Ces Ă©tablissements louent et vendent des vĂ©hicules dâoccasion Ă des publics modestes, notamment dans les zones rurales. Faute de flotte suffisante, ils peinent Ă rĂ©pondre Ă la demande. Une proposition de loi, examinĂ©e mercredi 27 mars et visant Ă favoriser le rĂ©emploi des vĂ©hicules les moins polluants destinĂ©s Ă la casse, pourrait les soulager.
Câest bien davantage quâune voiture que retrouve, ce jour-lĂ , Rose Sergent, 24 ans, juchĂ©e sur des talons hauts, lorsque SĂ©bastien Baumont, mĂ©canicien, lui remet les clĂ©s dâune CitroĂ«n Xsara dâoccasion, sur le parking du garage Solidarauto de TrĂ©lazĂ© (Maine-et-Loire). « Câest mon indĂ©pendance, ma libertĂ©. » Depuis que sa vieille Clio II lâa lĂąchĂ©e, voilĂ trois mois, cette jeune mĂšre cĂ©libataire « galĂ©rait ».
Elle habite un village isolĂ©, dĂ©pourvu de bus, a deux enfants Ă charge et toute sa famille dans le Pas-de-Calais. « Au dĂ©but, une collĂšgue mâemmenait Ă lâusine dâagro, mais elle en a eu marre. » Rose relĂąche la pression en roulant une cigarette sur le capot. « Jâai hĂąte de rappeler lâagence dâintĂ©rim pour reprendre direct. Enfin, je vais pouvoir bouger, revoir du monde. » Rien que pour arriver jusquâau garage, elle a dĂ» prendre un train, un bus, et finir Ă pied.
Câest son assistante sociale qui lui a parlĂ© de Solidarauto, un garage associatif, dit « solidaire », qui a pour spĂ©cificitĂ© de sâadresser Ă des publics modestes rencontrant des problĂšmes de mobilitĂ©. Budget carburant Ă©levĂ©, voiture vieillissante, longues distances⊠PrĂšs de 13,3 millions de Français sont considĂ©rĂ©s en situation de « prĂ©caritĂ© mobilitĂ© », selon le baromĂštre 2022 des mobilitĂ©s du quotidien de Wimoov et la Fondation pour la nature et lâhomme. En particulier dans les territoires ruraux. PrĂšs de 4,3 millions de citoyens ne disposent en outre dâaucun Ă©quipement individuel ou abonnement de transport collectif.
Chez Solidarauto, il est possible soit de louer â pour 7 euros par jour, plus 0,10 centime du kilomĂštre, sous condition de ressources et prĂ©sentation dâun contrat de travail â, soit dâacheter (au prix moyen de 3 000 euros). Les vĂ©hicules proviennent des dons de particuliers, parfois de collectivitĂ©s, et ouvrent droit Ă une rĂ©duction dâimpĂŽt, lâassociation Ă©tant reconnue dâintĂ©rĂȘt gĂ©nĂ©ral.
Certains en entendent parler par le bouche-Ă -oreille ou par les plates-formes de dons (Solidarauto.org, Donnezvotrevoiture.org). « Les voitures passent dâabord entre les mains de nos mĂ©caniciens, qui contrĂŽlent leur Ă©tat et avisent de leur rĂ©emploi en location ou vente, sinon pour des piĂšces dĂ©tachĂ©es », explique Anita Devaux-Pelier, la directrice.
Des bĂ©nĂ©voles se chargent de rĂ©cupĂ©rer les vĂ©hicules chez les donateurs. Tout un chacun peut aussi venir y rĂ©parer sa voiture, suivant des tarifs adaptĂ©s. Une centaine de garages associatifs de ce type ont fleuri ces derniĂšres annĂ©es sur lâensemble du territoire. Ils se rĂ©partissent au sein de trois principaux rĂ©seaux : Solidarauto (Secours catholique et Caritas France), Agilâess et MobâIn.
En ce mercredi de mars, lâespace location du parking du Solidarauto de TrĂ©lazĂ© est vide. « Nos quarante voitures sont prises en permanence. Pareil pour la vente, ça part tout de suite. On nâarrive pas Ă rĂ©pondre Ă la demande », tĂ©moigne la directrice. Une problĂ©matique Ă laquelle font face tous les garages solidaires, dans un contexte dâinflation et de prĂ©caritĂ© croissante.
Leur modĂšle Ă©conomique, dĂ©pendant essentiellement des dons, est fragile et sâest vu assĂ©chĂ© par le dĂ©ploiement de la prime Ă la conversion (PAC), qui permet aux particuliers, sous condition de revenus, dâobtenir une aide pour acquĂ©rir un vĂ©hicule peu polluant en Ă©change de la mise au rebut dâun ancien. Ces garages pĂątissent en outre dâun cadre juridique lacunaire et de moyens souvent limitĂ©s.
