Derrière la « Nation » française, il y a toujours « l’Empire colonial » français, il faut pouvoir l’assumer...

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  • La vérité historique, première victime du nationalisme (janvier 2010)
    http://www.cntaittoulouse.lautre.net/spip.php?article348

    #Ernest_Renan, le grand mystificateur

    Joseph-Ernest Renan (1823-1892) était quelque peu tombé dans l’oubli. Le débat du jour le tire de l’ombre. Il redevient une référence, celle dont se revendiquent ouvertement des politiciens de haut vol comme Alain Juppé [1].

    Renan, ancien séminariste devenu rapidement, après quelques frictions avec Napoléon III, l’historien pour ainsi dire officiel de l’État, a au moins un avantage : son cynisme est tel qu’il n’y va pas par quatre chemins pour « lâcher le morceau ». Dans « Qu’est-ce qu’une nation  ? », conférence prononcée en 1882, il ne se gène pas pour écrire : « L’oubli, et je dirai même l’erreur historique, sont un facteur essentiel de la création d’une nation, et c’est ainsi que le progrès des études historiques est souvent pour la nationalité un danger ». On ne saurait être plus clair...

    Renan, véritable « saint » de la troisième république, s’affirme partisan, pour les besoins de la cause, de « l’erreur historique », ce pourquoi on peut lui décerner le titre de «  Père du révisionnisme historique décomplexé  ». Aujourd’hui comme hier, ce révisionnisme permet au Pouvoir de continuer de travestir la vérité historique, de la faire entrer dans le moule qui lui convient, et de justifier ainsi son idéologie et sa pratique.

    Chantre du mensonge officiel, Renan fut le premier historien postérieur à la Révolution Française à remettre en selle, en tant que piliers de la « nation moderne », ceux qu’il nommait avec tendresse les « personnages du passé ». A sa suite, l’école de la troisième république intégrera toute une brochette de psychopathes royaux (et quelques uns de leurs plus célèbres laquais) dans l’imagerie héroïque de la France. Par ce coup de baguette magique, les brutes couronnées et leurs larbins devenaient, dans les livres scolaires, des héros qui auraient fondé la patrie française et se seraient sacrifiés pour elle.

    Les falsifications historiques vomies par Renan ont été la source à laquelle, à la fin du XIXème siècle, s’est abreuvée avec délectation cette bourgeoisie revancharde qui venait de massacrer les Communards. Les théories de Renan lui permettaient de faire coup double, d’une part en donnant un contenu clairement chauvin et réactionnaire à une République qui venait de s’installer par défaut [2], d’autre part, en contrant l’émergence du mouvement ouvrier internationaliste grâce à l’utilisation de cette version nationaliste de l’histoire. Deux attitudes qui allaient directement conduire à la boucherie sanglante de 1914/1918.

    L’essentiel de la falsification historique voulue par Renan et ses successeurs porte sur la Révolution française. Tout leur travail consiste à masquer la « rupture épistémologique » que représente cette période et à la présenter comme un simple prolongement du cours antérieur de l’histoire. Ainsi en est-il de l’idée de Nation, qui apparue dès le début de la Révolution, va être vidée de son sens par nos historiens et politiciens révisionnistes et déformée jusqu’à signifier le contraire de son sens premier. En effet, quand le terme Nation fait irruption dans le débat politique en 1789, il désigne clairement la collectivité formée par tous les individus, égaux entre eux, et de ce fait, la seule instance politique légitime dans un pays. L’idée de Nation se construit en opposition totale au pouvoir d’un seul (ou d’une petite caste), en opposition donc à la tyrannie qu’ont précisément défendu les Jeanne d’Arc, les Charles Martel et autres « personnages du passé » lors des siècles d’oppression féodale et monarchique, en opposition totale à cette idéologie qui permettait à n’importe quel crétin (pourvu qu’il fusse couronné) d’affirmer : « L’État, c’est moi  ! ».

    Ainsi, pendant la Révolution Française, on pouvait fort bien être étranger, être né loin du territoire français, et être immédiatement intégré dans la Nation. C’est pourquoi des hommes et des femmes de tous les pays se retrouvèrent en France, dés 1789, à délibérer, à décider et à agir pour les idéaux révolutionnaires. A partir de 1792, il y eut même des bataillons entiers formés par les nombreux étrangers désireux de combattre sous les drapeaux de la Nation. On ne parlait pas alors de « brigades internationales » mais de « Légions » : Légions Belges, Légion Franche Étrangère Batave (Hollandais), Légion des Allobroges, Légion Germanique, Légion des Américains (Antillais et habitants métis ou blanc des colonies), etc.

