chemin faisant. C’est se dire, oui, une revue mais pas n’importe comment : en réunissant des équipes éditoriale et technique non-mixtes pour s’essayer à d’autres manières de travailler ; en ouvrant nos colonnes aux plumes qui se font trop discrètes ; en réfléchissant à une économie de la revue qui nous offrirait les moyens matériels nécessaires à une production de qualité et qui ne reposerait pas entièrement sur le bénévolat.

    Concevoir une revue qui s’appelle Panthère Première, c’est commencer par lister des titres de rubriques absurdes et enchaîner les jeux de mots carnassiers avant de s’accorder, en mai 2016, sur l’idée d’une revue généraliste et féministe qui s’intéresse aux différentes manières dont le personnel est politique. C’est décider d’explorer, d’un numéro à l’autre, les intersections entre ce qui est communément renvoyé à la sphère du privé – famille, enfance, habitat, corps ou sexualités – et les sphères systémiques – État, marché, travail… – en partant du principe que les formes de domination, de résistance et de créativité s’ancrent et se pérennisent dans ces plis. C’est adopter une ligne éditoriale qui reconnaît que les expériences vécues peuvent faire l’objet de questionnements critiques.

    Éditer une revue qui s’appelle Panthère Première, c’est lancer ce premier numéro en s’intéressant à la portée subversive des actes de langage dans notre dossier Quiproclash ! C’est penser que le papier n’est pas une tour d’ivoire ; se laisser toucher et prendre position, s’engager au-delà de la publication et espérer vous toucher aussi car, chère lectrice, cher lecteur, nous sommes, au fond, certainement félin pour l’autre.

  • Éloge du quatre pistes

    King Tubby & Lee « Scratch » Perry : le gros son du ghetto

    Par Bruno Le Dantec

    http://jefklak.org/?p=4549

    Peu de musiques ont incarné l’esprit d’un lieu comme l’a fait le « son du ghetto » – qu’on le nomme ska, rocksteady, reggae ou dub –, devenu en Jamaïque, dixit Lloyd Bradley, « une obsession nationale ». « J’aimais jouer aux dominos, j’aimais danser. Je n’ai jamais aimé travailler, parce que je ne souhaite à personne d’être esclave », professe Lee « Scratch » Perry, ce petit gars originaire de l’arrière-pays, où l’extraction intensive de roches de bauxite chassait des milliers de paysans. « J’aime être travaillé dans mon esprit. J’ai bossé deux semaines dans une carrière et le bruit des pierres m’a inspiré. J’ai entendu des rythmes, j’ai entendu des mots, et ces mots m’ont poussé vers la ville. » Mais l’inspiration n’est pas que divine et ce faux paresseux de Perry va le prouver. « La véritable créativité est le sous-produit d’un type de maîtrise qui s’obtient au terme de longues années de pratique », écrit Matthew Crawford dans son Éloge du carburateur , qui oppose le savoir-faire artisanal à l’appauvrissante aliénation du monde industriel. Et les studios d’enregistrement de Kingston avaient plus à voir avec un atelier mécanique de Bamako qu’avec une chaîne de montage Ford…

  • « Les documents de la CIA parlent de population “afro-indienne négligeable” »

    USA : le cas colonial de Chagos
    Entretien avec l’anthropologue David Vine

    Par Sébastien Bonetti et S. Jean-Nöel Pierre

    http://jefklak.org/?p=4514

    « L’histoire de la base américaine de Diego Garcia et du cruel déplacement des habitants des Chagos a longtemps été cachée au grand public. Nous avons une dette envers David Vine d’avoir révélé au grand jour cette histoire », explique Howard Zinn, en quatrième de couverture du livre Island of Shame . L’archipel des Chagos est un ensemble de cinquante-cinq îles situé dans l’océan Indien. Il abrite l’une des plus grandes bases militaires des États-Unis hors de son territoire (c’est notamment de là que partent les avions et autres navires vers l’Irak et l’Afghanistan). Pour travailler sur la tragédie qu’ont vécue ses habitants, violemment déportés, pour faire place aux soldats, à l’île Maurice et aux Seychelles, David Vine a vécu un an et demi à l’île Maurice. De retour dans son pays, ce professeur en anthropologie à l’université de Washington DC a publié en 2008 sa thèse sous le titre d’ Island of Shame ( L’Île de la honte ).

