Syria conflict and Western media

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  • Depuis quelques jours, il y a une visible (et assez réjouissante) campagne contre le dernier article de Seymour Hersh, sur le thème (usé jusqu’à la corde concernant la Syrie) de la théorie du complot.

    Sur l’article de Hersh, lire absolument :
    http://seenthis.net/messages/244648

    Comme je l’ai déjà fait remarquer, je trouve assez amusant de voir ceux qui insultent Hersh prétendre qu’il aurait perdu toute crédibilité à cause de cet article, alors qu’en fait c’est au moins depuis 2007 qu’ils ne peuvent plus tolérer la moindre référence à Hersh, dont l’article The Redirection a contredit (à l’avance) une grosse partie de leurs théories concernant la région.

    Hier, Angry Arab a posté sur son blog un long extrait d’un message qu’il avait auparavant envoyé sur une liste académique privée. Il y répond à un intervenant qui avait qualifié l’article de Hersh de « honteuse théorie du complot » :
    http://angryarab.blogspot.fr/2014/04/syria-conflict-and-western-media.html
    Je viens de traduire ce billet d’Angry Arab :

    Je voudrais dire ceci : les médias étatsuniens, et occidentaux en général, ont essentiellement publié un seul point de vue sur la Syrie. Je ne peux me souvenir d’un seul article dans la presse américaine des trois dernières années qui remettrait en cause les présupposés d’une « révolution » syrienne – ce terme est désormais devenu tragiquement comique. Pas un seul article. Bien sûr, je ne parle même pas de publier des articles qui présenteraient le point de vue du régime syrien, car il y a au moins trois perspectives sur la Syrie, mais un seul est autorisé. Même les points de vue de ceux qui s’opposent à la fois au régime syrien et aux groupes armés de l’opposition (et à ses branches exilées) ne sont pas autorisés. Seymour Hersh était l’un des journalistes d’invesgition américains les plus respectés et célébrés – jusqu’à ce que ses articles contredisent les orientations de la politique étrangère américaine. C’est seulement à partir de ce moment que Hersh a été disqualifié comme un « théoricien du complot ». (Ayant dit cela, je n’ai aucune moyen de décider si le contenu de son article est vrai ou pas, puisque je ne suis pas un expert en technique militaire, et son article – comme d’ailleurs les articles qui soutiennent la « révolution » syrienne – est basé sur des sources anonymes. Mais je peux certainement affirmer que David Ignatius du Washington Post – qui a une carrière journalistique bien moins stellaire que celle de Hersh – utilise bien plus de sources anonymes que Hersh, et qu’il était d’ailleurs encore en train de faire les louanges du brigadier général le Dr Salim Idriss comme le sauveur de la Syrie le jour même où ce dernier était remplacé par le régime séoudien.)

    Maintenant, X décrit l’article de Hersh (et je ne suis pas en train de discuter de l’article lui-même ici, ni ne m’apprête à en discuter les détails) comme une « honteuse théorie du complot ». Voilà qui est un langage bien polémique, et je ne sais pas ce qu’il entend par « honteuse théorie du complot ». Est-ce qu’il veut dire que toutes les théories du complot sont honteuses, ou seulement celles qui contredisent la narrative de la « révolution » syrienne ? Et que signifie « honteuse » ? C’est un mot qui provient soit de la morale religieuse, soit de la morale des civilisations anciennes. Mais laissons cela de côté. Si X est en train de se lamenter du simple fait qu’il s’agit d’une « théorie du complot », alors il a terriblement tort. Je ne vois pas comment quelqu’un qui est un expert du Moyen Orient et qui a étudié l’histoire moderne de la région, et qui a lu les documents déclassifiés touchant aux politiques occidentales au Moyen Orient, peut rejeter en bloc les théories du complot. Quand les États-Unis ont « simulé » une révolution contre Mossadegh en 1953, et quand les sionistes ont contrôlé les monarques arabes du Moyen Orient par des paiements en cash, et quand les États-Unis ont fabriqué des preuves d’armes de destruction massive en Irak pour justifier une invasion et une occupation, et quand la carte politique du Moyen Orient a été décidée lors d’un accord secret en 1916, il serait pour le moins déraisonnable et irrationnel de rejeter par principe les théories du complot dans les analyses du Moyen Orient. Plutôt que de rejeter en bloc les théories du complot, il serait plus sage d’étudier les preuves au cas par cas.