    Ces faits sont aussi remarquables qu’il sont peu connus. Et pour cause : ils gênent les historiographes nationalistes, préoccupés d’élaborer leur mystification xénophobe. Ils gênent tout autant l’école historique marxiste qui, les oeillères du matérialisme dialectique bien rivées, n’a jamais voulu voir dans la Révolution française que son expression bourgeoise. Il est vrai que l’existence des Légions belges, germaniques ou américaines prouve que la conscience internationaliste n’a pas attendu la théorie de Marx et la pratique de Lénine pour se manifester de façon concrète !

    Cette caractéristique du conflit fondateur de la Nation française est renforcée par un deuxième élément qui vient compléter clairement la signification en contrepoint : tout comme on pouvait être étranger et membre de la Nation, on pouvait tout aussi bien bien être français de souche, né sur le territoire et appartenir au parti de l’étranger.

    la frontière : fracture idéologique et non réalité territoriale

    En effet, si des esprits éclairés sont venus d’Europe et des Amériques pour défendre la Révolution, à l’inverse des membres éminents de la noblesse, de l’église et des milieux affairistes, tous « Français de souche » ont fui en masse le pays à partir de la prise de la Bastille [3]. Ceci nous montre où se situe la véritable fracture : non pas entre lieu de naissance, non pas entre territoires géographiques (d’un coté du Rhin ou de l’autre) , non pas entre « cultures » (culture française contre culture allemande...), mais bien entre intérêts économiques et de pouvoir.

    La France de la Révolution n’avait donc pas de problème avec les personnes nées hors de France. Elle en avait de sérieux avec toutes celles qui, selon l’expression des sans-culottes, formaient le « parti de l’étranger », parti désigné ainsi parce qu’il se regroupait sans vergogne autour des despotes régnant à l’étranger [4]. Un parti qui reçut la participation massive de « Français de souche » : on évalue à un million, chiffre énorme pour l’époque, le nombre de nobles, de riches et de curés qui n’hésitèrent pas à déserter le territoire français pour revenir l’attaquer avec les armées royales étrangères [5].

    les nouveaux émigrés

    L’histoire dit-on a tendance à se répéter. Parfois sous forme de farce. Après avoir connu l’émigration de la noblesse, revenue avec Louis XVIII dans les paquets des armées étrangères piller de nouveau le territoire dit national, voici que nous sommes menacés de l’émigration des... footballeurs. Le lien entre les deux émigrations n’est pas qu’apparent, et les théories révisionnistes des émules de Renan sont là pour masquer le scandale que constitue l’une comme l’autre.

    Alors que le slogan politicien affirme -ce que beaucoup de gens croient- que « Les plus pauvres ne payent pas d’impôt », en France, même les rmistes, tout comme les retraités aux pensions les plus minables, les étudiants aux bourses ridicules, et les sans-papiers les mieux cachés payent des impôts tous les jours [6]... A contrario, les politiciens s’en vantent moins, ils ont voté des « niches fiscales » qui permettent aux plus riches de ne pas payer d’impôts directs (ou de n’en payer que sur une fraction de leur revenu). Les joueurs professionnels de football, dont le salaire moyen tourne autour de 500 000 euros annuels, jouissent de ce privilège. Or, voici qu’un inconscient a envisagé de leur faire payer des impôts, comme à la masse de la population, sur la totalité de leur revenus. Quels cris d’effroi n’avons-nous pas entendus ! Et quelle menace ! Celle d’un « nouvel exode massif vers l’étranger des meilleurs joueurs du championnat. »

    Un exode massif vers l’étranger ? Bigre, cela nous en rappelle, des choses !

    Soulignons d’abord que cette menace d’émigration massive émane d’un milieu qui vit de la promotion d’un chauvinisme sportif identitaire qui englobe jusqu’à la couleur du slip ; qu’elle provient directement de gens qui composent l’équipe dite « de France » et qui font profession de chanter au garde à vous, en regardant le drapeau bleu-blanc-rouge « droit dans les yeux », devant des millions de personnes, l’hymne national. En plein débat sur l’identité nationale on mesure le peu de sincérité de l’establishment : alors qu’il s’était levé comme un seul homme pour fustiger cruellement le public qui avait, par jeu, sifflé la Marseillaise, pas un seul dignitaire du régime n’a dénoncé quelque chose qui devrait être bien plus grave à ses yeux et tirant bien plus à conséquence (s’il avait la moindre honnêteté) : une atteinte aux plus sacrés des devoirs, celui de verser, comme tout le monde, sa contribution.