  • La Catalogne entre deux feux
    Par Martin Garrigue

    Suivi de
    « Indépendance : bien au-delà d’un État en soi »
    Par Ivan Miró

    http://jefklak.org/?p=4503

    Dimanche 1er octobre, jour du référendum pour l’indépendance de la Catalogne, jugé illégal par le Tribunal constitutionnel de l’État espagnol, plus de deux millions de Catalan.es se sont rendu.es aux urnes, accueilli.es par de violentes charges policières. Les déclarations du président Mariano Rajoy « fier de l’action de la police », celles du roi (« Le problème en Catalogne, c’est les indépendantistes ») et le soutien des socialistes libéraux et journalistes d’État creusent encore le fossé. Face aux aspirations à l’autodétermination, les autorités espagnoles refusent tout dialogue et cherchent à imposer le statu quo par la force. Pour comprendre ce qui s’est passé ces derniers jours, voici le témoignage d’un français qui a vécu les événements depuis Barcelone, suivi de la traduction d’un article datant de 2012, montrant deux visions de l’indépendance qui coopèrent et s’affrontent tour à tour : social-libéral versus libertaire-révolutionnaire.

    Pour beaucoup de collectifs et de personnes impliquées dans les luttes sociales en Catalogne, les contradictions de ce mouvement ne manquent pas. Le patriotisme nous est particulièrement étranger. Voir des marées de drapeaux aux couleurs de la Catalogne est pénible, surtout quand ceux-ci servent à cacher les différences de classe qui traversent la société locale. Se retrouver dans la rue avec des gens de droite est plutôt bizarre, voire franchement désagréable. On a souvent peur d’être les idiot.es utiles de la construction d’un nouvel État qui sera probablement aussi corrompu que les autres. Les politiciens indépendantistes ont besoin de la mobilisation de rue, mais sont effrayés par un débordement possible sur leur gauche, et surtout désireux de garder le contrôle sur ce mouvement populaire si divers et chaotique. Pour garder la main, ils en appellent en permanence au seny , ce mélange de bon sens et de modération censé caractériser les Catalan.es. Pour les partisans du nouvel ordre catalan, le seny serait même le fondement de la construction du pays sur un modèle de démocratie libérale, intégré à (et sauvé par) l’Union Européenne.

    Dans un même mouvement, les politiciens et journalistes mainstream de Barcelone tentent par tous les moyens de construire l’unité patriotique. Et s’indignent des violences de la Guarda Civil, tout en glorifiant la police catalane – pourtant bien connue pour sa brutalité au cours des luttes sociales de ces dernières années. C’est la bataille pour ce qu’on appelle ici el relat : le récit de l’histoire, celle qui restera la version officielle. La référence permanente à Ghandi, Mandela et Luther King participe de la construction de ce mythe. Ceci est fortement alimenté par la peur compréhensible que la situation tourne à la guerre civile, ce que personne ne veut ; ou plutôt à l’occupation militaire du pays, ce que tout le monde craint.

    Malgré ces contradictions, une grande majorité des militant.es a décidé de s’impliquer dans la résistance populaire. Comme le disait un camarade sur un des nombreux points de blocage de la grève générale : « Si on reste à la maison, ce mouvement provoquera un changement seulement institutionnel. Mais si on s’en mêle, avec la force qu’ont nos réseaux anticapitalistes sur tout le territoire, on aura forcément une incidence sur les événements. Pour nous, c’est dans la rue et depuis la base que les choses se jouent. » Comme dit le slogan le plus repris de ce mouvement, hérité directement des mouvements squat et antifascistes : « Els carrers seran sempre nostres ! »

  • « Le mot “sécurité” arrête la communication des êtres, des espaces et des expériences »

    Jacques Rancière rencontre Jef Klak et « Cortège de tête »
    Par Jef Klak
    Avec le concours de Thierry Gaubert

    http://jefklak.org/?p=4474

    Jef Klak s’efforce de faire se côtoyer des réalités hétérogènes. Comme ce 11 avril 2017, quand le collectif de la revue a invité le philosophe Jacques Rancière à s’exprimer après une lecture-théâtre parlant du Cortège de tête durant les manifestations contre la loi Travail de 2016. Au cours de cette soirée dans l’institutionnel lieu culturel de La Gaîté Lyrique à Paris, des personnes bloquées à l’entrée par les vigiles et l’administration du lieu ont interrompu les discussions. Celles et ceux à l’intérieur sont intervenues pour faire rentrer une partie du public restée aux portes. Non sans esclandre. Voici donc les paroles de Jacques Rancière ce soir-là, répondant aux questions préparées par Jef Klak, et improvisant face à celles posées par la situation.

