L’HIVER DES HOMMES - Lionel DUROY

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  • Je viens de commencer ce #livre, ça promet...
    L’HIVER DES HOMMES

    #Lionel_DUROY

    Reclus dans la petite république ethniquement « pure » pour laquelle ils ont combattu leurs voisins croates et bosniaques, les Serbes de Bosnie sont pourtant aujourd’hui les gens les plus désespérés qui soient. Un voyage aux confins de l’Europe et une méditation sur la #guerre et l’inaptitude au bonheur.

    http://www.julliard.fr/site/l_hiver_des_hommes_&100&9782260019169.html

    #lecture #ex-Yougoslavie #enfants_de_bourreaux

    • Des citations de ce livre sur les #montagnes :

      - « Expliquez-nous pourquoi, Karadzic a choisi Pale, qui n’était alors qu’un petit village de montagne, pour installer le gouvernement des Serbes de Bosnie, plutôt qu’une ville digne de ce nom, comme Banja Luka par exemple. Que ce village de montagne soit devenu une ville, c’est incompréhensible.
      – Avant la guerre, Karadzic avait déjà des affaires, ici, à Pale. Des affaires un peu louches. Dans une entreprise de Sarajevo où il intervenait comme médecin, il avait donné des congés maladie fictive à des ouvriers, en échange de quoi les ouvriers lui avaient construit gratuitement une maison à Pale. Il avait pas mal de choses, ici, c’est pourquoi il a choisi Pale plutôt que Banja Luka »

      Lionel Duroy, L’hiver des hommes, Editions Julliard, 2012, p.138

      - « Oui. Nous avons prétendument gagné la guerre, mais pendant que les Musulmans vivent tranquillement à Sarajevo dans les maisons des Serbes, nous, les vainqueurs, nous mourons de faim et froid sur notre montagne »

      Lionel Duroy, L’hiver des hommes, Editions Julliard, 2012, p.144.

      - « Les oustachis ne sont pas seulement ’venus’, ils ont occupé Pale durant quatre ans.
      – Pardonnez-moi, je savais que les Allemands étaient présents dans tout le massif montagneux, autour de Sarajevo, mais je ne savais pas que les oustachis étaient à Pale précisément.
      – Ici, ce sont eux qui ont commis tous les massacres. Les Allemands et les Italiens étaient présents, dans des forteresses, mais ils étaient plutôt corrects. Il est même arrivé qu’ils interviennent pour nous défendre contre les oustachis. C’est un officier italien qui a sauvé la vie de ma mère alors qu’un groupe d’oustachis s’apprêtait à l’emmener.
      De nouveau, je songe à Malaparte, officier italien engagé au côté de la Wehrmacht, sur le front de l’Est, comme correspondant de guerre, et sauvant quelques familles juives à Jassy, en Moldavie, avec l’aide du consul d’Italie, tandis que débute le pogrome. Un instant, je suis tenté de demander à notre hôte s’il a lu Malaparte, mais il reprend, sortant soudain de sa méditation :
      – L’esprit de la guerre animait les Allemands, mais les Croates poursuivaient un objectif différent. Les Croates avaient en tête d’exterminer les Serbes. Vous comprenez cela ?
      – Je vous écoute.
      – Ils menaient à l’intérieur de la guerre une autre guerre. Une guerre indigne, criminelle.
      Puis il se tait et m’observe, comme s’il doutait encore que je puisse comprendre. Mais j’acquiesce.
      – J’avais trois ans en 1941, reprend-il, je n’ai donc aucun souvenir de mon père ni de sa disparition. Je sais que le plus âgé des quatre frères, mon oncle Jovo, a été tué dans les heures qui ont suivi l’arrivée des Oustachis. Le lendemain, ou le jour même, mon père et ses deux frères ont rejoint la Résistance dans les montagnes ».

      Lionel Duroy, L’hiver des hommes, Editions Julliard, 2012, pp.166-167.

