“Illettrées”. Le ministre et le politiquement correct

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    Dans cette situation, le politiquement correct aurait imposé l’évitement du terme d’illettré, trop chargé de disqualification, et peu susceptible d’une réception neutre au sens technique. Mais pour cela, il aurait fallu qu’Emmanuel Macron qui est, comme le rappelle de manière critique Bernard Lahire, “le pur produit du système scolaire élitiste français”, montre une capacité réflexive ou une attention au devenir de ses paroles, autrement dit une vertu discursive, que ses “grandes études” ne lui ont pas données (en l’occurrence, l’élitisme culturel et intellectuel à la française enseigne plutôt la clôture interactionnelle, le discours péremptoire voire la violence verbale, mais c’est un autre sujet). C’est là que je suis en désaccord, pour une fois, avec Bernard Lahire : je ne suis vraiement pas sûre que ce soit l’appartenance d’Emmanuel Macron à l’élite qui soit la cause de sa conception de l’illettrisme comme frein à l’emploi (la thèse de Bernard Lahire, développée dans son ouvrage de 2005, est que les gens ne trouvent pas de travail, non parce qu’ils sont supposément illettrés, mais parce qu’il n’y a pas de travail, et que le lien entre le fait de posséder les compétences de lecture-écriture et l’employabilité est un fantasme des élites). Je pense que quelqu’un de bien moins lettré, puissant et riche qu’Emmanuel Macron aurait eu exactement les mêmes mots ; l’absence de conscience linguistique, d’essai d’anticipation des effets de sa parole, le fait que, comme le dit une expression de la langue elle-même, les mots “dépassent notre pensée”, sont les choses les mieux partagées du monde. Il me semble que ce qui manque, c’est justement cette réflexivité, cette pratique d’une vertu discursive qui paraîtra sans doute un peu surannée, voire un peu bête et naïve, je le sais, à beaucoup, mais que je trouve fondamentale et nécessaire. Alors oui, je suis pour le politiquement correct, si le politiquement correct bloque les humiliations, les souffrances d’être “traité de”, les mépris et les marginalisations. Je trouve que le politiquement correct relève de l’humanisme lexical. La liberté d’expression est une bien belle chose si elle est accompagnée d’une présupposition bienveillante. À défaut, tout les mots sont permis, ce que je conteste.

    #langue #usages #illettrisme