    La loi Travail, c’est quoi ? C’est une loi qui dit : le travail, désormais, ce sera un truc que chacun gérera à sa façon. C’est-à-dire que le travail ne sera au fond qu’une forme d’existence individuelle. Jusqu’ici, le travail était une chose collective et non individuelle, et cela pesait dans l’existence d’un mouvement révolutionnaire. Les syndicats sont en quelque sorte les héritiers de cette histoire-là.

    En même temps, une tension apparaît, il y a un cortège qui dit : « On en a marre, on ne veut plus défiler derrière les syndicats, derrière les sonos, c’est pas beau, ça sert à rien. » Et ce cortège de tête s’impose en brisant la tradition des services d’ordre. Ce n’est pas une nouveauté dans l’absolu, parce qu’après tout, des bagarres pour savoir qui va marcher en tête dans les manifs, il y en avait déjà en 1968. La nouveauté, c’est que ça s’est nommé « cortège de tête ». Je ne pense pas que cette idée existait avant. Tout d’un coup, il y a quelque chose comme une bascule : sur un terrain de lutte qui normalement était le terrain des syndicats, il y a un groupe qui se désigne par le fait qu’il est là, qu’il se place en tête, qu’il met ses gestes et son action en tête.

    Il y a comme une bipolarité : d’un côté, des gens qui ont une certaine légitimité – en quelque sorte historique, institutionnelle –, et de l’autre côté, des gens qui passent devant, qui leur marchent sur les pieds. Ça veut dire aussi qu’on est dans une sorte de rapport, qu’on connaît bien, de parasitisme. Les syndicats mènent toujours la danse, mais ne sont plus en tête de cortège.

  • Entretien avec Jean-Baptiste Malet
    « Raconter le capitalisme à travers la tomate »

    http://cqfd-journal.org/Raconter-le-capitalisme-a-travers

    paru dans CQFD n°157 (septembre 2017), rubrique Le dossier, par Christophe Goby, illustré par Baptiste Alchourroun

    Les Chinois tiennent désormais 90% du marché du concentré de tomates en Afrique de l’Ouest, où ils écoulent des boîtes de concentré frelaté, coupé à l’amidon, au dextrose, à la fibre de soja et aux colorants rouges – car la pâte qu’ils retravaillent est souvent noire : « l’encre noire », la pire qualité de concentré sur le marché mondial. Les additifs des boîtes de concentré frelaté ne sont pas indiqués sur les étiquettes. J’ai enquêté en Chine et en Afrique sur ce scandale, qui concerne tout le continent africain.

    Les institutions financières internationales ont voulu imposer le néolibéralisme à l’Afrique. Résultat ? Des usines qui hier transformaient sur place des tomates pour nourrir les Africains ferment du jour au lendemain, à cause de la concurrence déloyale de la pâte chinoise. De jeunes producteurs de tomates sénégalais ou ghanéens, ruinés, partent vers l’Europe. J’ai aussi rencontré de nombreux migrants cueilleurs de tomates dans les vastes bidonvilles du sud de l’Italie. Certains cueillaient hier des tomates dans leur pays. Désormais, ils sont encadrés par la criminalité organisée et récoltent les « tomates pelées » que nous retrouvons, en boîte, dans les supermarchés.

  • « Le travail moderne, c’est un retour au tâcheronnage du XIXe siècle »

    Rencontre avec un collectif de livreurs à vélo en lutte

    Par Jef Klak

    Avec le concours de Jean-Baptiste Bernard

    http://jefklak.org/?p=4412

    Jérôme : L’outil numérique nous a été imposé comme outil de travail, et nous essayons de le retourner en arme. Comme à Marseille en mars dernier, face à Deliveroo : une quinzaine de livreurs ont décidé de réagir à une baisse marquée de la tarification de la livraison. Ils ont bloqué quatre restos marseillais, empêchant les autres livreurs de prendre livraison des commandes. Deliveroo a dû gérer le mécontentement des clients, puis les rembourser. Elle a aussi dû rembourser les restaurateurs, qui avaient préparé les repas. Un beau bordel !

    Quatre restos bloqués, ça n’a l’air de rien. Mais Marseille est une ville où le marché de la livraison est encore jeune : il n’y a que quarante restaurants partenaires. En bloquer 10 %, c’est déjà beaucoup. Surtout que le mouvement a pris : les livreurs débarquant devant les piquets se mettaient en grève à leur tour. Ça n’a évidemment pas plu à la plateforme, qui a « débranché » les contestataires dès le premier soir. Sans avoir les moyens de ses ambitions : les livreurs désactivés faisaient partie de ceux qui travaillaient le plus, si bien qu’elle a annulé leur déconnexion dès le lendemain. Le mouvement a continué, et Deliveroo a finalement craqué.