    L’anecdote ridicule des tapeurs de ballon qui menacent, comme un seul homme, d’aller faire joujou ailleurs et, surtout, le silence complice qui accueille leur caprice nous révèle on ne peut plus clairement la véritable fonction du nationalisme : masquer, sous des mots creux, l’indignité passée, présente et à venir des privilégiés.

    Le principal pilier de la vie en société c’est la fraternité, la solidarité, sans cela, tout le reste n’est que mensonge et hypocrisie. Ceux qui sont trompé par les nationalismes défendent en réalité des privilégiés qui agitent leurs drapeaux nationaux (ou régionaux) pour mieux détourner l’attention et tirer des profits égoïstes. Hier comme aujourd’hui, il est notoire que ceux qui, à cause de leur rapacité, sont en dehors des valeurs fondamentales de la société humaine (de ce que les sans-culottes appelaient la Nation) ce ne sont pas les « étrangers » mais bien les riches, les patrons, les profiteurs de tous poils et leurs complices.

    G. Babeuf

    INTEGRISME & NATIONALISME

    Au moment, ou l’on parle beaucoup, en France, tour à tour, de l’intégrisme religieux et de l’identité nationale, je tiens à souligner que c’est bien le nationalisme que le pouvoir plébiscite au travers de cette fumeuse idée d’identité nationale. Et, il ne peut pas y avoir de doute sur le fait que le nationalisme est bien lui-même un intégrisme. Car comme tout intégrisme, il est un vecteur de fanatisme, parce qu’il est violemment excessif et injuste ; il est un vecteur qui génère des clichés sommaires, parce qu’il facilite l’existence d’une mentalité sécuritaire ; il est un vecteur d’ignorance, parce qu’il occulte la vérité de la réalité ; il est un vecteur de haine, parce qu’il engendre l’intolérance et la peur, donc, la violence, une violence qui servira toujours le pouvoir en place. Et de plus, le nationalisme revêt, aussi, un caractère fondamentalement religieux, car, il est, de par sa nature démagogique, appelé à être élevé au rang du sacré. Cette superstition est l’ennemie de tous les hommes libres, car, elle exalte le réflexe réactionnaire en faisant appel à l’émotionnel pour réveiller les pulsions primaires telles que, par exemple, l’esprit grégaire. Sa devise pourrait être : A chacun son drapeau, à chacun sa haine. Tous ceux qui savent qu’il y a d’autres manières d’exister que par la haine doivent rejeter toute complicité avec le nationalisme.

    [1] Voir par exemple le site de juppé http://www.al1jup.com/quest-ce-quune-nation

    [2] la chute de Napoléon III, la république fut instituée de façon provisoire par une assemblée monarchiste qui n’arrivait pas à se mettre d’accord entre elle. Moyennant quoi, cette Troisième république fut la plus longue de l’histoire de France

    [3] Trois jours après, le 17 juillet 1789, le comte d’Artois, frère du roi (et lui même futur roi, sous le nom de Charles X), passait à l’étranger sans oublier d’emporter tout ce qu’il pouvait de sa fortune

    [4] Certains lecteurs ont peut être entendu parler de Rivarol, une feuille qui se veut l’hebdomadaire de l’« opposition nationale et européenne » et soutient régulièrement le Front National. Ce périodique, adepte du slogan « La France ou on l’aime ou on la quitte » fait semblant d’oublier que le célèbre pamphlétaire royaliste dont il tire son nom ... a quitté la France en 1792, comme quoi, il ne devait pas l’aimer tant que ça...

    [5] Voir A. Soboul, Dictionnaire historique de la Révolution française. Ajoutons que c’est précisément pour avoir soutenu ce « parti de l’étranger » que Louis XVI, né français de souche, a été guillotiné en 1793.

    [6] ...car ils ne sont pas exonérés d’impôts indirects. Quand un rmiste achète des carottes, il verse 5,5 % du prix dans les caisses de l’État, et, s’il s’achète une chemise, 19,6 % !

    Article d’@anarchosyndicalisme ! n°115 janvier 2010
    http://www.cntaittoulouse.lautre.net/spip.php?article350

    • http://mondialisme.org/spip.php?article2383

      Temps critiques

      VERNISSAGE D’UNE ANTIQUITÉ :

      LE « DÉFAITISME RÉVOLUTIONNAIRE »

      À propos des attaques islamistes de Paris, nous avons reçu un tract qui passe une couche de vernis sur une ancienne position de la gauche communiste devenue aujourd’hui une antiquité : le défaitisme révolutionnaire.

