Michéa face à la stratégie Godwin

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  • "La gauche contre le peuple ?"

    Les matins de France Culture. Entretien avec le philosophe #Jean-Claude_Michéa.

    Ne se définissant pas comme conservateur mais reconnaît qu’ « Il y a un moment conservateur dans la critique socialiste du capitalisme ». Il fait la distinction entre la gauche et le socialisme. La gauche ayant les mêmes aspirations que les libéraux ; la disparition du « vieux monde ».

    https://www.franceculture.fr/emissions/linvite-des-matins/la-gauche-contre-le-peuple

    https://www.franceculture.fr/emissions/linvite-des-matins-2eme-partie/la-gauche-contre-le-peuple-2eme-partie

    "Notre ennemi, le capital"
    Climats, 2017 Jean-Claude #Michéa

    Le philosophe critique la gauche libérale, son égoïsme et son individualisme. Il explique comment elle manipule la population et analyse les propositions de nouveaux mouvements politiques pour revenir vers un monde décent.

    Si l’on veut réellement rassembler la grande majorité des classes populaires autour d’un programme de déconstruction graduelle du système capitaliste (et non pas simplement accroître ses privilèges électoraux), il faut impérativement commencer par remettre en question ce vieux système de clivages fondé sur la « confiance aveugle dans l’idée de progrès », dont les présupposés philosophiques de plus en plus paralysants (du type « parti de demain » – celui de la Silicon Valley – contre « parti d’hier » – celui de l’agriculture paysanne ou de la culture du livre ) ne cessent d’offrir depuis plus de trente ans à la gauche européenne le moyen idéal de dissimuler sa réconciliation totale avec le capitalisme sous les dehors beaucoup plus séduisants d’une lutte « citoyenne » permanente contre toutes les idées « réactionnaires » et « passéistes ».

    Jean-Claude Michéa est l’auteur de nombreux ouvrages, tous publiés chez Climats, parmi lesquels : L’Enseignement de l’ignorance, Impasse Adam Smith, L’Empire du moindre mal, Orwell anarchiste tory, Le Complexe d’Orphée, Les Mystères de la Gauche, et, avec Jacques Julliard, La Gauche et le Peuple.

    #Orwell #George_Orwell #Populisme #Populisme_Russe #Libéralisme #Gauche #Rose_Luxembourg #progressisme #lutte_des_classes #élection #macron

