« Le cessez-le-feu à Gaza est un succès considérable pour le Hamas »

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  • « Le cessez-le-feu à #Gaza est un succès considérable pour le #Hamas
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    Spécialiste du #Proche-Orient au Conseil européen des affaires étrangères, un centre de recherche basé à Londres, #Daniel_Lévy analyse les termes de cet accord.

    L’accord de cessez-le-feu est-il plus ambitieux que ce qui avait été négocié jusqu’à présent ?

    Daniel Lévy : Cet accord ressemble plus ou moins à ceux conclus en novembre 2012 et janvier 2009, et qui n’avaient pas vraiment été respectés par la suite. Pour l’heure, nous ignorons si nous pouvons attendre plus de celui-ci. De nombreux points de dissensions entre les deux camps devront encore être abordés dans un mois dans le cadre de nouvelles négociations pour parvenir à un accord de cessez-le-feu permanent.

    L’issue de ces longs pourparlers aura donc débouché sur un accord politique, puisque rien ne pouvait être conclu sur le plan militaire. Mais aujourd’hui, plus que lors des précédents accords, les objectifs sont plus ambitieux : le Hamas exige la construction d’un port et d’un aéroport, ainsi que la levée totale du siège imposé à la bande de Gaza depuis 2006. Pour autant, je ne suis pas sûr que les résultats, eux, seront très différents.

    Pourquoi Benyamin Nétanyahou et le Hamas ont-ils accepté de signer un accord maintenant ?

    Je pense que les deux camps étaient tout simplement à bout et n’avaient plus rien à gagner à continuer. Et, de ce point de vue-là, je ne pense pas que l’on puisse attribuer cet accord à la médiation égyptienne. L’Egypte était plus préoccupée par ses propres objectifs, vis-à-vis du Hamas notamment, que par la mise en place d’un cessez-le-feu.

    Cet accord a pu être conclu car les deux camps avaient autant à perdre s’ils continuaient et autant à gagner s’ils arrêtaient. Bien sûr que, s’il l’avait souhaité, Nétanyahou aurait pu venir à bout militairement du Hamas et anéantir totalement la bande de Gaza, mais à quel prix ? Contrairement à certains de ses ministres, il ne le souhaitait pas.

    Nétanyahou a senti qu’il était de plus en plus affaibli – en témoigne sa chute de popularité dans les récents sondages – et que le temps des compromis était venu. Venir à bout de la bande de Gaza aurait coûté beaucoup de temps et de vies et lui aurait été fatal politiquement, tant sur le plan interne qu’international. Et avec en plus la rentrée scolaire la semaine prochaine, il ne pouvait pas se le permettre.

    Le Hamas revendique la « victoire », en est-ce réellement une pour lui ?

    Je pense que quand vous perdez plus de deux mille vies humaines, c’est difficile de parler de victoire. Mais d’un point de vue stratégique, c’est vrai qu’Israël ne peut pas s’arroger la victoire. Donc oui, c’est un succès considérable pour le Hamas : qu’il ait tenu cinquante jours durant, qu’il ait réussi à démontrer qu’Israël pouvait être vulnérable, qu’il ait mis en place une certaine forme de dissuasion malgré le déséquilibre des forces en sa défaveur...

    Habituellement, la réalité de l’asymétrie du conflit israélo-palestinien veut que les Palestiniens paient un très lourd tribut, tandis que, du côté de l’Etat hébreu, on fait en sorte que les Israéliens ne se rendent même pas compte de la situation et continuent à vivre normalement. Or cette fois, le Hamas changé la donne : pendant cinquante jours, les israéliens n’ont pas eu de répit.

    Bien sûr, le prix à payer aura été lourd sur tous les plans, mais politiquement et symboliquement, le Hamas en ressort plus fort et Nétanyahou, plus faible.

    Pensez-vous que les exigences du Hamas ont des chances d’être suivies ?