      Premièrement, le tract est marqué par son incapacité à reconnaître ce qui est nouveau

      D’après lui, nous serions dans un système capitaliste mondialisé. On peut donc supposer, sans pour cela perdre du temps à s’interroger sur la validité de la notion (kautskienne je crois) de "super-impérialisme", que les souverainetés nationales ont aujourd’hui peu de poids face à l’imbrication des différentes fractions du capital dans ce que nous appelons, à Temps critiques, le "capitalisme du sommet" (cf. n° 15). Ce tract devrait donc en tirer toutes les conclusions possibles. Au lieu de cela, le texte nous dit qu’en fait la situation de guerre est engendrée par des puissances visant à la défense de leur pré carré ! Cela suppose de maintenir une vision traditionnelle des luttes anti-impérialistes comme si on en était encore à l’époque coloniale ou même post-coloniale des années 1960-1980. Or le mouvement mondial de globalisation a déplacé la question ancienne de la possession coloniale ou de la domination néocoloniale avec maîtrise des territoires vers celle du contrôle des flux par le biais de politiques financières et de mises en réseaux clientélistes. Pour ne prendre qu’un exemple, il ne s’agit pas tant de s’approprier le gaz ou le pétrole moyen oriental que de garder les robinets de distribution ouverts afin qu’il n’y ait pas de risque de rupture d’approvisionnement pour l’ensemble des pays consommateurs de la communauté internationale. Seuls les quelques pays soumis à embargo sont tenus à l’écart de ce consensus.

      Cet objectif internationalisé même si il est chapeauté par la puissance dominante, c’est-à-dire les États-Unis, change tout du point de vue stratégique. La stabilité d’un ordre mondial est primordiale pour garantir cette fluidité du capital et la circulation des ressources énergétiques ou des matières premières. Les stratégies ne sont donc plus dictées essentiellement par des efforts de déstabilisation de "l’autre camp" comme dans les soubresauts de l’après-guerre froide ; ou pour s’approprier des parts de gâteau dans une situation de guerre économique sauvage. Si on ne tient pas compte de ce nouvel ordre mondial, forcément instable dans certaines zones, alors pourquoi parler en termes de mondialisation comme le fait le tract ? Il n’y aurait rien de nouveau alors depuis 1945 !? C’est faire fi de toutes les réunions internationales incessantes, qu’elles soient de type commerciales, climatiques ou politiques.

      Qui peut penser, comme le soutient par exemple le tract, qu’El Assad veut développer son "capital national" ? que Daesh dont les antennes s’étendent paraît-il dans trente pays viserait à développer son capital national ? Et les talibans aussi, c’était ça aussi leur objectif en transformant Kaboul en un village du Moyen Age ?

      Cette incohérence ne permet pas de comprendre une double contradiction du capital. L’une au niveau stratégique de l’hyper-capitalisme du sommet entre d’un côté la tendance dominante à la mondialisation et donc à la crise des États sous leur forme d’État-nation et de l’autre la résurgence de politiques de puissance aussi diverses que celles menées récemment par le Japon, la Russie et l’Iran. L’autre au niveau de la gestion encore en grande partie nationale d’une situation où coexistent de façon conflictuelle, d’un côté une croissance de flux humains (migrants et réfugiés) parallèle à celle des flux financiers ou de marchandises et de l’autre une tendance protectionniste et souverainiste-identitaire.

      Deuxièmement, la guerre est conçue dans des termes anciens

      Cela découle de ce qui précède. Pour l’auteur du tract, la guerre ne peut être qu’une guerre entre États dans laquelle les gros mangeront les petits puisque les luttes de libération nationale qui avaient semblé inverser cette tendance ne sont plus vraiment d’actualité laissant place à une désagrégation des différents blocs issus de la Seconde Guerre mondiale puis de la Guerre froide. Pourtant ce qui caractérise les actions militaires depuis 2001, pour nous donc des opérations de police (cf. note 1) c’est ce qui a été théorisé par les experts en stratégie militaire, comme des guerres asymétriques ou dissymétriques, ce qui change la donne et pour tout le monde. Du côté des puissances et du pouvoir la désignation des ennemis n’est plus claire ; l’ennemi est-il encore extérieur ou en partie intérieur ? Le politique retrouve ici sa dimension incontournable par rapport à la dimension militaire et au rapport de force brut. C’est aussi pour cela que la position de facilité à court terme, pour l’État apparaît comme celle du tout sécuritaire.