    Quant aux faits au sujet de la Syrie, la fuite de l’enregistrement d’une réunion entre des officiels turcs importants, durant laquelle une fausse attaque par la Syrie est proposée pour justifier une intervention turque en Syrie, n’a jamais été remise en question et sa véracité a été essentiellement confirmée. Alors qu’y a-t-il de honteux dans cette théorie du complot ou d’autres ? Que les gouvernements occidentaux mentent et trichent et truquent pour justifier leurs actions militaires ? Le fait que les États-Unis et son allié séoudien invoquent la démocratie (et l’amour de la démocratie) comme motif, n’est-ce pas honteux – pour utiliser ce mot ?

    J’ignore si le contenu de l’article Hersh est véridique ou non, mais je ne pense pas que l’homme (que je n’ai rencontré qu’à quelques occasions) soit un baasiste syrien, ni soit devenu un shabiha, à moins que X ait des révélations à ce sujet. Mais la tentative d’imposer un seul point de vue sur la Syrie doit être remis en cause. Les sionistes occidentaux ont réussi à imposer une narrative de propagande uniforme au sujet du conflit israélo-arabe en Occident, et les partisans de l’alliance américano-séoudienne-turco-israélo-qatari sur la Syrie tentent de faire la même chose : imposer (dans les médias et même dans le monde académique) une narrative unique sur le conflit syrien. Cela ne pourrait pas tenir, d’autant que les prétentions mêmes des supporters de la « révolution » syrienne – si les gens ne sont toujours pas embarassées d’utiliser ce mot – sont quotidiennement réfutées sur le terrain.

    Il y a beaucoup de propagande au sujet du conflit syrien qui va dans le sens de l’alliance États-Unis-Arabie séoudite, alors pourquoi quelqu’un deviendrait-il aussi intolérant face à un unique article qui n’irait pas dans le sens de la propagande du gouvernement américain ? Que propose donc X ici ? Que tous les articles concernant la Syrie dans les médias occidentaux devraient adhérer strictement aux préceptes de l’alliance américano-séoudienne, et que s’ils en dévient, on les rejette comme de « honteuses théories du complot » ?

    Et puisqu’on parle de théorie du complot : est-ce que le camp de l’opposition armée que X soutient n’invoque pas (et souvent de manière totalement dingue selon moi) des théories du complot ? L’opposition armée (et l’organisation en exil) ont depuis deux ans distribué ces éléments d’information : que la Russie soutient le régime syrien parce que le régime iranien a soudoyé Poutine et Lavrov ; que Bachar al-Assad a un accord secret avec Israël pour rester au pouvoir ; que le lobby sioniste empêche le gouvernement américain d’envahir la Syrie pour « libérer » le pays ; que le Hezbollah a des dizaines de milliers de combattants en Syrie mais garde leurs noms secrets, que des dizaines de milliers de Gardiens de la Révolution combattent en Syrie ; et les groupes armés ont fait des déclarations quasiment hebdomadaires au sujet d’attaques chimiques (certains ont même suggéré que le régime avait des armes nucléaires). Alors oui, le régime syrien a une histoire documenté de mensonges, mais les groupes armés et l’opposition en exil a prouvé qu’ils n’étaient pas moins experts dans l’art de la fabrication, du mensonge et de la duplicité que le régime syrien.

    Mais X a un autre reproche au sujet de l’article de Hersh : il se plaint qu’il ne « repose sur aucune preuve valable ». Mais est-ce que les rapports des correpondants occidentaux à Beyrouth sont basés sur des « preuves valables » alors qu’ils sont pour la plupart basés sur des communiqués de presse de l’Armée syrienne libre, et sur des discussions sur Skype avec des individus dont les contacts ont fournis par – vous avez deviné – des attachés de presse de l’Armée syrienne libre ?

    Les médias américains sont facilement intimidés par le gouvernement : ceux qui écrivent au sujet des affaires étrangères (surtout aux États-Unis et surtout au sujet du Moyen Orient) sont rarement des gens qui ont étudié le Moyen Orient. Ils n’ont souvent aucune base pour fonder un jugement indépendant. Mais ici, je vous le rappelle, X – nous sommes dans un cadre universitaire, et les gens ont bien le droit de lire ce qu’ils veulent et de se faire leur propre opinion. Pourquoi devenez-vous si nerveux si un unique article qui n’est pas représentatif de la ligne américano-saoudiennes-qatari est posté ici ?