    Ce type de protestation se généralise, avec des grèves en Angleterre, des manifs en Allemagne, des blocages en Italie… À chaque fois, une soirée suffit à mettre une pagaille monstre. C’est révélateur de la fragilité de cette économie : quinze livreurs bloquent quatre restos, et boum ! l’appli est dans les choux.

  • Saint Louis Cemetery
    La rentrée policière aux USA et en France
    Par Ferdinand Cazalis / Klaktualités

    http://jefklak.org/?p=4381

    Après les talents de la plume, les virtuoses du plomb. Maintenant que la rentrée littéraire a fait long feu, braquons les projecteurs sur une tout autre rentrée, policière celle-ci. À Saint-Louis (25 km de Ferguson – Missouri), l’officier Jason Stockley qui avait tué Anthony Lamar Smith en 2011 vient d’être relaxé par la Justice. Depuis, c’est l’émeute. À Atlanta (Géorgie), c’est Scout Schultz, président.e transgenre de l’organisation LGBT du campus de Georgia Tech qui s’est fait abattre par la police cette semaine. Depuis, c’est l’émeute. Et à Vigneux-sur-Seine (Essonne) le week-end dernier, un jeune homme a perdu un œil après un tir de la BAC. Depuis, c’est...

  • "Le basculement, ce moment où tout se brise en s’éclairant"

    Entretien avec l’écrivaine Lola Lafon

    paru dans CQFD n°157 (septembre 2017), rubrique Culture, par Emilien Bernard, illustré par Damien Roudeau

    Dans son cinquième roman Mercy, Mary, Patty, Lola Lafon interroge la destinée de jeunes femmes refusant de suivre les rails qu’on leur a assignés, au premier rang desquelles la sulfureuse Patricia Hearst.

    http://cqfd-journal.org/Entretien-avec-l-ecrivaine-Lola

    Chez les captives des Amérindiens au XVIIIe siècle, on retrouve aussi une forme d’ouverture. « Ces adolescentes [...] voient paradoxalement leur espace de liberté s’agrandir en captivité », écrivez-vous...

    Ces jeunes filles ont généralement été rayées des chronologies et arbres généalogiques, comme pour effacer leur existence. Mais il existe de nombreux récits de captivité. Comme les femmes écrivaient alors rarement, ils étaient souvent l’œuvre d’un référent homme, le pasteur ou le père par exemple. Parmi les exceptions, le récit de Mary Jemison, qui raconte son enlèvement par les Sénéca et sa vie à leurs côtés. À contre-courant de la propagande anti-Indiens, qui les présente comme une masse indifférenciée de barbares sanguinaires, elle les décrit comme des personnes, les humanise.

    Quoi qu’il en soit, il y a vraiment un paradoxe dans ces captivités. L’enlèvement est un moment terrible, avec des épreuves physiques, mais c’est aussi l’occasion d’apprendre et découvrir. Ces femmes travaillent, se confrontent à la nature, se lient d’amitié. Elles ont grandi dans une société très puritaine et rigoriste, les confinant au foyer, et les voilà soudain dans le monde extérieur, actives.

    C’est comparable à ce qu’expérimente Patricia. Avec son enlèvement, elle passe d’une vie très monotone, marquée par une éducation ultra-conservatrice, à la découverte d’un pan inconnu de l’Amérique. Un choc difficilement imaginable. Je m’intéresse à ce basculement, ce moment où tout se brise en s’éclairant.

  • Dret a decidir La Catalogne sur le chemin de l’indépendance ?

    Par Ferdinand Cazalis

    Mariano Rajoy voit rouge. Et jaune. Et encore rouge. Et encore jaune… Hier, mercredi 20 septembre, le chef de l’État espagnol a pris la décision que la plupart des catalan.es ne pensaient pas possible la veille encore : employer la force militaire pour empêcher le référendum sur l’indépendance de la Catalogne prévu le 1er Octobre prochain. (Ce texte sera remis à jour dans les jours qui viennent)

    http://jefklak.org/?p=4321

    Pas mal de militant.es de gauche, dont les plus révolutionnaires, voient même dans cette possibilité d’indépendance une échappée pour non seulement faire vivre et perdurer langue et culture, mais aussi rompre avec un État central structurellement corrompu, coresponsable de la crise et des expulsions massives de logement après l’explosion de la bulle immobilière de 2008. Une manière en somme de renouer avec des idéaux libertaires cristallisés par la Guerre civile contre l’extrême droite catholique de Franco. Réponse du gouvernement central de droite (Partido popular – PP), soutenu par le PSOE (Parti socialiste espagnol aussi socialiste qu’en France) : mobiliser tous les corps et les esprits nécessaires pour empêcher le vote prévu.