      Mais de « notre côté » les choses ne sont pas plus claires. S’opposer directement à la guerre comme ce fut le cas encore pour le Vietnam alors que la conscription existait toujours n’était déjà plus qu’une possibilité indirecte au moment de l’intervention en Irak de forces opérationnelles spéciales. Cette possibilité est maintenant devenue très problématique dans une configuration où s’affrontent professionnels technologisés et dronés d’une part, combattants fanatisés (et bien armés aussi), d’autre part. Les « lois de la guerre » ne sont d’ailleurs plus respectées ni par les uns ni par les autres. En conséquence, pratiquer le « défaitisme révolutionnaire » s’avère sans objet ; et se réfugier dans un refus de l’unité nationale comme si c’était l’objet du problème et par ailleurs comme si cela pouvait avoir un quelconque effet pratique, relève du slogan qui devient grandiloquent et même ridicule quand il nous promet, dans le cas contraire une mort programmée (le catastrophisme encore et toujours).

      Troisièmement, il est marqué par sa confusion entre capital et capitalisme

      Pour l’auteur tout est capitaliste et donc les États et même le "proto-État" Daesh sont des États capitalistes. Il s’ensuit, entre autres, qu’aucune analyse fine des particularités de Daesh ou d’Al Qaida n’est possible puisque le tract néglige complètement le fait que ces organisations prospèrent sur le tribalisme et non pas sur le capitalisme (ça n’empêche certes pas la valeur de circuler) et qui plus est sur un tribalisme religieux, le tribalisme sunnite en conflit ouvert avec un chiisme plus centralisé et institutionnalisé sur le modèle iranien. Le même phénomène se retrouve en Libye où la mort de Kadhafi a libéré la lutte clanique. Cet éclatement des guérillas peut même être l’objet d’une véritable stratégie comme celle des « franchises » d’Al Qaida, réplique militaire des franchisés commerciaux occidentaux. Cette organisation à l’horizontale se rapprochant aussi de certaines organisations mafieuses comme à Naples, ce qui rend « la traque » plus difficile..

      Si elle revêt parfois des formes anticapitalistes ou anti-impérialistes, cette guerre de guérilla est avant tout appuyée sur trois axes, le premier religieux qui oppose révélation à raison est très éloigné des formes religieuses de l’islam intégré des pays occidentaux, le second familial et patriarcal en concordance plus étroite avec les piliers de l’Islam et enfin le troisième de type mafieux reposant sur l’accaparement de la rente, le pillage et le commerce illégal y compris l’esclavage. Il est donc inapproprié de traiter de capitalistes des organisations comme Daesh et Al Qaida alors que leur organisation et leurs perspectives sont tout autres. Il est aussi erroné de les traiter de fascistes comme le font souvent les libertaires et les gauchistes parce que le fascisme est un sous-produit du socialisme et du nationalisme alors que ces organisations n’ont justement pas de visées nationales ; elles sont même directement mondiales et s’adressent à une communauté des croyants potentiellement sans limite. Ce sont donc bien ces organisations et pas celles de la gauche radicale qui ont dépassé en pratique le cadre de référence de la nation même si ce n’est pas dans la perspective de la communauté humaine, mais dans celle aliénée de la communauté religieuse. C’est particulièrement vrai pour Al Qaida et si Daesh présente au départ une option plus territorialisée avec le projet de Califat, il semble que son orientation récente rejoigne celle de l’organisation concurrente. Au rebours de ce que prétend le tract, on peut même dire que ces organisations sont le fruit de la défaite des pouvoirs nationaux-socialistes nassériens, baasistes et kadhafistes dans la région.

      Quatrièmement, sa perspective est d’origine historique décadentiste (mais drapeau dans la poche en quelque sorte).

      Une phrase en est emblématique : « la guerre rode partout sur l’ensemble de cette planète vivant une véritable agonie ». À la limite, on peut dire que les djihadistes sont plus clairvoyants qui s’attaquent au capitalisme et particulièrement à une société capitaliste pourvoyeuse de plaisirs et fonctionnant sur un modèle hédoniste adopté par toutes les couches de la population y compris les plus défavorisées. En effet, les lieux choisis ne tiennent pas du hasard. Les lieux de divertissement sportifs, musicaux, bars ou restaurants à la mode ont été taxés de lieux « d’abominations et de perversion » par le communiqué de revendication des attentats par l’EI du le 14/11/2015. La crise avec un grand C n’est donc pas encore là quoiqu’en pense ou souhaite le tract. Les difficultés actuelles à reproduire les rapports sociaux dans leur ensemble n’empêchent pas la poursuite d’une dynamique de capitalisation dont l’un des axes est constitué par le consumérisme, festif de préférence.

