Périphéries - Jacques Berque, islamologue

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  • Les Arabes, l’islam et nous - Jacques Berque, islamologue
    http://www.peripheries.net/article208.html par @mona

    Par son écriture, dont la noblesse, porteuse d’un autre système de valeurs, change le regard, l’œuvre de Berque rend justice aux #Arabes, et contribue, même modestement, à dissiper les malentendus et à laver les humiliations dont le siècle n’a pas été avare à leur égard. Elle donne en outre une vision différente de peuples le plus souvent évoqués, aujourd’hui, dans le contexte de l’#immigration, c’est-à-dire détachés de leur passé, de leur #histoire, et « mal vus », exposés au #racisme. « Je suis un Arabe, personne n’ose plus dire ce mot », lançait l’écrivain d’origine algérienne Azouz Begag, portraituré dans Libération (10 novembre 1997). On a beau rappeler de façon convenue et théorique la richesse de la culture arabe pour contrer les ravages du racisme, on en sait rarement assez pour éprouver véritablement cette richesse. Jacques Berque, lui, évoque pêle-mêle, parmi ses références, le Supplément au voyage de Bougainville, la Profession de foi du vicaire savoyard, et l’œuvre d’un contemporain indien de Rousseau, Shah Waly Ullah al-Dihlâwî, au sujet de qui il écrit :

    « Serait-il - et je n’en crois rien - le seul phare à redécouvrir du côté de l’#Islam, que notre remontée dans le temps, pareille à celle de Faust, se tiendrait pour récompensée de son audace. Je sais maintenant, grâce à ce penseur sunnite, qu’avant la bifurcation que la technologie déchaînée allait imprimer au devenir mondial, des cultures diverses, mais non pas adverses, auraient pu concourir. Elles auraient pu fonder à elles toutes un avenir commun. #Utopie rétrospective ? Assurément, mais ce n’est qu’un cas entre bien d’autres de ces retrouvailles où les richesses du multiple se recomposent en unité de l’humain. »

    Cette « utopie rétrospective » est le sujet d’Andalousies, la leçon de clôture de Jacques Berque au Collège de France en 1981, publiée en appendice à l’essai Les Arabes et qui se conclut ainsi : « J’appelle à des Andalousies toujours recommencées, dont nous portons en nous à la fois les décombres amoncelés et l’inlassable espérance. »

    • https://lafamilledejantee.wordpress.com/2015/01/10/une-heure-pour-ecrire

      Je pense à mes co-terriens juifs qui tremblent depuis la mort des leurs, je pense à mes co-terriens musulmans qui sont la cible de représailles immondes. Je pense à ma grand mère italo-tunisienne qui racontait des étoiles dans les yeux les quelques années du multiculturalisme joyeux qu’elle a eu la chance de connaître, où juifs, chrétiens et musulmans, s’entraidaient, festoyaient et pleuraient ensemble. A-t-elle rêvé ? C’est possible. Mais si c’est un rêve, il est beau, et je veux faire le même pour mon pays. J’ai lu hier le récit d’un échange dans un train où un homme est soudain venu déclarer sa flamme pour les “orientaux” à un inconnu marocain pour le moins interloqué. Les réactions étaient sévères : “Quel dingue ! Mais enfin, le Maroc n’est pas un pays “oriental” ! Mais de quoi se mêle-t-il cet imbécile !”. C’est vrai, cet homme était un ignorant au comportement enfiévré par les scènes populaires autour du “Je suis Charlie”. C’est vrai, il reste tant à faire pour que les gens arrêtent de penser que tous les arabes sont musulmans, que l’Afrique est un pays, ou que tuer les gens à la Kalachnikov est une religion. Mais je suis persuadée qu’il y a à la base de ces réactions naïves, déplacées, exaspérantes, quelque chose qui parle de l’envie de comprendre l’autre, de lui témoigner son soutien et son indignation, quelque chose dont on n’a plus loisir de se priver (même s’il convient de le faire évoluer) en ces temps où la haine gagne du terrain chaque jour.

  • Ambiance de 1967 (guerre des Six Jours), témoignage de Jacques Berque

    "Radio-Luxembourg m’invita à un dialogue avec Daniel Mayer. Je connaissais mon interlocuteur comme un démocrate impeccable. J’aurais peut-être voté pour lui en tant que candidat à la présidence de la République, comme il en avait été question quelques années auparavant. Nous étions, lui et moi, en ce moment même, occupés à préparer une intervenon touchant la persécution subie par des intellectuels iraniens. Nos rapports étaient donc cordiaux. J’arrivai, plein de débonnaireté, si j’ose dire, et fus instantanément surpris par le ton de passion scandalisée qu’adoptait ce militant. Il tenait pour inadmissible qu’un mouvement d’union sacrée ne se fût pas dessiné en France dès l’annonce de cette guerre, une guerre dont presque tous considéraient que les Arabes l’avaient déclenchée. On a su, depuis, que I’attaque a été délibérée de la part d’Israël, et, dans la meilleure hypothèse, préventive. Car je ne nie pas les provocations inconsidérées de Nasser. Ce fut alors que Daniel Mayer assura avoir honte d’être français. Dans la bouche d’un tel patriote, le mot m’accabla. C’est alors aussi qu’un collaborateur d’une revue de gauche, déplorant l’attitude de De Gaulle qui venait d’interdire le décollage d’avions portant des volontaires français en Israël, écrivit en substance : « Au moins, le président Johnson soutient Israël. Alors vive Johnson. » Johnson, à l’époque, c’était pour l’opinion mondiale celui qui arrosait le Vietnam de défoliants, et lançait des bombes porteuses de billes d’acier, qui déchiquetaient les enfants. Ces attitudes me chagrinèrent. Non ce n’était pas la confession religieuse - oblitérée chez la plupart - qui portait certains de mes concitoyens juifs à cette frénésie. Qu’y avait-il dans le sionisme qui pût pousser des intellectuels de gauche à un délire unilatéral, qui les écartait de toute discussion objective ? Il y avait ce qui avait bouleversé un grand intellectuel comme Sartre, à coup sûr le chef de file de notre intellientsia. Il y avait, il y a que pour le démocrate français, pour l’homme d’honneur et d’espérance, les horribles massacres qu’avaient subis les Juifs à l’époque d’Hitler faisaient considérer leur installation en Palestine comme une sorte de réparation, encore très faible par rapport à l’injustice subie, en tout cas incommensurable aux dégâts qu’elle entraînait. Je voyais là un sophisme. Je me disais, moi, que les Arabes n’avaient été pour rien dans les massacres d’Hitler. Que l’on accordât aux victimes d’Hitler une réparation, y compris territoriale, pourquoi pas ? Mais je ne voyais pas pourquoi les Palestiniens devaient en faire les frais, eux qui, ni de pied ni d’aile, n’avaient été engagés dans la Seconde Guerre mondiale, sinon pour défendre leurs terres contre les premiers colons sionistes, aidés par le mandat britannique. "

    [ Jacques berques, Arabies ]