    • Mise à jour 22 septembre 2017 à 17h.

      http://jefklak.org/?p=4321

      Jeudi 21 septembre au petit matin, les dockers de Barcelone se sont rassemblés en assemblée générale et ont voté le refus d’accorder les services portuaires aux « navires de la répression », comme ils les appellent. Deux bateaux de croisière barrent le port de Barcelone, dont l’un arborant les terrifiantes couleurs de Titi et Gros-Minet, et un autre est amarré à Tarragone, pour loger les renforts de police envoyés par Madrid – chacun ayant une capacité de 3000 personnes environ. « Nous sommes vigilants. Vous n’êtes pas les bienvenus », pouvait-on lire sur le fil Twitter de la CNT portuaire de Barcelone.

      Quatre organisations syndicales ont déposé un préavis de grève générale à la date la plus proche légalement, le 3 octobre – Confédération générale des travailleurs (CGT), Coordination ouvrière syndicale (CO), Intersyndicale alternative de Catalogne (IAC) et la Confédération syndicale catalane (CSC). Avec pour double objet : dénoncer la casse des droits des travailleurs par les dernières réformes du droit du travail, et les attaques contre les droits fondamentaux de l’État espagnol en Catalogne ces derniers jours.

      (...)

    • Et un ami photographe de Barcelone, entendant vers 19h les clameurs sous ses fenêtres me disait au téléphone : « Bon, ben là, je vais sortir, j’en ai marre de regarder tout ça sur Twitter. Ce n’est pas un délire d’indépendantistes, c’est une question toute simple de démocratie. Même ma mère, qui regardait tout ça de loin ces dernières semaines, est déjà en train de manifester ce soir. Pour elle, voir la Guardia civil intervenir de la sorte, ça fait remonter de très mauvais souvenirs de famille. C’est une image terrible que donne Rajoy, par rapport à un mouvement populaire qui ne demande qu’à pouvoir voter. Maintenant que les flics de Madrid quadrillent la ville, ils ne vont pas partir. Barcelone va être occupée comme ça jusqu’à la date prévue du référendum, qui n’aura donc peut-être pas lieu. Et alors ? On va être dans la rue, tous les soirs, on a l’habitude maintenant depuis 2011 ! Tout ça, c’est très bon pour nous : on ne demande qu’une chose, c’est plus de justice sociale, plus de liberté, et en face, ils nous envoient l’armée. Aucun.e catalan.e ne va prendre une Kalashnikov contre les flics de Rajoy, mais on va être beaucoup à affronter cette stratégie de la peur. »

  • « L’administration est dans ton corps »
    Validisme, fauteuils électriques et dignité. Entretien avec Zig Blanquer

    Par Joëlle Kehrli

    Zig Blanquer est le rédacteur de la chronique « Usure des mots » dans la revue Jef Klak . Le 19 septembre 2017, cet homme tétraplégique de 38 ans était au tribunal de Nantes. Il accuse un prestataire médical d’avoir mis cinq mois pour réparer son fauteuil électrique, l’immobilisant à son domicile durant toute cette période. Un enfermement non sans séquelles, dont ne se serait pas relevé Zig sans ressources militantes. À travers ce combat, c’est la lutte contre le « validisme » et le profit sans vergogne des entreprises qui est en jeu. Et pour la dignité de tou.te.s.

    http://jefklak.org/?p=4303

    En réalité, tu te rends compte que les décisions sont guidées par des médecins, dictées par les institutions financières, organisées par des services de prestataires médicaux ou d’aide à domicile – tout un ensemble sociétal valide qui a déjà décidé de quoi allait être faite ta journée, ta vie. Le validisme, c’est ça : comment, d’heure en heure, tu es dépossédé.e de tes choix, de tes volontés, de ton autonomie. Après, il y a la strate supérieure de la considération sociale : la façon dont, au guichet de la Poste, on ne t’adresse pas la parole, ou alors comme à quelqu’un qui viendrait de l’époque protozoaire – et ça continue comme ça, inlassablement. Il n’y a jamais (ou très rarement) de pause au validisme.

    Et, de façon inconsciente, ça fait une boule de discrimination, que tu avales au début parce que tu as l’impression que c’est normal, que c’est comme ça. Or toute vie mérite le respect des choix et la dignité. De nombreuses personnes me demandent comment j’en suis venu à une posture autonomiste… Probablement par quelque chose d’intersectionnel 6. Initialement, ma culture politique est queer, elle se situe plutôt du côté de tout ce qui est minorisation sexuelle, plutôt que par rapport au fait de pouvoir exister en tant qu’handi.e. Mais de fil en aiguille, j’ai constaté que le prisme de la discrimination que l’on applique aux minorités sexuelles convient parfaitement aux handicaps.