      C’est malheureusement une tradition, dans l’ultragauche, que de réactiver cette tendance décadentiste qui voit du mortifère et de la misère partout, mais aujourd’hui cela s’effectue sous une forme radicalisée catastrophiste bien rendue par la phrase : « ces attentats dont ceux de Paris ne sont qu’un hors d’œuvre ». Qui écrit cela frôle le cynisme et surtout pratique la politique du pire parce qu’il n’a pas de solution de rechange. Noircir le tableau est le signe d’une désespérance du courant communiste radical.

      Cinquièmement, le spectre du prolétariat remplace la lutte des classes

      Tout d’abord la classe ouvrière est définie comme la classe « antinationale par définition ». On se demande bien qui a pu établir cette définition. Le Larousse ? Non. Marx ? Oui, mais avec plusieurs bémols. Tout d’abord Marx n’est qu’un théoricien-militant à l’épreuve de la pratique et on connaît aujourd’hui la pratique qui a mis à mal ce qui devait être l’internationalisme prolétarien resté toujours très minoritaire au sein de la classe ouvrière. Ensuite la phrase du Manifeste adorée comme une Bible pour croyant est une phrase tronquée dont le contenu complet est moins clair ou univoque. Je cite : « Les ouvriers n’ont pas de patrie. On ne peut leur ôter ce qu’ils n’ont pas … Comme le prolétariat de chaque pays doit d’abord conquérir le pouvoir politique, s’ériger en classe dirigeante de la nation, devenir lui-même la nation [c’est nous qui soulignons], il est encore par là national ; mais ce n’est pas au sens bourgeois du mot ». Certes, Marx est encore à l’époque, imprégné de démocratisme révolutionnaire (deuxième partie de la citation) et sa perspective communiste reste lointaine même si elle est affirmée en tête de citation. C’est bien pour cela qu’il ne s’avance pas trop sur le caractère « antinational » du prolétariat. Il se laissera même parfois aller à un certain pangermanisme comme par exemple dans son opposition au slavisme de Bakounine ou dans ses prises de position au début de la guerre franco-allemande avant de comprendre l’importance de la Commune de Paris. En tout cas, s’il cède parfois à un essentialisme du prolétariat parce qu’il le pense dépositaire final de l’universalisme bourgeois (c’est sa position dans les œuvres de jeunesse), il sait aussi combien la classe ouvrière est une classe déterminée par ses conditions (c’est sa position à partir des Grundrisse). Alors pourquoi reprendre cela dans un tract répondant à un événement actuel ? La situation serait-elle plus favorable à l’expression de ce côté universel qu’au côté particulariste ? On aimerait bien mais on en doute. Le tract lui-même en doute quand il espère « le réveil du prolétariat international » sans se poser la question du pourquoi de son grand sommeil et sans se demander comment les tirs de kalachnikovs au Bataclan sonneraient ce réveil.

      Ce qui est patent mais bien évidemment dur à reconnaître pour les courants communistes radicaux, c’est que ce genre d’événements nous met tout simplement hors jeu et on peut dire celui de novembre bien plus encore que ceux de janvier. Dans cette situation que nous subissons au plus haut point, toute position « programmatique », sous condition même qu’elle puisse être fondée en principe, s’avère artificielle et velléitaire. Pour éviter qu’elle apparaisse trop décalée il faut alors se replier sur une position du type de celle prise par Erri de Luca.

      Cette intervention d’Erri de Luca est en effet cohérente avec son actuelle position démocrate et « antifa ». Il propose l’organisation d’une défense citoyenne sur le modèle de ce qui se faisait dans les quartiers de l’Italie des années 1970 pour neutraliser les fascistes même s’il s’agit cette fois de neutraliser les terroristes et ainsi d’éviter ce qu’il nomme un risque de « militarisation » excessive de l’État et donc sa droitisation extrême. Les dispositifs stratégiques imaginés par l’ancien dirigeant du service d’ordre de Lotta continua refont surface mais convertis pour un usage citoyen dans l’État de Droit de façon à nous sauver de l’État d’exception expérimenté un temps par l’État italien au cours des « années de plomb ». Sans partager ce propos, le réduire à un appel à la délation auprès de la police comme le font déjà certains, est un réflexe révolutionariste qui pense que la dénonciation est bien supérieure à la délation mais sans rien proposer d’autre qu’un mot d’ordre abstrait qui présuppose une guerre (de classe ?) entre deux ennemis, d’une part un État-policier et d’autre part des « révolutionnaires » qui le combattent. Où trouverait-on un collégien, même intoxiqué par le NPA, pour croire à cette fiction ?