      - « Le siège du parti serbe était à l’Holiday Inn de Sarajevo. Nous avons senti monter le danger. Les bérets verts musulmans étaient partout dans les rues, et nous savions que parmi eux figuraient beaucoup de criminels, des détenus qui avaient été libérés parce qu’ils connaissaient le maniement des armes. Quand les premières barricades sont apparues, Karadzic a décidé de déménager le siège du parti de Sarajevo à Pale. C’était plus sûr. Ici, nous serions entre Serbes, protégés par les montagnes et les forêts »

      Lionel Duroy, L’hiver des hommes, Editions Julliard, 2012, p.172.

      « ’Je suis chez les fous furieux [des Serbes de la Republique serbe de Bosnie], Hélène, des gens qui s’imaginent nous protéger des Musulmans depuis un plateau perdu de haute montagne. Je ne leur ai pas dit que nous habitions Belleville, au-dessus d’une mosquée, et que nous ne souhaitons pas être protégés des Musulmans’ »

      Lionel Duroy, L’hiver des hommes, Editions Julliard, 2012, p.178.

      - « Elle le pense, oui. Je me souviens qu’un jour elle a dit une drôle de phrase, du genre : ’Nous, les Serbes, prétendons avoir gagné la guerre, mais pendant que les Musulmans vivent tranquillement à Sarajevo, nous mourons de faim et de froid sur notre montagne »

      Lionel Duroy, L’hiver des hommes, Editions Julliard, 2012, p.182.

      - "Nous sommes dans les montagnes de Romanija, remarque-t-il avec une solennité voulue et tandis qu’on entend le vent siffler sous le plancher de tôle. On dit que c’est ici qu’est née l’âme serbe aux premiers jours du monde.
      – Dans cette immense solitude.
      – Oui, confirme-t-il, la solitude est destin. Chaque fois, dans l’histoire, que nous avons cru pouvoir compter sur un ami, cet ami nous a trahi. Le dernier en date est Mitterand, votre Président. Pendant la guerre, j’étais stationné sur l’aéroport de Sarajevo et j’ai été témoin du jour où les Français ont décidé de faire alliance avec les Musulmans.

      Lionel Duroy, L’hiver des hommes, Editions Julliard, 2012, p.197.

      - « Il [Ratko] était très intelligent, très doué. Il était la fierté de l’instituteur. Nous, les montagnards, sommes plus intelligents que les gens des villes. La montagne nous oblige à être plus perspicaces pour survivre, tandis que dans la plaine ils n’ont pas besoin de développer leur intelligence, ils ont tout le confort sous la main »

      Lionel Duroy, L’hiver des hommes, Editions Julliard, 2012, p.252.

      - « Si les Serbes veulent se priver de Sarajevo, ça les regarde. Qu’ils restent sur leur montagne, ou à Lukavica. Après tout, nous vivons très bien sans eux »

      Lionel Duroy, L’hiver des hommes, Editions Julliard, 2012, p.347.

      #montagne #République_serbe_de_Bosnie #Republika_Srpska #guerre #conflit #Sarajevo #oustachis

    • Des citations sur la #religion et les #Musulmans :

      - "Comment avez-vous pris que la capitale de votre république, née de la guerre, soit finalement Banja Luka, plutôt que Pale, où avait siégé le gouvernement pendant les combats ?
      – Ce déménagement de la capitale de Pale à Banja Luka a été orchestré de l’extérieur pour tenter de créer une scission entre les Serbes de Bosnie. Mais la manœuvre a échoué, nous avons accepté la chose sans protester.
      – On dit tout de même que Pale serait resté favorable à Karadzic, tandis que Banja Luka soutiendrait Dodik.
      – Dodik est parvenu, avec l’aide des Américains, à chasser du pouvoir le parti de Karadzic. Je préférais Karadzic à Dodik, mais aujourd’hui je soutiens Dodik car son but est le même que le mien : protéger nos frontières contre les Musulmans. Nous, les Serbes de Bosnie, sommes aujourd’hui en première ligne contre l’Islam. Nous gardons les frontières et protégeons ainsi l’Ouest, mais l’Ouest ne nous en est aucunement reconnaissant car il n’a pas encore conscience du danger qui le menace.

