Vladimir Poutine sur l’Ukraine et la Crimée : discussion avec des journalistes

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  • Vladimir Poutine sur l’Ukraine et la Crimée : discussion avec des journalistes
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    Question : M. le Président, pouvez-vous nous dire si vous vous attendiez à une réaction aussi sévère aux actions de la Russie de la part de vos partenaires occidentaux ? Pouvez-vous nous donner des détails de vos conversations avec vos partenaires occidentaux ? Tout ce que nous avons entendu était un compte-rendu du service de presse. Et que pensez-vous du sommet du G8 à Sotchi - aura-t-il lieu ?

    Vladimir Poutine : En ce qui concerne la réaction attendue, si le G8 se réunira et à propos des conversations. Nos conversations sont confidentielles, certaines se tiennent même sur nos lignes sécurisées. Par conséquent, je ne suis pas autorisé à révéler ce dont j’ai discuté avec mes partenaires. Toutefois, je parlerai de quelques déclarations publiques faites par mes collègues occidentaux ; sans citer de noms, je les commenterai dans un sens général.

    A quoi faisons-nous attention ? On nous dit souvent que nos actions sont illégitimes, mais lorsque je demande : « Pensez-vous que tout ce que vous faites est légitime ? », ils répondent « oui ». Ensuite, je dois rappeler les actions des Etats-Unis en Afghanistan, en Irak et en Libye, où ils ont agi sans mandat de l’ONU ou en détournant complètement le contenu de telles résolutions, comme ce fut le cas en Libye. Là-bas, comme vous le savez peut-être, la résolution ne parlait que de fermer l’espace aérien aux avions du gouvernement, alors que tout s’est terminé par des attaques aériennes et des opérations terrestres des forces spéciales.

    Nos partenaires, en particulier les Etats-Unis, ont toujours clairement formulé leurs intérêts géopolitiques, et les ont suivis avec persistance. Ensuite, en utilisant le principe « Soit vous êtes avec nous, soit vous êtes contre nous » ils entraînent le reste du monde. Et ceux qui ne veulent pas se joindre à eux se font « malmener » jusqu’à ce qu’ils cèdent.

    Notre approche est différente. Nous procédons à partir de la conviction que nous agissons toujours légitimement. J’ai toujours personnellement défendu qu’il fallait agir conformément à loi internationale. Je voudrais insister une fois encore sur le fait que si nous prenons cette décision, si je décide d’utiliser les forces armées, ce sera une décision légitime en parfaite conformité, à la fois aux normes générales de la loi internationale, puisque nous avons cet appel du président légitime, et à nos engagements, lesquels coïncident dans ce cas avec notre intérêt de protéger les personnes avec lesquelles nous avons des liens étroits, historiques, culturels et économiques. Protéger ces personnes est dans notre intérêt national. C’est une mission humanitaire. Nous n’avons pas l’intention d’assujettir quiconque ou de donner des ordres à quiconque. Cependant, nous ne pouvons pas rester indifférents si nous voyons qu’elles sont persécutées, détruites et humiliées. Toutefois, j’espère sincèrement que n’arriverons pas à cette extrémité.
    (...)
    Question : La Russie a été impliquée dans le destin de Yanoukovitch. Comment voyez-vous son rôle à l’avenir et sa future destinée ?

    Vladimir Poutine : Vous savez, il est très difficile pour moi de le dire ; je ne l’ai pas analysé minutieusement. Je pense qu’il n’a aucun avenir politique, et je le lui ai dit. Quant à « s’impliquer dans son destin » - nous l’avons fait purement pour des considérations humanitaires. La mort est le moyen le plus aisé pour se débarrasser d’un président légitime, et je pense que c’est ce qui se serait produit. Je pense qu’ils l’auraient purement et simplement tué. Au passage, cela soulève la question suivante : pour quelle raison ?

    Après tout, regardez comment tout cela a commencé, ce qui a déclenché ces événements. La raison officielle était qu’il n’avait pas signé l’Accord d’association avec l’Union européenne. Aujourd’hui, cela semble absurde ; il est même ridicule d’en parler. Mais je veux faire remarquer qu’il n’a pas refusé de signer cet accord d’association. Il a dit : « Nous l’avons minutieusement analysé et son contenu ne correspond pas à nos intérêts nationaux. Nous ne pouvons pas augmenter brutalement les prix de l’énergie pour notre peuple, parce qu’il se trouve déjà dans une position assez difficile. Nous ne pouvons pas le faire, ni cela, ni cela. Nous ne pouvons pas immédiatement rompre nos liens économiques avec la Russie, parce que notre coopération est très étendue. »

    J’ai déjà présenté ces chiffres : sur approximativement 14 milliards [de dollars] d’exportations, environ 5 milliards représentent des produits de deuxième et de troisième niveau de transformation technologique exportés vers la Russie. Autrement dit, à peu près toute la production mécanique est exportée vers la Russie ; l’Ouest n’achète aucun produit ukrainien. Et prendre tout cela et le démolir, introduire des normes techniques européennes dans l’économie ukrainienne, que, heureusement ou malheureusement, nous n’utilisons pas pour l’instant. Nous adopterons ces normes à un moment ou un autre, mais actuellement, nous n’avons pas ces normes en Russie. Cela signifie que du jour au lendemain, nos relations et nos liens de coopérations seront rompus, les entreprises s’immobiliseront et le chômage s’accroîtra. Et qu’a dit Yanoukovitch ? Il a dit : « Je ne peux pas faire cela si soudainement, discutons-en un peu plus. » Il n’a pas refusé de le signer, il a demandé la possibilité de discuter un peu plus ce document, et ensuite toute cette folie a commencé.

    Et pourquoi ? A-t-il fait quelque chose en dehors du champ de son autorité ? Il a agi absolument dans le cadre du champ de son autorité ; il n’a rien enfreint. C’était simplement un prétexte pour soutenir les forces qui lui étaient opposées dans une lutte pour le pouvoir. Dans l’ensemble, ce n’est pas exceptionnel. Mais est-ce qu’il était nécessaire d’en arriver à ce niveau d’anarchie, à un renversement inconstitutionnel et à une prise du pouvoir par les armes, qui a ensuite plongé cette nation dans le chaos où elle se trouve aujourd’hui ? Je pense que c’est inacceptable. Et ce n’est pas la première fois que nos partenaires occidentaux le font en Ukraine.
    Parfois, j’ai le sentiment que quelque part dans cet énorme délire, en Amérique, des gens sont assis dans un labo et mènent des expérimentations, comme avec des rats, sans vraiment comprendre les conséquences de ce qu’ils font. Pourquoi ont-ils besoin de faire ça ? Qui peut l’expliquer ? Il n’y a aucune explication pour cela.