      Pour conclure et répondre indirectement à une intervention d’un camarade à propos de Jaurès et du patriotisme, nous joignons ci-dessous des extraits d’une lettre adressée à quelques camarades dans le cadre des discussions préparant notre texte sur les événements de janvier.

      La phrase de Renan (« L’oubli, et je dirai même l’erreur historique, sont un facteur essentiel de la création de la nation ») date d’une conférence de 1882 et ton énoncé n’est d’ailleurs pas complet. Il convient pourtant de lire toute la phrase puisque Renan ajoute à l’oubli, l’erreur historique (c’est-à-dire finalement la nécessité d’une réécriture qui fasse une « histoire »). Une citation donc très Troisième République et une définition fort éloignée de celle de Sieyès (« la nation c’est l’association ») et autres révolutionnaires de 1789. Une définition qui s’explique par la volonté de fonder en théorie une conception de la nation qui puisse être reconnue par tous, du bourgeois jusqu’à l’ouvrier, du républicain jusqu’au royaliste. Le patriotisme originel, par exemple de « l’armée révolutionnaire » se transformera alors progressivement en religion de la patrie.

      Les propos a-historiques que profèrent les « anti-nation » de principe et particulièrement ceux venus de l’ultra-gauche ou de l’anarchie, méconnaissent et c’est un peu étonnant, le fait qu’au moins jusqu’à la Commune de Paris, nation et patrie étaient des notions révolutionnaires puis internationalistes jusque dans la Première Internationale et que l’Église, la noblesse, les franges conservatrices de la bourgeoisie ne s’en revendiquaient pas, bien au contraire. On sait que la révolution française a combattu « le parti de l’étranger », mais qu’elle a accueilli comme français tous les volontaires étrangers dans ses légions, ancêtres des brigades internationales de 1936, les staliniens en moins.

      Plutôt que de résumer ici des positions historiques de marxistes sur la nation pour en montrer les limites ou les ambiguïtés (Marx et sa citation tronquée du Manifeste, Bauer et la nation comme communauté de destin que le socialisme ne "dépassera" pas plus d’un claquement de doigt qu’il ne "dépassera" la religion, Strasser, Pannekoek et leur déterminisme mécaniste, etc.) nous renvoyons aux 100 premières pages du n°33-34-35 de la revue Ni patrie ni frontières d’Yves Coleman sur « Les pièges de l’identité nationale ». On doit pouvoir le commander ou le lire directement sur le site de NPNF et "mondialisme.org".

      Temps critiques, le 19 novembre 2015.

  • Ernest Renan : un antisémitisme savant

    Parler d’Ernest Renan c’est évoquer l’une des figures du panthéon intellectuel français, un de ces personnages dont on donne le nom à des établissements scolaires ou à des rues. C’est dire qu’il n’est pas facile de parler de Renan, surtout pour présenter certains des aspects les plus contestables de ses idées. À Renan, dont la production intellectuelle a été très abondante, on doit certains grands textes, comme la célèbre conférence « Qu’est-ce qu’une Nation ? » prononcée à la Sorbonne, le 11 mars 1882, et que l’on cite encore aujourd’hui, entre autres à cause de la célèbre formule qui définit la nation comme« le désir de vivre ensemble ». Malheureusement, on lui doit aussi les textes dont je parlerai ici et qui, anachronisme mis à part, tomberaient sans doute sous le coup des lois réprimant le délit de « provocation à la discrimination, à la haine ou à la violence raciale »...

    1. L’antisémitisme de Renan a un fondement complexe

    Son fondement n’est pas simplement « épidermique » comme l’est celui du racisme vulgaire. Il est bien plus sophistiqué. Ce racisme est, si l’on peut risquer l’expression, un « racisme ethno-linguistique » : c’est l’appartenance à une famille linguistique donnée qui constitue la vraie signature de l’appartenance
    raciale...

    2. L’antisémitisme de Renan est « hiérarchique ».

    Renan n’oppose pas en bloc une « race supérieure », la race aryenne à l’ensemble des autres races humaines globalement considérées comme « inférieures ». Ce racisme, donc, ne se contente pas d’établir entre les peuples une partition disjonctive. La division qu’il postule est hiérarchique, en sorte que l’on peut connaître entre deux races distinctes des proximités, voire des affinités qui les séparent des autres races...