    • Utilisation de sa pensée par l’extrême droite
      Après La Double Pensée, Michéa se répète et exprime une aigreur toujours plus vive à l’égard de la gauche. Sa critique de la modernité, si elle est, à certains égards, perspicace, finit par atteindre ses limites politiques. Car il y a bien un moment où Michéa doit servir politiquement. Il s’est exprimé dans diverses tribunes libertaires ou décroissantes. Mais c’est plutôt dans les milieux nationalistes ou conservateurs qu’il intéresse. Outre le nationalisme de gauche version Mélenchon, ce sont quasiment l’ensemble des courants d’extrême droite qui le trouve utile. Forcément, à force de taper sans fin sur la gauche, on finit par intéresser la droite. C’est très grossièrement ce que les critiques de Michéa pensent. Luc Boltanski, Serge Halimi, Frédéric Lordon, Philippe Corcuff, Max Vincent ou Anselm Jappe à des degrés divers estiment que sa critique du progrès est réactionnaire. En réponse à Philippe Corcuff, Michéa affirme que peu importe ce à quoi servent ses idées du moment qu’elles sont vraies.
      Dans une interview à Marianne, il répond sur cette utilisation par l’extrême droite. Et, au fond, on a presque l’impression qu’il se réjouit que sa pensée circule dans les caniveaux néofascistes. Bien sûr, on sent confusément que ce n’est pas ce combat-là qu’il veut servir. Mais, après tout, ce n’est pas grave si l’extrême droite est l’antithèse absolue de toute émancipation. Pas grave puisqu’elle aussi prétend vouloir combattre le capitalisme et qu’elle produit même des analyses « lucides » qui ont toutefois l’inconvénient d’être ambiguës et antisémites… Or, si l’extrême droite utilise cette rhétorique anticapitaliste, en puisant notamment chez Michéa, c’est par ce qu’elle veut le pouvoir. L’extrême droite a besoin des masses pour accéder à l’État. Pour cela, elle doit utiliser un discours vaguement anticapitaliste. Michéa constitue un penseur de choix pour ce faire, car il cible quasi exclusivement et outrancièrement la gauche sans démonter franchement l’extrême droite. C’est donc en partie parce que son discours n’est pas juste qu’il est récupéré.
      C’est de sa responsabilité de ne pas analyser clairement cette utilisation par les nationalistes de droite ou de gauche. Clairement parce que Michéa aime parler et écrire tout en circonvolutions à la manière d’un prof faisant d’interminables digressions pour placer telle ou telle référence. C’est intéressant, mais il ne condamne pas un instant sa récupération. Il préfère cibler seul le capitalisme. Or, si le patriotisme se médiatise comme l’unique solution au libéralisme, c’est que le capital a toujours su habilement jouer avec lui. Inciter les dominés à s’opposer en fonction de leurs origines dissout la lutte de classes, sert la bourgeoisie et l’État. Le libéralisme provoque le repli identitaire, il se crée ainsi un bien utile faux ennemi. Évidemment, l’antifascisme ne mène à rien tant que l’on ne propose pas d’alternative radicale au capital et à l’État ce que font les anarchistes. Mais cela n’enlève aucune responsabilité à l’extrême droite en elle-même.
      Orwell savait sublimer sa pensée en des romans qui s’adressaient à tous. Il a combattu physiquement le fascisme en Espagne. Il s’est intéressé de très près aux marginaux. Il ne se gargarisait pas de citations de Marx ou d’Engels. Il s’est refusé à toute récupération de droite lorsqu’il dénonçait les crimes staliniens. Il s’est toujours placé à gauche. Ce n’est pas le cas de Michéa, dont l’expression tourne en rond et dont on s’interroge sur les actes. C’est toujours moins inquiétant, dit-il, d’être utilisé par le FN que par le Medef. Pas certain que préférer la peste au choléra relève du plus grand discernement intellectuel et combatif.

      Alexis
      Groupe George-Orwell de la Fédération anarchiste

    • @marielle
      Ca me fait un peu sourire « elle est, à certains égards, perspicace, finit par atteindre ses limites politiques ». C’est perspicace c’est pour ça qu’on le lit. Non ?
      Je suis pas là pour défendre tout ce que dit Michéa, il aime le foot « populaire » par exemple. Quand je lit Proudhon je ne valide pas ses thèse sexiste..

      1) L’extrême droite utilise tout. Nos erreurs d’avantage que nos textes clairvoyants. Désolé de le dire, c’est un procédé malhonnête. Marine Le Pen cite Jaurès, donc Jaurès est fasciste.

      2) « Dans une interview à Marianne, il répond sur cette utilisation par l’extrême droite 12. Et, au fond, on a presque l’impression qu’il se réjouit que sa pensée circule dans les caniveaux néofascistes. »
      (12) L’article est là :
      http://www.marianne.net/Michea-face-a-la-strategie-Godwin_a234731.html

      Je suis encore étonné de la réception de ce texte chez mes amis. Michéa ne déclare pas dans ce texte qu’il est de gauche ou antifa cela viendrai à dire l’inverse de ce qu’il dit tout le temps.

      Je comprens en gros « parmi ce qui me cite : »

      "Il y a :
      1) Les menteurs qui sont néo-conservateur et libéraux
      2) L’extrême droite plus dure et plus ancienne qui a une culture anticapitaliste

      Mais que cette droite puisse me citer aux côtés de ces grandes figures de la tradition radicale n’a donc, en soi, rien d’illogique.

      « rien d’illogique », c’est pas ce que j’appelle se réjouir.

      Et il les démolie de suite :

      J’entends à la fois les ultras qui rêvaient de restaurer l’Ancien Régime et les partisans de ce « socialisme national » - né des effets croisés de la défaite de Sedan et de l’écrasement de la Commune - qui, dès qu’il rencontre les conditions historiques de ce que George Mosse nommait la « brutalisation », risque toujours de basculer dans le « national-socialisme » et le « fascisme ». Or, ici, l’horreur absolue que doivent susciter les crimes abominables accomplis au nom de ces deux dernières doctrines a conduit à oublier un fait majeur de l’histoire des idées.