      Lionel Duroy, L’hiver des hommes, Editions Julliard, 2012, p.175.

      - « Pardonnez-moi, dis-je, je ne suis pas sûr d’avoir bien compris. Vous estimez avoir perdu la guerre le jour où les Musulmans ont quitté Pale ? C’est bien ça ?
      – C’est un divorce. Pensez-vous qu’un divorce soit une victoire ? Avez-vous jamais entendu une personne divorcée se réjouir et se vanter d’avoir gagné quoi que ce soit dans la rupture de son mariage ? Un divorce est un échec, mais ici les gens ne voient pas les choses comme moi, ils continuent de se féliciter d’avoir gagné la guerre, d’avoir chassé les Musulmans »

      Lionel Duroy, L’hiver des hommes, Editions Julliard, 2012, p.187.

    • Des citations sur la #guerre :

      « - Parce que trois mois plus tard, reprend-il, au terme des accords de paix, les Croates ont dû nous rendre Mrkonjic Grad. Ils étaient si furieux qu’ils nou sont tout détruit avant de partir. Quand nous sommes revenus, le 4 février 1996, avec ma mère et tous les habitants qui avaient pu fuir, la ville était un champ de ruines. Toutes les maisons avaient été incendiées, et la nôtre aussi évidemment. Je n’ai pu m’empêcher de pleurer en voyant ce qu’ils avaient fait de notre ville. C’était quelque chose d’inimaginable, tout était détruit, brûlé, pillé. Ils avaient même démonté les machines des usines pour les emporter. Sur les rares maisons encore debout, ils avaient écrit : ’Maison croate’. Ils s’imaginaient donc qu’ils pourraient revenir, en dépit de ce massacre, en déptit de tout le mal qu’ils nous avaient fait »

      Lionel Duroy, L’hiver des hommes, Editions Julliard, 2012, p.116

      « -C’est ça, la logique de la guerre, dit-il après un silence : même pour ceux qui ne veulent pas la faire, elle devient indispensable »

      Lionel Duroy, L’hiver des hommes, Editions Julliard, 2012, p.117

      « Ici aussi, les gens ont cru qu’ils pourraient échapper à leur histoire, ils se sont aimés, ils ont eu des enfants, mais soudain ils se sont souvenus qu’ils avaient des raisons de craindre, de trembler à la vue l’un de l’autre. Ils ont été troublés, puis emportés petit à petit par la mémoire de tout le mal qu’ils se sont fait, autrefois, au temps de leurs parents, de leurs grands-parents, et bientôt ils se sont découverts ivres de haine et de peur, et alors ils n’ont plus vu d’autres issues que de recommencer à se jeter les uns contre les autres »

      Lionel Duroy, L’hiver des hommes, Editions Julliard, 2012, p.181.

      - Pavlusko Vuskovic dit aux Serbes ce qu’ils veulent entendre, il leur fait croire qu’ils se sont sauvés en chassant les Musulmans et les Croates, alors qu’en vérité ils se sont condamnés à mourir d’isolement et de chagrin

      Lionel Duroy, L’hiver des hommes, Editions Julliard, 2012, p.191.

      - "Il me semble qu’à chaque rencontre je comprends un peu mieux combien ce qu’ils vivent est effrayant. Ils ont obtenu les frontières qu’ils souhaitaient des accords de paix, mais ces frontières les condamnent à un isolement qui les précipite dans le malheur et la dépression. Néanmoins, ils sont condamnés à défendre cet isolement, ces frontières, et même à en vanter les mérites pour ceux qui ont le plus souffert de la haine des autres. Comment Pavlusko pourrait-il tenir un autre discours, lui dont ils ont tué l’enfant ? Et Slobodan Jasnic, le père de Jelica, dont la famille a été anéantie par les oustachis, que pourrait-il souhaiter de mieux pour ses enfants et petits-enfants que ces frontières ? Après toutes ces guerres, ils savent bien qu’ils ne réussiront jamais qu’à s’entretuer. Comment vont-ils survivre à cette folie ?

      Lionel Duroy, L’hiver des hommes, Editions Julliard, 2012, p.240.