• Quelques éléments pour répondre aux remarques de @nidal (http://seenthis.net/messages/257959). Je suis d’accord sur le constat que cette arrivée massive correspondant à un cinquième ou à un quart de la population libanaise résidente se passe dans des conditions finalement pour l’instant assez remarquables. Deuxièmement, en effet, les réfugiés syriens sont largement logés en appartement (53% en mars), mais aussi dans toute une série de situations et de locaux précaires, même s’ils ne sont pas des tentes (je suppose que les tentes correspondent, dans le camembert suivant, aux collective shelters ainsi que aux informal settlements, soit 3=15%=18%, d’un total de 1 M, soit 180.000). Le chiffre est différent de celui de l’article, mais il doit y avoir des recensements plus précis par type de shelters).
    https://dl.dropboxusercontent.com/u/17206670/logt-ref-syr-march2014.JPG
    (source : http://data.unhcr.org/syrianrefugees/download.php?id=5452)
    Troisièmement, il faut quand même corriger l’idée d’une répartition identique à celle de la population libanaise mais si on effectivement une impressionnante diffusion dans toutes les régions, y compris les plus éloignées de la Syrie, comme le Sud.
    Selon le tableau ci dessous on observe que la Bekaa rassemble un peu plus d’un tiers des réfugiés syriens fin avril, suivi non par le Nord mais par Beyrouth et surtout Baabda, Aley et le Metn cad la banlieue de Beyrouth (d’abord banlieue sud, puis banlieue est. Le Chouf est également en bonne position. En revanche, Jbeil et Kesrouane sont nettement en retrait pour l’accueil.
    Globalement, ce n’est pas la même structure régionale que celle de la population libanaise.
    https://dl.dropboxusercontent.com/u/17206670/ref-syr-leb-gov-may2014.JPG
    Le tableau détaillé par caza :
    https://dl.dropboxusercontent.com/u/17206670/ref-syr-leb-caza-may2014.JPG
    (source : http://data.unhcr.org/syrianrefugees/download.php?id=5571)
    Structure régionale de la population libanaise en 2007 (eh oui, pas de données plus récentes...)
    https://dl.dropboxusercontent.com/u/17206670/pop%20leb%202007%20gov.JPG
    (source : http://cas.gov.lb/images/PDFs/Demographic2007-ar.pdf)

    Je n’ai pas encore trouvé les éléments permettant de savoir si la population en abris et sous tente et en installation informelle augmente, même si c’est probable. Il y avait un stock important de logements et de structures vides que les premiers arrivés ont pu utilisés. Par la suite, j’ai entendu parler d’un mouvement de construction mais j’imagine que cela est cher pour les réfugiés. Peut être certains réfugiés, trop paupérisés, sont ils conduits à quitter des logements où ils ne peuvent plus payer les loyers.
    Sur les aspects économiques, il est certain que cette population créée une demande, et que par ailleurs, il y a beaucoup d’argent de l’aide (même si pas assez) qui solvabilise cette demande, d’où des créations d’emplois. Mais certainement avec pour conséquence, en raison de l’informalité et de la pauvreté, une concurrence salariale à la baisse entre Syriens et Libanais et entre Syriens.
    Pour ce qui est de l’action des ONG, je pense qu’elle est très diversifiée et qu’elle ne s’arrête pas du tout aux camps. De ce fait, les ONG sont très actives dans les villes et villages, dans l’enseignement, la formation, l’assistance alimentaire, médicale et sanitaire.
    Voir par exemple ce témoignage sur Jadaliyya :
    The Everyday Experience of Humanitarianism in Akkar Villages http://www.jadaliyya.com/pages/index/17438/the-everyday-experience-of-humanitarianism-in-akka
    Pour ce qui est de la comparaison avec la Jordanie, je renvoie au billet de novembre synthétisant une intervention de Cyrille Roussel (http://crisyr.hypotheses.org/40). Certes, il existe en Jordanie un grand camp, et un deuxième vient d’être ouvert (Azraq) mais la population dans les camps reste de l’ordre de 25%, cad que comme au Liban, l’essentiel de la population réside dans les villes et villages (au nord principalement mais aussi de plus en plus, à Amman et vers le Sud). Autrement dit, si l’expérience de Zaatari constitue une situation radicalement opposée à celle qu’on rencontre au Liban, est n’est pas l’expérience majoritaire.
    Un étudiant que je suis vient de rentrer de Jordanie. Je vais voir avec lui pour savoir comment se débrouillent ceux qui vivent hors des camps.