      Mais la question que je me pose c’est sommes nous capable de dépasser des clivages en creux (des anti-) et se questionner sur se que l’on veux. Douter de nos propres appuis (se remettre en question) c’est le propre d’une penser constructive.

  • Michéa face à la stratégie Godwin
    Récemment associé à la galaxie lepéniste par un dossier du « Point », le philosophe Jean-Claude Michéa, auteur d’"Impasse Adam Smith", répond à ses détracteurs et se défend face à la tentative d’annexion de sa pensée antilibérale par l’extrême droite.
    http://www.marianne.net/Michea-face-a-la-strategie-Godwin_a234731.html

    (...)Car, si le vide idéologique créé par les renoncements successifs de la gauche ne devait plus être rempli que par les seuls penseurs issus de la droite radicale (quels que soient leurs mérites individuels), ce serait, en effet, un jeu d’enfant pour les Godwin boys de convaincre les nouvelles générations (déjà privées par les réformes libérales de l’école de toute culture historique un peu solide) que ce qui constituait jadis l’essence même du socialisme ouvrier ne représente, en fait, qu’une idéologie « nauséabonde » et « réactionnaire ». Il suffirait, en somme, de marteler avec encore un peu plus d’aplomb que toute volonté de protéger les peuples de la folie du capitalisme globalisé ne peut être, par essence, que « barrésienne, avec juste ce qu’il faut de xénophobie » (Pascal Lamy, dans le Point du 19 janvier 2012).

    #Michéa, #idées #débat #libéralisme #capitalisme #critique

    • Passons très vite sur le cas des véritables « néoconservateurs à la française », c’est-à-dire cette fraction de la droite classique qui, selon le mot du critique américain Russell Jacoby, « vénère le marché tout en maudissant la culture qu’il engendre ». On comprend sans peine que ces « néoconservateurs » puissent apprécier certaines de mes critiques du libéralisme culturel (notamment dans le domaine de l’école). Le problème, c’est que leur vision schizophrénique du monde leur interdit d’utiliser ces critiques de façon cohérente. Si le libéralisme se définit d’abord comme le droit pour chacun de « vivre comme il l’entend » et donc « de produire, de vendre et d’acheter tout ce qui est susceptible d’être produit ou vendu » (Friedrich Hayek), il s’ensuit logiquement que chacun doit être entièrement libre de faire ce qu’il veut de son argent (par exemple, de le placer dans un paradis fiscal ou de spéculer sur les produits alimentaires), de son corps (par exemple, de le prostituer, de le voiler intégralement ou d’en louer temporairement l’usage à un couple stérile), ou de son temps (par exemple, de travailler le dimanche). Faute de saisir cette dialectique permanente du libéralisme économique et du libéralisme culturel, le « néoconservateur à la française » (qu’il lise Valeurs actuelles ou écoute Eric Brunet) est donc semblable à ces adolescents qui sermonnent leur entourage sur la nécessité de préserver la planète mais qui laissent derrière eux toutes les lumières allumées (analyse qui vaut, bien sûr, pour tous ceux, à gauche, qui vénèrent le libéralisme culturel, tout en prétendant maudire ses fondements marchands).