    Cela dépend des points de l’accord : je ne pense pas que la construction d’un port et d’un aéroport puisse aboutir. Par contre, ouvrir un peu plus la bande de Gaza avec la levée partielle du blocus de l’enclave en vigueur depuis 2006 me semble possible, surtout pour faire rentrer de l’aide humanitaire, des biens et des moyens de reconstruction.

    • Trêve à Gaza : « Des sursauts de violence si on reste sur un statu quo »
      http://www.rfi.fr/moyen-orient/20140827-il-y-aura-sursauts-violence-on-reste-statu-quo-gaza-palestine-israel

      Benyamin Netanyahu est aujourd’hui affaibli politiquement. A-t-il dû faire des concessions pour arriver à cette trêve ?

      [ Jean-Paul Chagnollaud : ] Je ne sais pas si on peut parler de concessions parce que c’était la seule voie possible d’arriver à une trêve. C’est vrai qu’il est en but à des critiques de Naftali Bennett et de Avidgor Lieberman, qui sont des jusqu’au-boutistes quelque peu autistes. Ce sont des personnes qui veulent aller jusqu’au bout. Et si on avait lancé une offensive comme ils l’imaginent, ça aurait été un désastre absolu pour les Palestiniens, pour le Hamas, mais aussi pour Israël parce que c’est vraiment ne pas se rendre compte de la capacité de résistance non seulement du Hamas, mais je crois de la population palestinienne qui souffre beaucoup de ce blocus depuis 2006.

      Donc, je crois que la vraie question aujourd’hui est de savoir si, une fois que l’on a dépassé ce moment très fort avec cette séquence meurtrière, on va arriver à parler politique. Netanyahu a fait preuve d’une certaine forme de courage malgré tout parce qu’il a su s’arrêter – il n’aurait peut-être pas dû y aller, car c’était une erreur à mon avis parce que finalement tout le monde est perdant dans cette affaire. Va-t-il avoir cette capacité de réenclencher des négociations dont il ne veut pas vraiment lui-même, et dont sa coalition ne veut pas ? La communauté internationale, comme par exemple Ban Ki-moon l’a évoqué il y a quelques jours, va-t-elle essayer de pousser vers cela ?

      Nous sommes dans une phase où au fond on a deux chemins possibles : on a le chemin qui ne mène nulle part qui est la trêve pour la trêve, de la paix pour la paix au sens très sécuritaire du terme. Ou l’on a l’autre chemin qui consiste à enfin prendre les questions politiques à la racine et dire « il y a une vraie question qui est l’enfermement de Gaza » et il y a la question de l’occupation. Ce sont les grandes questions : est-ce qu’on va saisir cette séquence meurtrière pour aller au-delà de ces simples problèmes de trêve qui sont importants, mais dont on voit bien leur limite.

      Pour Netanyahu, je crois qu’aujourd’hui, s’il en restait là ce serait un échec. L’idée qu’on peut résoudre un problème politique, surtout de cette ampleur, simplement de manière militaire est une absurdité stratégique. On le voit concrètement aujourd’hui. En plus, ça a évidemment renforcé le Hamas.

      Il ne faut pas oublier la chronologie malgré les événements qui s’enchaînent les uns aux autres très vite. Début juin, il y avait un gouvernement d’union nationale qui était soutenu par le Fatah et par le Hamas (mouvement d’union national palestinien), avec Abbas comme patron de tout cela. A l’époque, les Etats-Unis l’avaient reconnu, les Européens aussi, mais pas Netanyahu. On se retrouve aujourd’hui dans cette même situation. Netanyahu a effectivement négocié avec le Hamas - et pas simplement sur des questions de trêve, mais on va aller comme on l’évoquait tout à l’heure sur des questions plus profondes, du moins on peut l’espérer –, mais on revient à une négociation qui aurait pu se faire en évitant cette séquence meurtrière. Si on se contente d’une trêve, il faut s’attendre dans six mois ou dans deux ans à ce qu’une aventure militaire pareille se reproduise encore avec les souffrances que cela engendre.