le nouvel esprit du capitalisme, la cité par projets et l’intermittence

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  • CIP-IDF > Misère de la sociologie II : le nouvel esprit du capitalisme, la cité par projets et l’intermittence
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    L’ouvrage de Luc Boltanski et Ève Chiapello (B&C), Le Nouvel Esprit du capitalisme (NEC), sa conception du #travail et de l’#emploi artistiques et du travail et de l’emploi en général, présente les mêmes limites que celles relevées chez Pierre-Michel Menger [1], mais avec une argumentation plus subtile que celle du désarmant professeur au Collège de France.
    Cela est d’autant plus étonnant qu’en France, depuis la fin des années 1980, la « critique artiste », qui constitue un des leitmotiv du NEC, s’est « incarnée » dans un mouvement social et politique des « artistes » (et des techniciens) du spectacle qui a révélé, à travers ses #luttes et prises de parole [2], la nature du travail et de l’emploi du #capitalisme contemporain et notamment de la « cité par projets », autre leitmotiv du NEC.
    B&C ne peuvent percevoir et lire toutes les nouveautés politiques que le mouvement des artistes et des techniciens a produites ces trente dernières années en France à cause du cadre théorique qui structure le NEC.

    La thèse qui court tout au long du NEC pour essayer d’expliquer le succès des transformations du capitalisme et l’échec de la critique est la suivante : la « critique artiste », (fondée sur la liberté, l’autonomie et l’authenticité) et la « critique sociale » (fondée sur la solidarité, la sécurité et l’égalité) « sont le plus souvent portées par des groupes distincts ». La première trouve son origine dans les milieux intellectuels et artistiques de la bohème parisienne du XIXe siècle, tandis que la deuxième est associée aux luttes et aux revendications du mouvement ouvrier. Le flambeau de la « critique artiste », transmis par les artistes aux étudiants de Mai 68, aurait été repris par la suite par les « créatifs » du « haut de la hiérarchie socioculturelle » qui travaillent dans les médias, la finance, la publicité, le show-business, la mode, Internet, etc. La « critique sociale », par contre, portée par les ouvriers de 68, aurait été transmise aux « petites gens », aux subordonnés, aux « exclus » du libéralisme. « Critique artiste » et « critique sociale » seraient « largement incompatibles », même si de façon « exceptionnelle » elles se sont rencontrées dans cette « exception » qu’a été Mai 68.

    La « critique artiste » suscite un malaise chez les auteurs, voire un certain mépris, qu’ils ont du mal à dissimuler. De leur point de vue, cela se comprend aisément, puisque la « critique artiste, encore une fois, n’est pas spontanément égalitaire ; elle court même toujours le risque d’être réinterprétée dans un sens aristocratique » et, « non tempérée par les considérations d’égalité et de solidarité de la critique sociale, [elle] peut très rapidement faire le jeu d’un libéralisme particulièrement destructeur comme nous l’ont montré les dernières années ».
    D’ailleurs, la critique artiste ne serait « pas, en soi, nécessaire à la mise en cause efficace du capitalisme comme le montrent les succès antérieurs du mouvement ouvrier qui ont tous été obtenus sans les renforts de la critique artiste. Mai 68 était, de ce point de vue, exceptionnel » [3]. Non seulement la critique artiste ne serait pas nécessaire, sinon pour « modérer le trop d’égalité de la critique sociale » qui risque de « faire fi à la liberté » (sic), mais, en plus, elle aura été (« involontairement ») le cheval de Troie du libéralisme, à qui elle serait apparentée par le goût aristocratique de la liberté, de l’autonomie et de l’authenticité.
    Confronter l’évolution et la restructuration du capitalisme aux points de vue subjectifs qui le critiquent est sûrement un pas en avant méthodologique par rapport à la vision irénique de Menger. Mais la division, l’opposition (et exceptionnellement la conjonction) entre ces deux processus de subjectivation affaiblit de manière radicale les thèses soutenues dans le livre.