  • Venezuela
    « C’est une curieuse guerre où Maduro réarme sans cesse ses ennemis »

    paru dans CQFD n°157 (septembre 2017), rubrique Actualités, par Mathieu Léonard, illustré par Oscar B. Castillo

    http://cqfd-journal.org/C-est-une-curieuse-guerre-ou

    La crise politique qui met le Venezuela en ébullition depuis des mois est au cœur d’une guerre d’information et de propagande qui s’invite même, quoique à d’autres fins, dans le débat politique français. Au-delà des discours binaires, nous avons voulu prendre le risque de la complexité avec Fabrice Andreani, doctorant à Lyon-II, qui travaille sur la révolution bolivarienne.

  • « On remet la photo choc à sa bonne place »
    Entretien avec Valentina Camu et Yann Levy, de la revue photographique États d’urgence

    Par Ferdinand Cazalis

    http://jefklak.org/?p=4242

    (via CQFD )

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    La nouvelle revue États d’urgence regroupe six professionnel.le.s de la « photographie sociale ». Tous les ans, 128 pages de regards au long cours sur nos urgences quotidiennes : casse sociale, crise migratoire, violence d’État, catastrophe écologique… Entretien à deux voix pour interroger le rôle de la photo dans les luttes : l’histoire est-elle soluble dans l’esthétique ?

    *

    Prendre une bonne « photographie sociale », comme vous dîtes, est-ce aussi prendre une belle photo ?

    Y. L. : Prenons un exemple : depuis un certain temps, les médias se focalisent sur l’esthétique de l’émeute, avec les affrontements de personnes habillées de noir et en cagoule. Et nous, en tant que photographes, on voit bien que photographier cela est plus vendeur. Mais on perd du même coup toutes les autres réalités qui font une manifestation. On se retrouve donc avec 50 photographes autour de 10 ou 15 personnes qui lancent un pauvre cocktail Molotov : l’info est réduite à cela. Et ils essaieront tous de vendre la même photo du CRS en flammes, car ils savent que c’est ce que veulent les rédactions en termes de « belle photo » : du spectaculaire et de l’effrayant. Alors qu’au même moment, il se passe plein de belles choses parmi les milliers de personnes présentes.

  • Coma social / Vérité et Justice pour Akram

    par Ferdinand Cazalis

    https://paris-luttes.info/coma-social-verite-et-justice-pour-8380

    Jeudi 15 juin, le jeune homme de 24 ans était envoyé à l’hôpital dans un état grave par un policier. Selon les premiers témoignages, l’officier s’était caché derrière un conteneur, attendant le passage d’Akram pour le pousser pendant qu’il roulait en scooter. De sa chute en pleine course, le jeune homme aurait été laissé là, après avoir tout de même été fouillé, agonisant. C’est une deuxième équipe de police, quelques dizaines de minutes plus tard, qui l’aurait traîné jusqu’à leur fourgon pour le conduire à l’hôpital. Une version qui ne manquera pas d’être contredite par la police, qui a porté plainte dès hier.

    La famille, quant à elle, s’est fait claquer la porte au nez de deux commissariats qui ont refusé de recevoir leur plainte, protégeant ainsi leur collègue. Ce soir, l’hôpital ne pouvait rassurer personne sur l’état de cette énième victime des uniformes racistes. Souffrant d’un traumatisme crânien et d’une hémorragie cérébrale, Akram a été plongé en coma artificiel. Entre la vie et la mort. « On se retrouvera sur cette place tous les soirs, nous a dit avec détermination et dignité le frère d’Akram ce soir. On n’a rien à se reprocher, on appelle au calme et à la vérité, quelle qu’elle soit. »

    https://paris-luttes.info/home/chroot_ml/ml-paris/ml-paris/public_html/local/cache-vignettes/L614xH348/539f1cf0-eda9-11e4-ac05-7b12ae10444b_ap070117029598crop-2cdc6-d62f2.j

  • Rocky et ses bêtes
    Une rétrospective animalière de l’Étalon italien

    Par Malik Mellah et Ferdinand Cazalis

    http://jefklak.org/?p=3951

    John G. Avildsen, réalisateur oscarisé de Rocky en 1976 et de Rocky V en 1990 s’est éteint ce 16 juin 2017. La sortie de Creed : l’héritage de Rocky Balboa en novembre 2015 avaient célébré les 40 ans du boxeur de Philadelphie. Film après film, match après match, l’Étalon italien s’est pris l’Histoire dans la gueule – comme autant d’imparables crochets. Le personnage totem de Sylvester Stallone a inlassablement occupé le centre du ring hollywoodien, autrement dit le territoire culturel mondial. Dans son numéro 3 (« Selle de Ch’val »), Jef Klak rendait hommage à cette figure du combat contre soi-même. Quarante ans pour devenir – et transmettre comment devenir – un être humain digne de ce nom, au milieu des bêtes, grâce aux bêtes.

