CIP-IDF > Nous avons lu le néolibéralisme ou Foucault chez les patrons

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    Pour que ce travail soit un travail de coproduction il ne s’agirait pas tant de mettre au centre de cette rencontre la question de ce qu’est le libéralisme mais plutôt de ce qu’est un #conflit dans le libéralisme, c’est à dire le conflit des #intermittents, comment il a été mené et pourquoi.

    Pour moi, le conflit des intermittents est exemplaire et il faudrait articuler autour des dynamiques du conflit les interrogations qu’on se pose pour élucider certains aspects. Je suis convaincu que le conflit est production de savoir, production de problèmes et de dispositifs pour essayer de résoudre les problèmes. Pour nous aider à penser on peut convoquer #Foucault mais pas seulement, je tiens à ce que ce ne soit pas un séminaire sur Foucault. Cependant Foucault est intéressant mais pourquoi ? Pourquoi peut-on partir de Foucault ? D’abord pour une raison très simple, pour ce livre notamment « Naissance de la #biopolitique » qui est un cours qu’il a donné au collège de France. Ce livre est au cœur du conflit des intermittents très simplement parce que le conflit des intermittents est le dernier volet du premier chantier de la refondation sociale. La refondation sociale est le programme politique du #Medef, qui a entre autres été rédigé par un élève de Foucault, François #Ewald, et c’est ce dernier qui a récemment édité le livre de Foucault. Par ailleurs beaucoup de concepts de la refondation sociale sortent de ce livre, notamment le concept de « #social » et il est effectivement étonnant qu’un programme patronal s’appelle « refondation sociale » [7]. Alors pourquoi ? En trois mots très simplement.

    Foucault l’explique très bien. Le gouvernement néolibéral c’est un gouvernement de la société. Il l’explique ainsi : dès que l’économie politique est née, et s’est développée, elle est rentrée en antagonisme avec la politique. Ce sont deux façons dit Foucault, de constituer des rapports sociaux complètement différentes. La politique fonctionne sur la base des droits, des droits naturels qu’on transfère à quelqu’un d’autre, tandis que l’économie fonctionne sur des intérêts. Les deux modes de socialisation sont incompatibles, il faut donc un troisième élément qui permette d’articuler ces deux niveaux. Ce troisième niveau c’est le social, la société civile.

    Ainsi Foucault dit que le gouvernement néolibéral est un gouvernement qui doit partir de la maîtrise du social qui lui permet d’articuler économie et politique . Il aurait donc différents dispositifs hétérogènes et la possibilité d’articuler ces dispositifs passe par le social. C’est pour ça, je pense, qu’effectivement, la refondation du Medef s’appelle la refondation sociale, c’est une façon de pouvoir réarticuler ce qui normalement est hétérogène. Le problème du rapport entre économie et politique est au centre de tous les problèmes politiques depuis la naissance du capitalisme. Prenez Hobbes, Marx, Adam Smith, Anna Harendt, Carl Schmidt …tout se noue autour de cette question et cette façon de penser le rapport entre économie et politique médiatisé par le social est très originale.

    On comprend ainsi la centralité d’agir sur les dépenses sociales par exemple, pourquoi on doit passer par là. Voilà la première chose et tout ça Foucault l’explique très bien. On pourra revenir dessus, c’est fondamental. Si vous lisez ce texte, on comprend que les idées développées à propos du néolibéralisme comme gouvernement de la société sont passées dans le projet de refondation sociale du Medef à travers je pense, François Ewald ex-élève de Foucault. Indirectement ce livre est donc au cœur du mouvement des intermittents.

    L’autre question qui a à voir avec le conflit c’est que Foucault nous fait comprendre que nous avons encore une vision très XIXe siècle du capitalisme, c’est-à-dire une vision du capitalisme comme capitalisme disciplinaire. Foucault dit que nous sommes dans une autre dimension où il y a un changement des formes de contrôle d’organisation de la société et un changement des formes d’#assujettissement, de #subjectivation de la société. Ces questions-là se trouvent aussi au cœur du conflit des intermittents. Nous y reviendrons lorsqu’on parlera de façon plus approfondie de la différence entre discipline et sécurité.
    Ce sujet est d’ailleurs au cœur d’un autre livre de Foucault très important qui explique que nous sommes passés d’un capitalisme centré fondamentalement sur la discipline à un capitalisme où le contrôle passe par ce qu’il appelle une action sur une action, un capitalisme qui utilise la liberté comme forme d’organisation des rapports de pouvoir . C’est un autre aspect très important, d’ailleurs le libéralisme se définit comme gestion de la liberté. Le libéralisme c’est la production et la consommation de la liberté. Il faut donc voir ce qu’est cette liberté, c’est un autre problème important. Ce qui nous concerne en revanche directement c’est que la forme de l’assujettissement qui met en place cette nouvelle forme de capitalisme que Foucault appelle dispositifs de sécurité n’est plus tellement la subordination et l’obéissance qui étaient des caractéristiques du capitalisme disciplinaire lequel avait son expression la plus aboutie dans la subordination salariale, mais que cette forme d’assujettissement passe par ce que Foucault appelle le #capital_humain dont nous parlait Antonella ou le devenir entrepreneur de soi-même.

    L’objectif du néolibéralisme est de transformer le travailleur en individu subordonné qui obéit qui est à l’intérieur d’une organisation du travail où tout est déjà déterminé et décidé, il doit par contre transformer ce travailleur en entrepreneur de soi-même [8]. Entrepreneur de soi-même évidemment cela veut dire que l’individu est responsable et qu’il doit garantir par lui-même tous les investissements qui sont nécessaires à la production de sa force de travail. Mon hypothèse sur la puissance et la continuité du conflit des intermittents est que ce conflit s’est installé dans un endroit qui est à mon avis stratégique.

    Le capitalisme contemporain du point de vue de ces dispositifs de subjectivation ou d’assujettissement est une coopération entre deux formes d’assujettissement, l’ assujettissement salarial et l’assujettissement entrepreneurial . À travers la lutte on l’a vu très clairement, on est assigné à être des salariés ou bien on est assigné à être entrepreneurs, il y a deux logiques différentes qui sont portées l’une par les syndicats l’autre par le Medef. L’assujettissement salarial est fondé sur la subordination, sur l’obéissance et l’assujettissement entrepreneurial sur l’autonomie et la capacité à être entrepreneur de soi-même. Je pense que la force du mouvement des intermittents est donc qu’il essaye de s’échapper entre ces deux formes d’assujettissement.