G. C. Oui, mais chacun doit faire son travail. Je ne vais pas dicter aux intellectuels européens ce qu’ils doivent faire. De nombreux intellectuels arabes musulmans restent dans le sillage de la pensée critique, de l’esprit de la religion musulmane qui se définit comme une religion du juste milieu, mais ils sont totalement ignorés par les courants académiques et médiatiques, au profit des auteurs fondamentalistes, tel Sayyed Qotb. Malgré tout, ils sont très lus. Les ouvrages de l’auteur syrien Mohammad Chahrour, qui mènent à des relectures révolutionnaires du Coran, ont fait des tirages inimaginables pour le monde arabe : 100 000, 200 000 exemplaires. Signalons aussi La Pensée religieuse en islam contemporain, de Ziad Hafez, paru aux Éditions Geuthner cette année.

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  • Georges Corm et Régis Debray : le profane, le religieux et le choc des ignorances
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    Face-à-face Le xxie siècle sonne-t-il vraiment le grand « retour au religieux ». Pour en débattre, nous avons convié l’historien et économiste Georges Corm et le philosophe Régis Debray. Le premier démontre que la religion est instrumentalisée pour des desseins profanes, le second acquiesce, mais en précisant : instrumentaliser n’est pas inventer des clivages confessionnels.

    (...)

    G. C. C’est la différence entre un intellectuel parisien de très haut vol et l’enfant que je suis de la diversité des communautés, vécue de l’intérieur, et qui donc a une autre vision de ces « tribus » et communautés religieuses. À partir de ce vécu, il y a beaucoup de séquences que je ne trouve pas opératoires dans l’analyse que vous faites de l’importance du fait religieux et que vous faites remonter à 50 000 ans en arrière. En revanche, il est intéressant de voir qu’on ne peut pas mettre toutes les religions dans le même sac. Le monothéisme est le plus dangereux, car on l’instrumentalise plus facilement avec ce paradoxe que l’islam est la religion de la compassion et de la miséricorde, le christianisme de l’amour, du pacifisme et de l’universalisme.

    Vous parlez des religions comme si c’était des entités vivant par elles-mêmes. Ce sont les hommes qui font les religions. La pratique des premiers siècles du christianisme est complètement différente de celle de l’Empire byzantin, laquelle est différente du christianisme des xviiie et xixe siècles en Europe. Pareil pour l’islam. Ce que je vis et j’observe dans les milieux communautaire, c’est la grande diversité d’opinion et de comportement à l’intérieur de chacune d’elle … C’est pourquoi je trouve peu opératoire le concept de communauté comme entité compacte, dont tous les membres auraient la même psychologie et le même comportement. Aussi parler aujourd’hui dans l’abstrait de « sunnites » et de « chiites » comme clé d’explication des conflits ne me paraît guère pertinent. Ce sont les Turcs et les Perses qui ont un énorme contentieux et non pas les Arabes et les Perses. Car ce qui a épuisé ces deux grands empires musulmans (l’Ottoman et le Séfévide), ce sont les guerres qu’ils se sont faites entre eux. L’Empire séfévide a fait venir au XVIè siècle des hommes de religion chiites du Liban pour aider à développer le chiisme afin d’essayer d’arrêter l’expansion de l’Empire ottoman. Les Arabes – toutes tribus et toutes confessions religieuses confondues - n’ont rien à voir là-dedans : ils sont sortis de l’Histoire à peu près au xe siècle et sont toujours dehors. Aussi analyser la politique de l’Iran à travers le prisme sunnite-chiite ou le prisme Arabes et perses ne fait guère de sens.