Nombreux « garde-fous »
Une proposition de loi Ă©cologiste, examinĂ©e mercredi 27 mars Ă lâAssemblĂ©e nationale, aprĂšs adoption Ă lâunanimitĂ© au SĂ©nat, pourrait toutefois leur offrir un nouveau souffle. Celle-ci prĂ©voit que les collectivitĂ©s, Ă travers les autoritĂ©s organisatrices de mobilitĂ©, puissent rĂ©cupĂ©rer les vĂ©hicules parmi les moins polluants de ceux destinĂ©s Ă la casse dans le cadre de la PAC (les vĂ©hicules Ă essence classĂ©s CritâAir 3 ou moins, ainsi que les vĂ©hicules « rĂ©trofitĂ©s » : conversion Ă lâĂ©lectrique ou hybrides rechargeables), pour les louer Ă des personnes dĂ©favorisĂ©es, notamment par le biais des garages solidaires.
Car si la PAC a fait ses preuves en matiĂšre de baisse des Ă©missions de CO2 et de particules fines, « la destruction systĂ©matique de tous les vĂ©hicules remplacĂ©s, pour certains rĂ©cents et encore en bon Ă©tat, ne va pas de soi, souligne le rapporteur de la proposition de loi au SĂ©nat, Jacques Fernique. Une part considĂ©rable des vĂ©hicules mis au rebut sâavĂšre moins polluante quâune partie du parc roulant [59 % des 92 000 vĂ©hicules mis Ă la casse en 2022 Ă©taient des CritâAir 3 ] ». Les garages solidaires pourraient ainsi bĂ©nĂ©ficier dâun « gisement dâenviron 30 000 vĂ©hicules par an, moins polluants que ceux utilisĂ©s jusquâalors ».
Et de rappeler que de nombreux « garde-fous » ont Ă©tĂ© intĂ©grĂ©s : utilisation limitĂ©e Ă la location, pour une durĂ©e dĂ©finie, pour des publics prĂ©caires⊠Sâil existe dâautres dispositifs pour les mĂ©nages modestes, comme le leasing social (Ă©puisĂ© pour 2024) pour encourager le passage Ă lâĂ©lectrique, ou le prĂȘt Ă taux zĂ©ro pour lâacquisition dâun vĂ©hicule lĂ©ger dans les agglomĂ©rations ayant mis en place des zones Ă faibles Ă©missions mobilitĂ©, « ils ne permettent pas de rĂ©pondre aux besoins urgents des plus dĂ©favorisĂ©s, notamment dans les zones rurales ».
Rapporteure Ă lâAssemblĂ©e nationale, Marie Pochon y voit « un texte emblĂ©matique de lâĂ©cologie de terrain, qui associe trĂšs concrĂštement justice sociale et impĂ©ratif environnemental ». Elle souligne que tout est parti dâune discussion entre lâancien sĂ©nateur du Morbihan JoĂ«l LabbĂ© et son garagiste.
« On fait aussi de lâaccompagnement social »
« Vous aidez des familles Ă sâen sortir ! Merci », peut-on lire dans le livre dâor, au garage de TrĂ©lazĂ©. « Il nây aurait pas eu ça, jâaurais pu perdre mon travail », note CĂ©dric Collet, 33 ans, intĂ©rimaire dans une usine situĂ©e Ă 20 kilomĂštres de son domicile. La courroie de distribution de sa Renault Laguna a lĂąchĂ© il y a trois semaines. Selon les jours, il embauche Ă 5 heures ou dĂ©bauche Ă 21 heures. Pas de bus. Sa femme, aide-soignante, a besoin de sa voiture. Il a eu des sueurs froides en dĂ©couvrant les tarifs des agences de location.
