Claude Hagège : « Imposer sa langue, c’est imposer sa pensée »

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  • Claude Hagège: «Imposer sa langue, c’est imposer sa pensée» - L’Express
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    Seuls les gens mal informés pensent qu’une langue sert seulement à communiquer. Une langue constitue aussi une manière de penser, une façon de voir le monde, une culture.

    #langues #anglais #domination

    • #langues_sans_frontières

      Le problème est que la plupart des gens qui affirment « Il faut apprendre des langues étrangères » n’en apprennent qu’une : l’anglais. Ce qui fait peser une menace pour l’humanité tout entière.

      Toute l’Histoire le montre : les idiomes des Etats dominants conduisent souvent à la disparition de ceux des Etats dominés. Le grec a englouti le phrygien. Le latin a tué l’ibère et le gaulois. A l’heure actuelle, 25 langues disparaissent chaque année ! Comprenez bien une chose : je ne me bats pas contre l’anglais ; je me bats pour la diversité. Un proverbe arménien résume merveilleusement ma pensée : « Autant tu connais de langues, autant de fois tu es un homme. »

      Il faut bien comprendre que la langue structure la pensée d’un individu. Certains croient qu’on peut promouvoir une pensée française en anglais : ils ont tort. Imposer sa langue, c’est aussi imposer sa manière de penser.

      C’est d’ailleurs un invariant de l’Histoire. Le gaulois a disparu parce que les élites gauloises se sont empressées d’envoyer leurs enfants à l’école romaine. Tout comme les élites provinciales, plus tard, ont appris à leur progéniture le français au détriment des langues régionales. Les classes dominantes sont souvent les premières à adopter le parler de l’envahisseur. Elles font de même aujourd’hui avec l’anglais.

    • « Tout comme les élites provinciales, plus tard, ont appris à leur progéniture le français au détriment des langues régionales. »

      Ce serait donc la faute des provinciaux...

      Les deux dernières questions :

      « N’est-il pas contradictoire de vouloir promouvoir le français à l’international et de laisser mourir les langues régionales ?
      Vous avez raison. On ne peut pas défendre la diversité dans le monde et l’uniformité en France ! Depuis peu, notre pays a commencé d’accorder aux langues régionales la reconnaissance qu’elles méritent. Mais il aura fallu attendre qu’elles soient moribondes et ne représentent plus aucun danger pour l’unité nationale.

      Il est donc bien tard...
      Il est bien tard, mais il n’est pas trop tard. Il faut augmenter les moyens qui sont consacrés à ces langues, les sauver, avant que l’on ne s’aperçoive que nous avons laissé sombrer l’une des grandes richesses culturelles de la France. »

      Il estime donc que le statut actuel des langues régionales correspond à « la reconnaissance qu’elles méritent »... pffff !

    • @irakurri : tu vas un peu vite en besogne et en lecture.
      1) Il parle des élites provinciales, et pas des provinciaux tt court. De même qu’il parle des élites françaises vis à vis de l’anglais et pas des anglais tout court.
      2) il ne dit pas que le statut correspond à « la reconnaissance qu’elle mérite » mais qu’on « commence à accorder » cette reconnaissance. Si donc on commence à accorder, ca veut bien dire que tt n’est pas complet...

    • Tout à fait d’accord Maïeul. Il semble accorder le même intérêt pour les langues régionales. En revanche quand il dit :

      il aura fallu attendre qu’elles soient moribondes et ne représentent plus aucun danger pour l’unité nationale.

      Si on a un raisonnement a contrario le sauvetage des langues régionales entrerait en collision avec l’unité nationale. Ne peut-on pas associer les deux ?

    • @irakurri « c’est donc de la faute des provinciaux ». De la faute Pour partie des élites provinciales en tous les cas. Il faut dire que le français a été la langue de la promotion sociale. Ne pas être suffisamment francophone est rapidement devenu un obstacle dirimant. Je vois toute la différence entre le catalan de Catalogne, où la bourgeoisie n’a jamais abandonné l’usage de la langue, et la Catalogne française (d’où je viens) où le catalan est essentiellement une langue populaire (ce qui n’est pas péjoratif bien entendu) et surtout une langue de vieux.

    • Merci pour ces contributions, mais je ne peux m’empêcher d’avoir une lecture « pessimiste »...
      1- OK effectivement il parle d’ élites provinciales... mais aucune mention, si ce n’est une allusion à la langue des puissants, du rôle joué par l’éducation nationale pour supprimer l’usage des autres langues même en cours de récréation et autre bonnet d’ânes. Donc en résumé, il focalise sur le rôle des élites provinciaux pour expliquer le désintérêt pour les langues régionales, tout en occultant le rôle joué par la « république » contre ces langues...
      2- Par contre, ça reste flou sur le commencement d’une reconnaissance méritée

    • il aura fallu attendre qu’elles soient moribondes et ne représentent plus aucun danger pour l’unité nationale.

      Je n’ai pas commenté ce passage mais sur ce sujet il y aurait aussi beaucoup à dire.

      Quand on a pris l’habitude de considérer comme un bien absolu et clair de toute ombre cette croissance au cours de laquelle la France a dévoré et digéré tant de territoires, comment une propagande inspirée exactement de la même pensée, et mettant seulement le nom de l’Europe à la place de celui de la France, ne s’infiltrera-t-elle pas dans un coin de l’âme ? Le patriotisme actuel consiste en une équation entre le bien absolu et une collectivité correspondant à un espace territorial, à savoir la France ; quiconque change dans sa pensée le terme territorial de l’équation, et met à la place un terme plus petit, comme la Bretagne, ou plus grand, comme l’Europe, est regardé comme un traître. Pourquoi cela ? C’est tout à fait arbitraire. L’habitude nous empêche de nous rendre compte à quel point c’est arbitraire. Mais au moment suprême, cet arbitraire donne prise au fabricant intérieur de sophismes.
      Les collaborateurs actuels [Écrit en 1943 (NdT)] ont à l’égard de l’Europe nouvelle que forgerait une victoire allemande l’attitude qu’on demande aux Provençaux, aux Bretons, aux Alsaciens, aux Francs-Comtois d’avoir, quant au passé, à l’égard de la conquête de leur pays par le roi de France. Pourquoi la différence des époques changerait-elle le bien et le mal ? On entendait couramment dire entre 1918 et 1919, par les braves gens qui espéraient la paix : « Autrefois il y avait la guerre entre provinces, puis elles se sont unies en formant des nations. De la même manière les nations vont s’unir dans chaque continent, puis dans le monde entier, et ce sera la fin de toute guerre. » C’était un lieu commun très répandu ; il procédait de ce raisonnement par extrapolation qui a eu tant de puissance au XIX e siècle et encore au XX e . Les braves gens qui parlaient ainsi connaissaient en gros l’histoire de France, mais ils ne réfléchissaient pas, au moment où ils parlaient, que l’unité nationale s’était accomplie presque exclusivement par les conquêtes les plus brutales. Mais s’ils s’en sont souvenus en 1939, ils se sont souvenus aussi que ces conquêtes leur étaient toujours apparues comme un bien. Quoi d’étonnant si une partie au moins de leur âme s’est mise à penser : « Pour le progrès, pour l’accomplissement de l’Histoire, il faut peut-être en passer par là ? »

      http://classiques.uqac.ca/classiques/weil_simone/enracinement/weil_Enracinement.pdf