  • Brasiers du Brésil

    http://jefklak.org/?p=3907

    Le Brésil dans la pire crise politique de son histoire

    Par Marcelo Aguilar
    Traduction par Nathalia Kloos et Ferdinand Cazalis
    Article original sur Saltamos.net : « Brasil, en la peor crisis política de su historia »

    Dans un contexte tendu de réformes du code du travail portées par l’impopulaire gouvernement de Michel Temer – qui a remplacé celui de Dilma Roussef –, un enregistrement a récemment compromis le président, qui peut se voir destitué à tout moment. Accroché au pouvoir, Temer a alors envoyé un signal dangereux en promulguant un jour durant un décret autorisant le déploiement des troupes militaires dans la capitale pour contenir les manifestations qui demandent sa destitution. Le procès au Tribunal électoral supérieur devrait statuer, à moins d’un report, ce jeudi 8 juin 2017 sur la destitution du président. Au cœur du plus gros scandale politico-financier de son histoire, et dirigé par une élite corrompue jusqu’aux os, le Brésil traverse une crise sans précédent. Et le peuple est dans la rue.

  • Vote Off
    Mascarades électorales en Algérie
    par Nedjib Sidi Moussa, illustré par Rémy Cattelain
    paru dans CQFD n°154 (mai 2017)
    http://cqfd-journal.org/Mascarades-electorales-en-Algerie

    Pourtant, à côté de séquences retranscrivant la langue de bois des grands commis de l’État, la force de Vote Off réside surtout dans ces séquences où s’expriment avec sincérité le rappeur de Bab-el-Oued ou le petit commerçant de la Mitidja, rappelant ainsi que l’Algérie ne se limite pas à sa capitale, où se manifeste toutefois avec plus de clarté le rejet des scrutins faussés. Ainsi, Vote Off propose une séquence au cours de laquelle échange un groupe de trentenaires algérois autour d’un café-clope. L’un d’eux, contrastant avec la détente ambiante, finit par lancer : « J’ai voté une seule fois dans ma vie pour faire plaisir à ma sœur… C’est le 17 avril, le vote, c’est ça ? Pourquoi je voterais ? Le match est truqué. Tu vois le délire ? Le match est truqué, Bon Dieu. On ne va pas se voiler la face . »

    Dans un autre passage, quelque part dans la verdure de la Mitidja, un quadragénaire – qu’on imagine père de famille – s’adresse à la caméra avec une franchise que trahit son agacement : « C’est ton droit de le faire. Donc je vote… Mais je n’attends rien de la politique, il n’y a rien à attendre d’elle. Les politiciens eux-mêmes n’y arrivent pas. Regarde ce qui se passe entre eux. Nous on s’en fout… On veut juste vivre notre vie. Laissez-nous vivre et puis c’est tout... On veut juste avoir les choses dont on a besoin… Ce que l’État m’a donné je le rends . » L’acte de vote, loin d’exprimer une quelconque légitimation du personnel politique, doit davantage être compris, dans ce cas, comme le souci chez certains Algériens de préserver la paix civile et de conserver les quelques acquis arrachés par les luttes populaires ou concédés par un gouvernement soucieux de garantir la paix sociale en échange du statu quo politique.

    #Algérie #Vote_Off #Élection #Législative #Mascarade

  • Grèce anatomie
    Archipel d’attente
    par Léna Coulon, illustré par Juliette Barbanègre
    paru dans CQFD n°153 (avril 2017)
    http://cqfd-journal.org/Archipel-d-attente