« Heureusement », son organisme dâaide aux intĂ©rimaires lâa orientĂ© vers Solidarauto : CĂ©dric peut louer, pour 10 euros par jour, dans la limite de 100 kilomĂštres par jour, pendant soixante jours. De quoi lui laisser le temps de faire ses rĂ©parations, lui qui « touche Ă la mĂ©cano ». Changer de voiture grĂące aux aides de lâEtat ? Il a dĂ©jĂ fait le calcul : le reste Ă charge serait trop important. « Pour avoir une voiture correcte aujourdâhui, il faut pouvoir sortir entre 8 000 et 10 000 euros. » Dâautant que sa Laguna, 270 000 kilomĂštres au compteur, « tient encore la route ». « Je prĂ©fĂšre lâemmener au bout, jusquâĂ ce quâelle claque. »
Le rĂ©seau Solidarauto accompagne chaque annĂ©e quelque 6 000 bĂ©nĂ©ficiaires. Dont beaucoup de femmes, « parfois trĂšs fragilisĂ©es », relĂšve Anita Devaux-Pelier. « Combien de fois jâentends “mon mari est parti avec la voiture”. On fait aussi de lâaccompagnement social et on tente de les former Ă la gestion de leur vĂ©hicule. »
En instance de divorce, ses enfants Ă emmener Ă lâĂ©cole et Ă la crĂšche dans deux villages avant de rejoindre son salon de coiffure Ă Angers, Ă 30 kilomĂštres, Kristina BĂ©guin, 39 ans, une GĂ©orgienne, ne voit pas comment elle aurait fait sans cette solution de location dâurgence. « Aucun garage nâaide comme ça les gens comme moi. »
Sa CitroĂ«n C4 lâa lĂąchĂ©e il y a un mois. Elle a essayĂ© Blablacar : « Trop galĂšre avec les enfants. » Elle espĂšre parvenir Ă revendre son vĂ©hicule sur Leboncoin. Objectif : se trouver un logement Ă Angers pour se rapprocher du travail et ne plus dĂ©pendre de la voiture. « Habiter Ă la campagne et travailler en ville, câest trop compliquĂ©. »
Manuella Lhumeau, 41 ans, envisage, elle aussi, de quitter son petit pavillon dâErdre-en-Anjou (Maine-et-Loire) pour davantage de commoditĂ© et surtout de bus. MĂšre cĂ©libataire de quatre enfants, elle passe sa vie Ă « faire le taxi » : dĂ©poser le grand Ă lâarrĂȘt de car Ă 8 kilomĂštres, emmener le petit aux entraĂźnements de tir sportif, le mĂ©decin, les courses, lâassociation de pĂȘcheâŠ
Autant dire quâĂ chaque fois que lâOpel Zafira â avec 323 000 kilomĂštres au compteur â tombe en rade, câest tout le quotidien qui se dĂ©traque. En changer avec les aides de lâEtat ? « Jâai mis tout lâargent que jâavais dans cette voiture. Jâai tellement investi, je nâai pas envie de mâen sĂ©parer. » Un silence. « Et puis une familiale comme ça, avec un coffre aussi grand⊠»
Manuella Lhumeau, 41 ans, quitte son petit pavillon dâErdre-en-Anjou (Maine-et-Loire) avec lâun de ses fils, le 18 mars 2024. ADELINE PRAUD POUR « LE MONDE »
Pas question non plus pour SĂ©bastien Brault, expert-comptable, dâenvoyer le monospace familial Ă la casse, aprĂšs quinze ans de bons et loyaux services. En le donnant Ă Solidarauto, il espĂšre lui offrir une seconde vie auprĂšs dâune autre famille. « On a achetĂ© une Ă©lectrique, jâai mon [Peugeot] 5008 thermique pour les gros trajets, ça nâa pas de sens dâen garder une troisiĂšme. » Pourquoi donner ? « Un vĂ©hicule qui roule ne doit pas aller Ă la casse, estime le quadragĂ©naire, en bras de chemise et montre connectĂ©e au poignet. Si lâon pense au cycle de vie, mieux vaut voir rouler jusquâau bout des CritâAir 4 plutĂŽt que construire des Ă©lectriques. » Un don qui tombe Ă pic, se rĂ©jouit Mme Devaux-Pelier : une famille vient de lui demander une voiture de sept places.
Quant Ă la question â pour lâheure lointaine Ă Angers â de lâaccĂšs restreint de ces vĂ©hicules anciens dans les ZFE des mĂ©tropoles, les intĂ©ressĂ©s balaient dâun revers de la main le problĂšme. « De toute façon, dans le centre-ville, je nây vais jamais », lĂąche CĂ©dric Collet. Dâaucuns ont dĂ©jĂ lâhabitude de se garer Ă lâextĂ©rieur et de sây dĂ©placer en tram ou en bus. Les ZFE, Manuella Lhumeau trouve ça bien. « Et pour la santĂ©, et pour la planĂšte, juge cette ancienne arboricultrice, qui veille sur lâĂ©tang voisin. Dans les bouchons Ă Angers, jâai mal Ă la tĂȘte. AprĂšs, il faudra que les aides suivent pour les gens modestes qui vont y travailler. »
LâĂ©quipe de TrĂ©lazĂ© attend beaucoup de la proposition de loi, qui lui permettrait dâobtenir davantage de vĂ©hicules, et des moins polluants. « On est pris entre ces questions environnementales et les urgences sociales », remarque la directrice. Du tri des « pots cata » aux lavettes en tissu rĂ©cupĂ©rant lâhuile moteur, chacun, ici, a Ă cĆur de faire sa part, « et pour les gens, et pour lâenvironnement ».