CIP-IDF > La figure du prolétariat, multitudes, insurrection et nécessité subjective

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  • la #révolution et le #précaire | l’armée des ombres, version @tanxxx
    http://soupe-a-l-herbe.antifa-net.fr/revolution-et-le-precaire

    Je suis toujours précaire, 12 ans après, je le vis pas spécialement mal, et ma situation est en grande partie choisie et consciente (dans le sens où je ne la subis pas autant que quand j’étais au RMI). Ma révolte a trouvé un lit, un axe, un but. J’ai découvert l’anarchisme, ou plutôt que je me suis débarrassée des clichés sur celui-ci pour l’embrasser pleinement. Mais j’ai toujours du mal à trouver ma place dans le militantisme. Mon savoir, ma culture acquis ces dernières années ne suffisent pas toujours à adhérer à ce que je vois concrètement du militantisme. J’ai fini par comprendre, appréhender et relier à ma vie les concepts que je trouvais parfois abstraits, mais ça ne se fait pas sans un effort, même en ayant cette culture. Par exemple parler de prolétariat comme classe commune entre un prof et un RSAste, ça me chatouille, j’y peux rien, c’est plus fort que moi.

    J’ai du mal à trouver ma place parce que j’ai l’impression que les concepts font fi de réalités autrement plus concrètes. J’ai du mal à me considérer dans la même classe qu’un fonctionnaire, j’ai du mal à entendre d’un salarié que je ne suis pas révolutionnaire si je demande, dans un accès de désespoir, un statut qui me protège. Je sais que ça n’est pas révolutionnaire, et j’ai eu honte de proférer ce blasphème en réunion syndicale. Si j’admets m’être vautrée dans le réformisme (bouuuh !), j’aimerais bien qu’on admette, ne serait-ce que deux minutes, qu’il est loin d’être facile d’être révolutionnaire quand on est précaire. Tout comme il est facile de dire qu’on se fout des papiers quand on est blanc, il est facile de dire que le genre n’est pas un problème quand on est un homme, etc. Il est facile de décréter ce qui est révolutionnaire ou non quand on ne craint pas pour ses arrières (je renvoie à ce super texte).

  • Le temps de l’œuvre, le temps de l’acte : Entretien avec #Bernard_Aspe
    http://www.inflexions.org/n5_t_bordeleauhtml.html

    Il me semble en effet que, plus que jamais, le sujet de l’économie capitaliste est soumis à une injonction contradictoire : on attend de lui qu’il vive le temps de sa vie comme étant celui de son accomplissement (le seul qui lui soit donné : « le temps qui lui reste », en ce sens) et qu’en même temps il se soumette à l’accélération généralisée qui caractérise l’état présent du monde du capital (je pense ici au livre important de Hartmut Rosa : Accélération. Une critique sociale du temps, La découverte, 2010), et qui ne cesse de contrarier, en le retardant indéfiniment, cet accomplissement. Une accélération qui obstrue simultanément toutes les dimensions du temps : l’avenir ne doit pas être accueilli en son impensabilité propre, mais géré ; le rapport au passé n’est plus entretenu par un art de la mémoire (qui pourrait par exemple restituer leur présence absente à ceux que Simondon appelait « les vivants du passé »), mais objet d’une commémoration (ou d’un refoulement) ; et le présent, qui semble plus que jamais privilégié (les sociologues parlent même de « présentisme » pour désigner l’incapacité du sujet à se rapporter à un horizon qui excède l’expérience du moment) est en réalité esquivé, contourné, conjuré. Car il n’y a pas de présent sans une résolution (je sais que c’est là un motif heideggérien, mais nous trouvons son origine dans la lignée Schelling–Kierkegaard) qui nous fait être exactement là où nous sommes, et surtout qui nous y fait être sans réserve. Or, le sujet de l’économie ne peut « jouir du présent », comme il ne cesse de le clamer, que s’il sait qu’il lui reste plusieurs possibilités de vie en réserve, et qu’il maintient ainsi plusieurs portes ouvertes — dans la mesure où il sait bien que ce qu’il expérimente pourrait quelque jour ne plus lui convenir. Il a besoin de se rassurer en se disant que la vie qu’il a n’est pas la seule possible, qu’il lui sera toujours possible de « changer ». Ainsi fait–il confiance à ce qu’il lui reste encore à expérimenter, comme d’autres en d’autres temps plaçaient leur foi en un autre monde, dont ils n’avaient pas encore l’expérience. Le monde est devenu intégralement immanent, la fausse transcendance est restée : elle n’est plus guère celle de l’outre–monde, mais bien plutôt celle des expériences de vie qui restent encore à explorer. Etre quelque part — être situé dans le monde — est pour notre contemporain un objet de panique.

    Disons que le sujet de l’économie a mal lu Spinoza : il croit qu’il doit se laisser diriger par la question « qu’est–ce que je désire ? » Au besoin, il va chez le psychanalyste pour demander conseil. Mais il n’a pas compris que la question de ce qu’il désire ne pouvait trouver à se résoudre que depuis la compréhension d’une nécessité. C’est lorsque je suis en adéquation avec ce que l’on pourrait appeler une nécessité subjective (car je ne parle pas ici de nécessités qui seraient imposées par « l’ordre des choses ») que je peux enfin m’y retrouver dans ce que j’appelle « mon désir ».