    Sur le fond, totalement d’accord avec Nidal sur la question des camps, il est bien préférable que les deux populations se mêlent, sans ériger de barrières physiques qui viendraient s’ajouter aux barrières nationales qui malgré tout vont peser de plus en plus.
    #SYrie #Liban #Jordanie #réfugiés #camps

    • Merci @rumor, c’est très éclairant. Il y a un autre aspect sur lequel je n’ai pas de détails, et je profite donc de tes lumières : quel est la répartition du « niveau de vie » des réfugiés (sans aides, avec aides) par rapport à la population libanaise pauvre ?

      Il ne faut jamais perdre de vue qu’un tiers de la population libanaise vit avec moins de 120 dollars par mois, 8% avec moins de 70 dollars (chiffres d’octobre 2011) :
      http://web.worldbank.org/WBSITE/EXTERNAL/ACCUEILEXTN/PAYSEXTN/MENAINFRENCHEXT/0,,contentMDK:23035833~pagePK:146736~piPK:226340~theSitePK:488784,00.

      Même si de telles conditions de vie ne sont pas censées exister à grande échelle dans un pays à revenu intermédiaire comme le Liban, les dernières statistiques en date montrent qu’environ un million de Libanais, soit 28,5% de la population, continuent de vivre sous le seuil de pauvreté supérieur, fixé à 4 dollars par personne et par jour. Quelque 300.000 personnes, c’est-à-dire 8% de la population, vivent dans l’extrême pauvreté, avec moins de 2,4 dollars par personne et par jour, et ne peuvent pas satisfaire leurs besoins alimentaires et non alimentaires les plus essentiels.

      Dans un des sujets vidéo de l’UNHCR, une femme réfugiée se plaint de ne pas avoir l’eau courante et l’électricité plus que quelques heures par jour. C’est certes indigne, mais un aspect central du problème, c’est que c’est déjà le lot quotidien d’une grande proportion des Libanais.

      Ce qui pose beaucoup de questions extrêmement pénibles : quand on parle de concurrence entre réfugiés et Libanais pauvres, on est vraiment dans une question particulièrement aiguë (y compris, c’est assez épouvantable, dans la répartition de l’aide caritative – il y a beaucoup d’associations caritatives au Liban, sont-elles en train de « réorienter » leur activité ?).

      Avec plus d’un million de Libanais sous le seuil de pauvreté, auxquels on ajoute les réfugiés syriens, et on arrive à 40% de la population du Liban qui vit en dessous du seuil de pauvreté (très grossièrement : 2 millions sur 5 millions – vraiment grossièrement, puisque le revenu médian qui détermine les seuils varie également).

      Le problème humanitaire devient alors, avant tout, un problème politico-économique de développement et de répartition des richesses (dans un pays extrêmement inégalitaire). Je suspecte qu’on va assister de plus en plus à une approche limitée aux aspects humanitaires et au détournement confessionnel de ces questions, selon la méthode usuelle (l’agitation confessionnelle servant à préserver les inégalités et à justifier le pillage économique).

    • @nidal : c’est une manière très intéressante et pertinente de poser le problème, même si cela va à l’encontre des représentations politiques dominantes. Dans la banlieue sud de Beyrouth, les populations syriennes sont mêlées aux Libanais (et cela fait longtemps que cela dure) : ils en partagent les conditions de travail, la précarité du logement, etc. avec la précarité du statut en plus.
      Sur ce sujet voire le livre de J. Chalcraft et le CR par E. Longuenesse, par ex. : Chalcraft John, The invisible cage, Syrian migrant workers in Lebanon, Stanford, California, Stanford University Press, 2009, 310 p. http://remmm.revues.org/6530
      Je vais chercher pour voir s’il existe des références plus précises, notamment pour répondre à ta question sur le niveau de vie