La gauche ne peut pas mourir, par Frédéric Lordon (Le Monde diplomatique, septembre 2014)

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  • « Le crépuscule d’une époque » http://blog.mondediplo.net/2015-07-07-Le-crepuscule-d-une-epoque

    -"Autisme et quasi-racisme (car il faut voir ce que depuis 2010 ces deux-là auront déversé sur « le Grec »). Bellicisme aussi d’une certaine manière, pour ceux qui n’ont que « l’Europe de la paix » à la bouche mais s’acharnent à jeter les uns contre les autres Grecs et « Européens » (les autres) — « contribuables européens » contre « fonctionnaires grecs », ou quand l’aveuglement idéologique n’hésite plus à répandre la discorde pour se donner libre cours : si le contribuable européen veut obtenir justice, qu’il la réclame au fonctionnaire grec. Eh bien non : si le contribuable européen veut obtenir justice, qu’il la réclame à ses gouvernants qui, « en son nom », ont pris la décision éclairée de le charger pour sauver les banques, et puis de charger la Grèce en s’adonnant à la passion macroéconomique des traités."

    "-Le gouvernement par les ratios est le seul horizon de leur politique. On comprend mieux le fétichisme numérologique qui s’est emparé de toute la construction européenne sous leur conduite éclairée : 3 % [3], 60 %, 2 %. Voilà le résumé de « l’Europe ». On comprend que ces gens soient réduits à la perplexité d’une poule devant un démonte-pneu quand survient quelque chose de vraiment politique — un référendum par exemple."

    –"Et derrière eux toute la cohorte des perruches — les journalistes. Fascinés par le pseudo-savoir économique auquel ils n’ont aucun accès de première main, ils ont gravement répété la nécessité de commandements économiques auxquels ils ne comprennent rien — de la même manière, on peut le parier, que, têtes vides, ils se la laisseront remplir par le nouvel air du temps et soutiendront exactement l’inverse dès que les vents auront tourné."

    –"Pour l’heure il tient encore. On dépayse la volière et les perruches prennent le chemin d’Aix-en-Provence, où l’on va se réchauffer, et se rassurer, entre soi. On reviendra dûment regonflé en répétant les éléments de langage avec d’autant plus de conviction qu’ils ne sont pas reçus comme des éléments de langage mais comme des évidences qui parlent d’elles-mêmes : réforme, ne-pas-dépenser-plus-qu’on-ne-gagne (enfin-c’est-élémentaire), la-dette-qu’on-va-laisser-à-nos-enfants"

    –"Et puis il y a l’élite : les twittos à selfie. Même au milieu des ruines fumantes de l’Europe effondrée, eux ne lâcheront rien : ce sera toujours la faute à autre chose, les Grecs feignants, les rouges-bruns, la bêtise des peuples, l’erreur, quand même il faut le dire, de trop de démocratie."


    En sortir, par Frédéric Lordon (Les blogs du Diplo, 26 septembre 2012)
    http://blog.mondediplo.net/2012-09-26-En-sortir

    "On rappellera tout de même que la dette publique espagnole passe de 36,1 points de PIB en 2007… à 68,5 en 2011 – multipliée par deux. Celle de l’Irlande, de 25 à 108 % sur la même période – multipliée par quatre, qui dit mieux ! On défendra difficilement la thèse qu’Espagnols, ou Irlandais se sont jetés frénétiquement sur les médicaments ou bien ont décidé de partir en retraite à 40 ans (comme les traders, au passage) : c’est le désastre de systèmes bancaires irresponsables qu’ils ont sur les bras. La France, dont la dette passe de 63,8 % de PIB à 85,8 %, le Portugal de 62,7 % à 107,8 % (10), payent eux aussi les dégâts de la finance, mais indirectement et par récession de credit crunch interposée – faut-il redire que tout ceci a commencé avec la crise des subprime en 2007-2008 et que, médiatement ou immédiatement, les populations européennes éclusent les petits désastres de la finance privée (que l’Union a si gentiment déréglementée pour elles) ? De tout ce surplus de dette, indiscutablement né de la crise financière, il faut dire que nous ne sommes pas comptables. Et par conséquent que nous ne le payerons pas.
    Le paysage de la politique économique, notamment budgétaire, ne commencera à changer vraiment qu’avec, oui, des taux d’intérêt souverains équivalents à ceux que les banques centrales accordent gracieusement aux banques privées pour les tenir à bout de bras, mais surtout avec 20 à 40 points de PIB de dette publique en moins. Il est vrai que pour que ce paysage-là change ainsi, il faudra préalablement en avoir chamboulé un autre, celui de l’Union européenne elle-même. Mais tout ça va du même pas en vérité puisqu’il suffirait d’annoncer le refus d’« honorer » tout ou partie de la dette publique pour qu’aussitôt explosions financière, monétaire et institutionnelle s’entraînent l’une l’autre. C’est bien là le genre d’idée propre à dégonder les amis de l’Europe (telle qu’elle est), qui hurleront à l’insanité mentale, peut-être au nihilisme des irresponsables attachés à tout détruire. Pour ne rien leur cacher, sinon tout détruire, du moins détruire tout ça, c’est en effet un peu le but de la manœuvre…" ;
    "surendettement généralisé – et passons sur le fait que ce surendettement de tous les agents (ménages, institutions financières, Etats) est le produit même du néolibéralisme… – : les ménages se surendettent sous l’effet de la compression salariale ; les banques se surendettent pour tirer, par « effet de levier », le meilleur parti des opportunités de profit de la déréglementation financière ; les Etats se surendettent par abandon de recettes fiscales sous le dogme de la réduction des impôts (pour les plus riches)." ;
    –"Mais que faut-il entendre par « la puissance publique » préposée à cette opération, ou plus exactement quelle pourrait être sa capacité financière ? L’Etat n’est-il pas ruiné, par construction même de ce scénario ? Seul le lavage de cerveau à grande eau libérale a pu nous faire croire que la personnalité financière de la puissance publique s’épuise dans l’Etat fiscal – alors qu’elle inclut notoirement la banque centrale. C’est donc à elle, évidemment reprise en main par le pouvoir souverain, qu’il appartiendrait de rattraper le déséquilibre délibérément organisé par le défaut. D’une part, mais à la manière dont la BCE et la Fed agissent déjà, en octroyant de très amples concours au secteur bancaire pour le maintenir dans la liquidité (éventuellement en admettant temporairement à ces concours certaines institutions financières non bancaires). D’autre part en se chargeant de l’apurement des pertes et de la recapitalisation nécessaires au redémarrage des opérations bancaires ordinaires – évidemment redéfinies sur des bases toute nouvelles, dont les activités spéculatives seraient exclues."

