L’art de tuer Jaurès, par Benoît Bréville et Jérôme Pellissier (Le Monde diplomatique, juillet 2014)

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  • L’art de tuer Jaurès
    http://www.monde-diplomatique.fr/2014/07/BREVILLE/50599

    Le personnage célébré en 2014 permet de taire l’homme détesté, insulté, menacé, caricaturé au début du XXe siècle ; celui qui fut en butte à la haine constante des nationalistes comme des affairistes, des cléricaux, des colonialistes, des antisémites, des militaristes, des diplomates, et de toute leur presse.

    • De toute façon, les médias et les dirigeants politiques préfèrent ne pas mentionner ces aspects de la pensée jaurésienne, pour se focaliser sur ses facettes les plus inoffensives. Exit la « lutte des classes » : l’expression est absente du discours de M. Hollande lançant l’« année Jaurès », de celui du premier secrétaire du PS Jean-Christophe Cambadélis, de l’exposition organisée aux Archives nationales, etc. Place à la « dimension humaine du personnage », pour reprendre les mots du président socialiste du conseil général de Tarn-et-Garonne. On peut ainsi louer le chroniqueur de La Dépêche du Midi « qui était son journal », selon M. Jean-Michel Baylet , et non celui qui fonda L’Humanité pour contrer une « presse vénale (...) aux mains du pouvoir ou des financiers » ; célébrer l’amoureux du Tarn plutôt que le militant politique qui analysait le monde au prisme de la « lutte incessante du salarié qui veut affirmer sa liberté et du capitaliste qui veut le tenir dans sa dépendance » ; glorifier le critique littéraire prolixe, mais taire ses combats contre l’« Internationale des obus et des profits » ; encenser le brillant orateur et oublier son #anticolonialisme visionnaire, qui l’amena à se demander en 1912 : « Qui aura le droit de s’indigner (...) si les violences auxquelles se livre l’Europe en Afrique achèvent d’exaspérer la fibre blessée des musulmans, si l’#islam un jour répond par un fanatisme et une vaste révolte à l’universelle agression ? »