Il ne faut pas réduire le problème à sa dimension écologique

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  • Une série d’entretiens avec Augustin Berque, que j’ai découvert il y a quelques années grâce à @Mona http://www.peripheries.net/article184.html, et qui approfondit bien les choses concernant l’#empreinte_écologique dans sa dimension humaine (aspect qui reste dans un angle mort de la plupart des discours écolos).
    Résumé de ce que j’en retiens :

    1. Il ne faut pas réduire le problème à sa dimension écologique http://www.dailymotion.com/video/xfvyhz_il-ne-faut-pas-reduire-le-probleme-a-sa-dimension-ecologique_web


    Les écologistes ne se posent pas le problème de l’#écoumène, cela reste dans un angle mort du mouvement écolo actuel. Or notre relation à la Terre n’est pas uniquement écologique, elle est également écouménale, elle implique aussi des systèmes techniques et des systèmes symboliques. C’est cette dimension technique et symbolique qui fait notre rapport au monde en tant qu’humains. Notre monde humain repose sur les écosystèmes mais il les dépasse également, il nous faut comprendre en quoi notre monde est + que des écosystèmes.

    La technique est bel et bien une extériorisation, qui prolonge notre corporéité hors de notre corps jusqu’au bout du monde ; mais le symbole est au contraire une intériorisation, qui rapatrie le monde au sein de notre corps. Quand le robot Sojourner saisit cette pierre, là-bas sur Mars, il prolonge, grâce à la technique, le geste ancestral de l’Homo habilis, qui, voici deux millions d’années, investit dans un galet aménagé, tenu à bout de bras, une fonction jusque-là uniquement exercée par les incisives au-dedans de la bouche. Mais inversement, c’est avec ma bouche, ici et maintenant, que je parle de Mars et de Sojourner, qui sont loin dans l’espace, et d’Homo habilis, qui est loin dans le temps. Je peux le faire grâce à la fonction symbolique, laquelle, sous ce rapport, consiste donc à rendre présentes au-dedans de mon corps des choses qui en sont physiquement éloignées. Cela, ce n’est pas une projection ; c’est, tout au contraire, une introjection. La trajection, c’est ce double processus de projection technique et d’introjection symbolique. C’est le va-et-vient, la pulsation existentielle qui, animant la médiance, fait que le monde nous importe. Il nous importe charnellement, parce qu’il est issu de notre chair sous forme de techniques et qu’il y revient sous forme de symboles. C’est en cela que nous sommes humains, en cela qu’existe l’écoumène, et c’est pour cela que le monde fait sens

    extrait de « Ecoumène, introduction à l’étude des milieux humains »

    2. « Ce monde là court à la catastrophe... » http://www.dailymotion.com/video/xgp64m_ce-monde-la-court-a-la-catastrophe_webcam


    On n’a pas qu’un corps animal, on a aussi un #corps_médial, fait de projections et d’introjections. Ce corps n’existe qu’en lien avec le monde. L’humain et le monde que construit l’émergence de l’espèce humaine sont co-dépendants. C’est le rapport entre ces systèmes (techniques et symboliques) extérieurs à notre corps et leur effet en retour sur le corps animal qui explique l’émergence de l’espèce humaine. On humanise l’environnement par nos systèmes symboliques, on l’anthropise par nos systèmes techniques. C’est l’effet retour des symboles et des techniques sur notre corps qui nous fait humains.
    Cette notion de co-dépendance (ou co-suscitation) a été beaucoup plus creusée dans les traditions asiatiques que dans les traditions européennes. On pourrait avoir tendance à les rejeter car ces réflexions (dans les civilisations asiatiques) font aussi appel à des éléments religieux et mystiques, mais on aurait tort de se priver de ces sources-là car elles peuvent être des inspirations utiles pour pouvoir changer de rails.

    3. La pulsion de retour à la « nature » détruit la « nature » http://www.dailymotion.com/video/xgp786_la-pulsion-de-retour-a-la-nature-detruit-la-nature_webcam


    Une des pires façons actuelles d’habiter le monde est ce qu’il appelle « l’#urbain_diffus », ou que d’autres appellent « suburbia », soit vivre loin des centres urbains tout en continuant à avoir avoir un mode de vie urbain, sur le modèle pavillon + #voiture qui est l’idéal de beaucoup de gens. En arrière plan de cet idéal se trouve l’aspiration à vivre près de la « #nature » (même si cette « nature » se traduit factuellement par du gazon et des thuyas). C’est en partie un mode de vie de riches qui s’est plus moins démocratisé avec la société de consommation, qui chez certaines élites anciennes incluait l’observation de la nature, mais excluait (ou forcluait, pour reprendre son terme) le travail #paysan, le travail qui consiste à obtenir une production alimentaire par aménagement de la nature.
    Outre cette « démocratisation », cette aspiration à vivre près de la « nature » provient d’une pulsion très ancienne qui est celle du retour à la matrice originelle (ou nostalgie du sein maternel). Cette pulsion, dans la façon dont elle s’exprime aujourd’hui, a des résultats destructeurs tant au niveau écosystémique qu’humain.

    4. Nous assistons à la transformation de l’humain en cyborg http://www.dailymotion.com/video/xgpcuz_nous-assistons-a-la-transformation-de-l-humain-en-cyborg_webcam


    Le mode de vie campagnard et son rapport particulier à la terre subsistent aujourd’hui à l’état relictuel dans l’occident. Le développement de la société de consommation à partir des années 1950 a engendré l’extinction de la culture paysanne, laissant place à des entrepreneurs agricoles fonctionnant sur un mode civilisationnel urbain.
    L’urbain diffus défait la ville et défait la campagne, par un système mécanique qui se développe selon sa propre logique. Tout se construit en fonction de l’usage de la voiture, qui tue pourtant 1.5 millions de gens par an dans le monde. On adapte nos espaces à l’#automobile plutôt que l’inverse.
    Au-delà de cette omniprésence et ces dégâts humains causés par la voiture, les systèmes mécaniques transforment l’humain en cyborg (être ne pouvant pas vivre sans machine), dans la mesure où on pense le monde en terme de machine (pensée mécaniciste moderne issue entre autres de Descartes).

    5. « Il n’est pas certain que je veuille laisser une épitaphe » http://www.dailymotion.com/video/xgpcyt_il-n-est-pas-certain-que-je-veuille-laisser-une-epitaphe_webcam


    D’après lui il faudra sûrement une catastrophe pour servir de déclic au dépassement de l’idéal pavillon + voiture, au changement de notre rapport au monde.

    Fukushima n’a visiblement pas suffi. Ce serait peut-être bien également de chercher à rendre plus désirable, dans l’imaginaire collectif, l’urbain compact (libéré autant que possible de la voiture), et de cultiver (ou recréer là où il a disparu) le rapport particulier à la terre du mode de vie campagnard.

    EDIT du 08/09/2013 : lien avec http://seenthis.net/messages/173393 et http://seenthis.net/messages/173394