"L’ouvrage souligne plusieurs tensions et facteurs qui parcourent l’histoire complexe du #FN et remet en cause l’image externe que s’est construite ou qui a été construite autour de ce parti. Trois axes peuvent être brièvement évoqués, du particulier au global : le dirigeant, le parti, leurs interactions avec le système politique.
D’une part, paradoxalement, Jean-Marie Le Pen apparaît, au sein de l’extrême droite ultra, comme étant plutôt modéré. Antisémite, raciste et colonialiste, il est aussi un notable longtemps élu, relevant d’une extrême droite à la fois protestataire et légaliste, qui préfère les urnes aux combats de rue – sans dédaigner ces derniers à l’occasion. Cette relative modération est son arme stratégique la plus redoutable : elle a permis le tour de force de faire coexister dans une même structure tout l’éventail des extrêmes droites hexagonales.
D’autre part, la plasticité idéologique de l’organisation elle-même en est un des aspects les plus remarquables, comme le montre le passage de l’atlantisme à l’antiaméricanisme. Cet état de fait est la résultante de tensions méconnues et récurrentes entre frontistes, qui commencent avec les heurts des nationalistes-révolutionnaires de François Duprat et des solidaristes de Jean-Pierre Stirbois à la fin des années 1970. Elles n’ont pas cessé depuis, les sujets d’affrontement ayant simplement changé. La plasticité des idées a une base territoriale. Le FN des anciennes régions industrielles du Nord-Est recourt parfois au vocable de la gauche. Celui du Sud est avant tout défini par l’héritage des militants de l’Algérie française et d’une extrême droite plus bourgeoise.
Enfin, le FN et le système politique entretiennent des rapports ambivalents. Le parti a par intermittence tenté un rapprochement avec les autres droites. Ces approches ont buté sur le double obstacle du gaullisme (dont le rejet a longtemps été le socle commun des frontistes) et des fluctuations du FN. Pour leur part, certains cadres du RPR et de l’UDF (ainsi Charles Pasqua en 1988) ne désespéraient pas d’une grande alliance.
De leur côté, une partie des élites de gauche auraient-elles vu dans le FN un outil de division des droites ? Une terrible phrase de Pierre Bérégovoy indique que cette idée a au moins existé, quand le parti commençait son envol : « On a tout intérêt à pousser le Front national, il rend la droite inéligible. Plus il est fort, plus nous sommes imbattables. C’est la chance historique des socialistes » (p. 127).
Le FN, loin d’être uniquement un trublion de la vie politique, en est devenu une pièce routinière. C’est à la fois la conclusion la plus forte d’un ouvrage passionnant et le résultat le plus marquant des trente ans qui ont suivi la percée du parti à Dreux."
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