    L’Europe mal-traitée | Les Économistes Atterrés
    http://www.atterres.org/livre/leurope-mal-trait%C3%A9e
    #UE_TSCG #BCE #Dette_publique #Libéralisme #Orthodoxie

  • La gauche ne peut pas mourir
    http://www.monde-diplomatique.fr/2014/09/LORDON/50752

    Dans le débat public ne circulent pas que des sottises : également des poisons. De toutes les navrances complaisamment relayées par la cohorte des experts et éditorialistes, la plus toxique est sans doute celle qui annonce avec une gravité prophétique la fin des catégories « droite » et « gauche », et le dépassement définitif de leur antinomie politique. On n’a pas assez remarqué la troublante proximité formelle, et la collusion objective, du « ni droite ni gauche » de l’extrême droite et du « dépassement de la droite et de la gauche » (« qui ne veulent plus rien dire ») de l’extrême centre.

  • Docteur Lordon au chevet de la gauche agonisante
    La Sociale, Denis Collin, 28 août 2014
    http://la-sociale.viabloga.com/news/docteur-lordon-au-chevet-de-la-gauche-agonisante

    A propos de « La gauche ne peut pas mourir » (@mdiplo, septembre 2014) http://www.monde-diplomatique.fr/2014/09/LORDON/50752

    La #gauche immortelle de Lordon, ce n’est donc que la vieille gauche qui réclame des contreparties au capitalisme, mais se garde bien de préparer méthodiquement son remplacement. On peut enrober tout cela dans des déclarations de guerre qui ne dépasseront pas les salles de rédaction du Monde Diplomatique ou les salons de ses lecteurs. Cela ne changera rien. Par contre à vouloir maintenir la fiction de la gauche, on est conduit à deux conséquences :

    Collaborer à un système vermoulu qui veut faire croire qu’en votant pour Tartempion de gauche on garantira mieux les intérêts des plus pauvres qu’en votant Dugommier de droite.

    Écarter tout mouvement réel contre l’état de choses existant. On l’a vu au moment de la révolte bretonne des « bonnets rouges » : à la notable exception du NPA (une fois n’est pas coutume) toute la gauche estampillée vraie gauche 100 % authentique a fait la fine bouche et renvoyé ces péquenots bretons à leurs vieilles chouanneries au motif qu’il y avait parmi eux des gens « de droite » et même pire. Les jacqueries sociales que craignent les rapports des préfets et qui ne manqueront pas de se produire balaieront elles aussi ce clivage droite-gauche que Lordon veut rétablir.

    Encore une fois, reconstruire une alternative réelle, un véritable programme de l’émancipation sociale et politique, cela exige qu’on en finisse avec les illusions mortelles de la gauche, sous toutes ses formes et qu’on substitue aux apparences du jeu politique la réalité des oppositions de classes.

  • Dossier : la politique déboussolée (septembre 2014)
    http://www.monde-diplomatique.fr/2014/09/A/50803

    Il n’est pas toujours aisé, sur le plan économique et social, de pointer les différences entre une politique de gauche version Parti socialiste (PS) et une politique de droite version Union pour un mouvement populaire (UMP). Dès lors, la confusion s’installe et les repères se brouillent.

    « La gauche ne peut pas mourir » :
    http://www.monde-diplomatique.fr/2014/09/LORDON/50752

    Dans cet univers politique déboussolé, le Front national navigue entre les promesses contradictoires. Ainsi, à Paris, Mme Marine Le Pen exige le gel, voire la réduction du nombre des immigrés ; mais dans le Lot-et-Garonne, les agriculteurs proches de son parti plébiscitent cette main-d’œuvre précaire.

    « “On veut des Polonais et des Marocains !” » :
    http://www.monde-diplomatique.fr/2014/09/BAQUE/50768

    Dévastateurs sur le plan politique et générateurs d’inégalités, les choix de M. François Hollande et de son premier ministre Manuel Valls témoignent à la fois d’une inaltérable croyance dans les vertus de l’austérité et d’une funeste persévérance.

    « Purge à la française » :
    http://www.monde-diplomatique.fr/2014/09/BULARD/50762