      Tout autre est la critique du libéralisme par les héritiers modernes de l’extrême droite du XIXe siècle. Sous ce dernier nom, j’entends à la fois les ultras qui rêvaient de restaurer l’Ancien Régime et les partisans de ce « socialisme national » - né des effets croisés de la défaite de Sedan et de l’écrasement de la Commune - qui, dès qu’il rencontre les conditions historiques de ce que George Mosse nommait la « brutalisation », risque toujours de basculer dans le « national-socialisme » et le « fascisme ». Or, ici, l’horreur absolue que doivent susciter les crimes abominables accomplis au nom de ces deux dernières doctrines a conduit à oublier un fait majeur de l’histoire des idées. Oubli dont les moines soldats du libéralisme tirent aujourd’hui le plus grand bénéfice. C’est le fait que les fondateurs du socialisme partageaient consciemment avec les différentes droites antilibérales du temps un postulat anthropologique commun. Celui selon lequel l’être humain n’est pas, comme l’exigeait le libéralisme des Lumières, un individu « indépendant par nature » et guidé par son seul « intérêt souverain », mais, au contraire, un « animal politique » dont l’essence ne peut se déployer que dans le cadre toujours déjà donné d’une communauté historique. Bien entendu, en dehors de ce refus partagé des « robinsonnades » libérales (le mot est de Marx), tout, ou presque, séparait l’idéal socialiste d’une société sans classe dans laquelle - selon le vœu de Proudhon - « la liberté de chacun rencontrera dans la liberté d’autrui non plus une limite mais un auxiliaire », des conceptions alors défendues par la droite monarchiste et le « socialisme national ». La première, parce que son intérêt proclamé pour les anciennes solidarités communautaires masquait d’abord son désir d’en conserver les seules formes hiérarchiques (le « principe d’autorité » de Proudhon). Le second, parce qu’en dissolvant tout sentiment d’appartenance à une histoire commune dans sa froide contrefaçon « nationaliste » il conduisait à sacrifier l’idéal d’autonomie ouvrière sur l’autel ambigu de l’« union sacrée ». Comme si, en d’autres termes, un métallurgiste lorrain ou un pêcheur breton avaient plus de points communs avec un riche banquier parisien qu’avec leurs propres homologues grecs ou anglais.

    • Même si je ne suis pas d’accord à 100%, notons le seul commentaire intéressant qu’il y a en-dessous de l’interview (heureusement il est au début, ça évite de se taper les merdes ensuite) :

      Au fond, on a presque l’impression que Michéa se réjouit que sa pensée circule dans les caniveaux néo-fascistes. Bien entendu, on sent confusément que ce n’est pas vraiment ce combat-là qu’il veut servir. On comprend qu’il s’agit de combattre le libéralisme politique et économique dans une optique émancipatrice. Mais après tout ce n’est pas grave si l’extrême droite est l’antithèse absolue de toute émancipation. Ce n’est pas grave puisqu’elle aussi prétend vouloir combattre le capitalisme et qu’elle produit même des analyses « lucides » qui ont toutefois l’inconvénient d’être ambiguës et antisémites...

      Michéa ne semble pas voir que précisément si l’extrême-droite utilise cette rhétorique anticapitaliste, en puisant notamment dans ses écrits, c’est par ce qu’elle veut le pouvoir. L’extrême-droite a besoin de la masse pour accéder à l’État. Pour cela, elle se doit d’utiliser un discours vaguement anticapitaliste. Michéa constitue un penseur de choix pour ce faire car il cible la gauche bourgeoise sans remettre en cause l’État – l’anarchisme étant pour lui qu’une propédeutique, on ne saurait que trop l’encourager à passer aux études supérieures.

      C’est de sa responsabilité de ne pas dénoncer clairement cette utilisation par les nationalistes. Je dis clairement par ce que Michéa aime parler et écrire tout en circonvolutions à la manière d’un prof faisant d’interminables digressions pour placer telle ou telle référence. C’est au vrai très intéressant. Mais, il reste qu’il ne récuse pas sa récupération nationaliste de droite ou de gauche. Il ne la condamne pas un seul instant. Il préfère cibler seul le capitalisme oubliant que celui-ci a toujours su parfaitement utiliser le nationalisme lorsque cela s’avérait nécessaire.

      Orwell savait sublimer sa pensée en des romans qui s’adressaient à tous. Orwell a combattu physiquement le fascisme au péril de sa vie en Espagne. Il s’est refusé à toute récupération de droite lorsqu’il dénonçait les crimes staliniens. Orwell s’est toujours placé à gauche. Ce n’est pas le cas de Michéa dont l’expression tourne en rond et dont on est en droit de s’interroger sur ses actes. C’est toujours moins inquiétant dit-il d’être utilisé par le FN que par le MEDEF. Pas certain que préférer la peste au choléra relève du plus grand discernement intellectuel et combatif.

      –- Hichu