François Dubet : « Recruter les profs à bac+5, c’est une erreur »

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  • François Dubet : « Recruter les profs à bac+5, c’est une erreur » (Le nouvel Observateur)
    http://rue89.nouvelobs.com/2014/06/18/francois-dubet-recruter-les-profs-a-bac5-cest-erreur-252636

    Avec un chômage de 25 %, une telle profession dans la fonction publique devrait attirer. Ce n’est plus le cas et c’est une énigme. […] Mon sentiment, c’est donc que le salaire n’est pas fondamental dans l’explication de la désaffection que nous constatons aujourd’hui.[…] Les profs n’ont jamais été bien payés, mais la profession avait un prestige indiscutable.
    Dans un monde du travail bien plus dur qu’il ne l’est aujourd’hui – avec un chômage qui vous plongeait dans la misère, des accidents de travail... –, cette profession, même mal rémunérée, vous donnait un prestige social et une forte stabilité de l’emploi. Mais les profs vivaient modestement, même si certains avaient un logement de fonction. […]

    Si le niveau de vie n’est pas une des explications importantes de cette crise du recrutement, quelles sont-elles  ?
    Il y en a deux. D’une part, un problème d’image. L’image, c’est celle d’un métier difficile. Celle d’un enseignant qui souffre, face à des élèves qui ne veulent pas apprendre, à des parents d’élèves qui l’enquiquinent, à une administration qui lui gâche la vie...
    Le discours que produisent les enseignants sur eux-mêmes est celui de la plainte. […]

    Dans l’Education nationale, les enjeux symboliques sont toujours plus importants que les enjeux matériels.

    Les deux peuvent se rejoindre  : si les profs étaient mieux payés, le regard de la société sur eux changerait...

    Possible, mais ce n’est pas un facteur décisif.

    Si le niveau de vie n’est pas une des explications importantes de cette crise du recrutement, quelles sont-elles  ?

    Il y en a deux. D’une part, un problème d’image. L’image, c’est celle d’un métier difficile. Celle d’un enseignant qui souffre, face à des élèves qui ne veulent pas apprendre, à des parents d’élèves qui l’enquiquinent, à une administration qui lui gâche la vie...

    Le discours que produisent les enseignants sur eux-mêmes est celui de la plainte. Autrefois, c’était un discours sur la grandeur de la profession, le plaisir d’enseigner, de faire la classe... Il y avait une mise en scène positive, une représentation du métier qui pouvait donner envie de l’exercer.

    Aujourd’hui, quand les enseignants parlent d’eux-mêmes collectivement, c’est pour dire  : « Nous souffrons, nous ne sommes pas reconnus, nous sommes méprisés, nous avons un métier de chien, c’est extrêmement difficile, nous sommes soumis à la violence »... L’image qui s’est répandue, c’est que tous exercent dans des collèges de ZEP violents, ce qui est rarement le cas.

    L’image de l’école elle-même s’est renversée  : l’école qui intégrait la société, qui fabriquait des citoyens, qui les préparait à vivre quelque chose de commun a laissé place à l’image de la machine à diviser, à trier, à créer des inégalités. Les sociologues ne sont pas pour rien dans cette image, mais elle a peu à peu été intériorisée par les Français. […]

    Prônez-vous le rétablissement de filières précoces, à la manière des écoles d’ingénieur ou des facs de médecine  ?

    Je pense que les filières que choisissent les bons étudiants, ce sont des filières à sélection précoce, celles qui garantissent leur avenir. […]
    Il faudrait donc recruter les futurs enseignants à bac+1 ou bac+2  ; ensuite,on les formerait jusqu’au master. Pourquoi se bagarre-t-on pour devenir infirmière, alors qu’on n’arrive pas à recruter des enseignants  ? Les infirmières ne sont pourtant pas mieux payées que les enseignants... et leur métier n’est pas plus facile. Mais elles ne sont pas recrutées à bac+5  !

    On a commis une erreur. On est passé de l’idée, juste, qu’il faut que les enseignants aient un niveau bac+5 à l’idée, fausse, qu’il faut donc les recruter à bac+5. Ce sont deux choses qu’on a eu le tort de confondre.

    J’ajoute que si l’on recrutait à bac+1 ou bac+2, on aurait des chances de recruter de bons élèves d’origine populaire. Parce que des bons élèves d’origine populaire, on en trouve à bac+1, mais ils ont presque disparu à bac+4. Ils n’ont pas survécu dans le système : il faut tenir  ; quatre ans d’études, c’est long.

    #éducation #enseignants #formation #recrutement #rapprochement_primaire_collège