    Au large des côtes turques, un drapeau grec détrempé surplombe l’amas de blocs en préfabriqués et de tentes battues par la pluie enserrés dans le hotspot de Samos, l’un de ces centres de tri de migrants à ciel ouvert construits à la hâte sur les îles égéennes. Il est, avec ceux de Lesbos et de Chios, le symbole implacable des politiques migratoires de l’Union européenne (UE), soucieuse de contenir, ficher et enfermer celles et ceux ayant eu l’audace de franchir la mer meurtrière pour rejoindre ses terres défendues. Toutes et tous y sont convoyés dès leur réception, après une traversée incertaine et glaçante sur une embarcation constamment prête à chavirer : « Dans le bateau, il faut garder la même position, sans bouger, pendant des heures, se souvient Jonathan, exilé burundais maintenu sur l’île pendant plus de dix mois. Au moindre mouvement, on sent le bateau sur le point de se renverser. Pour nous, ça allait encore – ça n’a pris que cinq heures. Mais pour d’autres, ça a duré toute la nuit... » L’accueil qui leur est fait à l’arrivée annonce la manière dont ils seront traités pour les semaines, voire les mois, à venir : femmes, hommes, enfants et bébés sont immédiatement enfermés dans l’« espace d’identification », zone de confinement à l’intérieur du camp. Ils doivent y prendre leur mal en patience, souvent plus de 10 heures, le temps que policiers, agents du gouvernement grec et de l’UE procèdent à un interrogatoire et à un fichage en règle. « Les flics les bousculent, les poussent comme des chiens, voire les frappent s’ils insistent trop pour recevoir à manger ou à boire, raconte Ion, bénévole depuis près de cinq mois à Samos. Il faut toujours négocier pour pouvoir leur fournir quelques vêtements secs et de l’eau. »

  • Ce qu’il ne s’est pas passé à suger
    Pas de lycée sans feu
    par Ferdinand Cazalis
    paru dans CQFD n°153 (avril 2017)
    http://cqfd-journal.org/Pas-de-lycee-sans-feu

    Aujourd’hui encore au lycée Suger, malgré les revendications du personnel et des parents, il y a seulement 5 surveillants pour 1 200 élèves. Peu importe, sur les chaînes de télévision, la présidente du conseil régional Valérie Pécresse a rappelé ses 70 000 euros de budget pour installer de nouvelles caméras aux abords du lycée. De quoi faire jaunir le rire des enseignants : « Oui, on a besoin de caméras, blague Dominique, parce qu’on est un bahut de l’audiovisuel, donc donnez des caméras aux élèves pour qu’ils puissent étudier. Les caméras de surveillance, nos élèves nous le disent : “Soit on les casse, soit on met des capuches.” Alors que quand il y a un surveillant, c’est humain, ça se règle en discutant. » Et sur BFMTV, lorsque la ministre de l’Éducation Najat-Belkacem réagit aux événements, c’est avec la veste de l’Intérieur : « Il y a une digue qui semble avoir sauté hier, qui a été l’introduction de la violence, non plus seulement sur le parvis des établissements, mais à l’intérieur. C’est un fait gravissime, donc il faut absolument être ferme dans la réponse […], et c’est la raison pour laquelle j’ai augmenté de 30% les forces de police dans le cadre de ce qu’on appelle les équipes mobiles de sécurité (EMS). » Sur des réformes éducatives, ou à l’adresse des parents et des élèves, pas un mot.

    Ces « EMS » sont des agents « volants », recrutés la plupart du temps chez les retraités de la police, et chargés de gérer les « situations de crise » dans l’enceinte scolaire, en particulier dans les banlieues. Leur apparition date de 2009, lorsque des bagarres éclatent dans le lycée Jean-Baptiste-Clément de Gagny, en Seine-Saint-Denis toujours. La vision de jeunes encagoulés pénétrant le « sanctuaire » de l’école défraie alors la chronique. Le président Sarkozy ne rate pas l’occasion d’ouvrir sa gueule de Karcher : « Les violences en milieu scolaire sont une autre forme, non pas de l’incivilité, terme bien trop faible, mais de la délinquance, du crime, voire de la barbarie. » Il est grand temps de recruter des agents de police spéciaux pour ces barbares que les enseignants gnan-gnan ne parviennent pas à maîtriser.

    Huit ans après, pour dresser le bilan dans les quartiers populaires de cette « sécurisation militaire », comme le dit un chef d’équipe EMS, on peut se reporter au rapport commandé à l’Institut national des Hautes Études de la Sécurité et de la Justice : « Alors que les formes antérieures de partenariat police/école s’inscrivent dans une logique délégataire des enjeux de sécurité de l’école vers le monde policier et s’appliquent à maintenir une distance entre le travail de police et l’école, avec les EMS, des policiers sont invités à venir faire la police dans l’école à côté de personnels de la communauté éducative. […] Après avoir fait ses preuves, la police entrerait enfin dans l’école pour y exercer des fonctions de police. Des choses jusque-là inconcevables deviendraient possibles... […] On passerait ainsi en réalité de la police à l’école, à la police de l’école. »

    #CQFD #Violence_Policière #Lycée_Suger #La_Police_Tue