    3. L’antisémitisme de Renan est « systématique »

    Le premier chapitre de Histoire générale des langues sémitiques est intitulé « caractère général des peuples et des langues sémitiques ». Dans ce chapitre, Renan s’efforce de mettre en évidence des traits qui, selon lui, sont partagés par tous les peuples « sémitiques » (à travers le temps et l’espace), donc des traits « inhérents » à ces peuples. Mais, et c’est là que réside l’aspect « scientifique » de l’entreprise, il va s’efforcer de relier tous ces traits les uns avec autres ET avec les propriétés des langues sémitiques. Il s’agit de montrer que tout cela « fait système ». Dans la foulée, et bien que le titre de l’ouvrage ne l’annonçât pas, il va faire de même pour les peuples et les langues indo-européennes (et parfois pour d’autres langues, notamment le chinois). Ce qui rend concevable cette entreprise remarquable c’est la thèse, centrale dans la pensée de Renan, selon laquelle la langue, la psychologie, le système cognitif, les conceptions artistiques, politiques et religieuses, tout cela est en étroite interdépendance...

    4. L’antisémitisme de Renan permet des prédictions.

    L’image extrêmement « typée » et systématique que Renan se fait de ce que sont les Sémites et leurs cultures lui permet de formuler diverses prédictions sur ce que l’on peut identifier, a priori, comme étant un quelconque de leurs avatars.

    5. L’antisémitisme de Renan est « fixiste », c’est-à-dire a-historique

    Le système de Renan repose crucialement sur le fait que les caractéristiques d’une « race » (langues, culture, organisation sociale) sont données une fois pour toutes. Il n’y a pas de processus de constitution progressive des langues, processus qui permettrait de supposer une évolution des idiomes avec le temps pouvant conduire à un changement profond de leur « nature »...

    Djamel Kouloughli

    https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-00295114/document

    #renan
    #antisémitisme
    #islamophobie

    • sans lien direct avec le sujet mais à propos de Renan et du concept de nation :
      http://classiques.uqac.ca/classiques/weil_simone/enracinement/weil_Enracinement.pdf

      Il n’y aura pas de mouvement ouvrier sain s’il ne trouve à sa disposition une doctrine assignant une place à la notion de #patrie, et une place déterminée, c’est-à-dire limitée. D’ailleurs, ce besoin n’est davantage évident pour les milieux ouvriers que parce que le problème de la patrie y a été beaucoup discuté depuis longtemps. Mais c’est un besoin commun à tout le pays. Il est inadmissible que le mot qui aujourd’hui revient presque continuellement accouplé à celui de devoir, n’ait presque jamais fait l’objet d’aucune étude. En général, on ne trouve à citer à son sujet qu’une page médiocre de Renan.
      La #nation est un fait récent. Au Moyen Âge la fidélité allait au seigneur, ou à la cité, ou aux deux, et par delà à des milieux territoriaux qui n’étaient pas très distincts.
      Le sentiment que nous nommons #patriotisme existait bien, à un degré parfois très intense ; c’est l’objet qui n’en était pas territorialement défini. Le sentiment couvrait selon les circonstances des surfaces de terre variables.
      [...]
      L’#État est une chose froide qui ne peut pas être aimée mais il tue et abolit tout ce qui pourrait l’être ; ainsi on est forcé de l’aimer, parce qu’il n’y a que lui. Tel est le supplice moral de nos contemporains.
      C’est peut-être la vraie cause de ce phénomène du chef qui a surgi partout et surprend tant de gens. Actuellement, dans tous les pays, dans toutes les causes, il y a un homme vers qui vont les fidélités à titre personnel. La nécessité d’embrasser le froid métallique de l’État a rendu les gens, par contraste, affamés d’aimer quelque chose qui soit fait de chair et de sang. Ce phénomène n’est pas près de prendre fin, et, si désastreuses qu’en aient été jusqu’ici les conséquences, il peut nous réserver encore des surprises très pénibles ; car l’art, bien connu à Hollywood, de fabriquer des vedettes avec n’importe quel matériel humain permet à n’importe qui de s’offrir à l’adoration des masses.
      Sauf erreur, la notion d’État comme objet de fidélité est apparue, pour la première fois en France et en Europe, avec Richelieu. Avant lui on pouvait parler, sur un ton d’attachement religieux, du bien public, du pays, du roi, du seigneur. Lui, le premier, adopta le principe que quiconque exerce une fonction publique doit sa fidélité tout entière, dans l’exercice de cette fonction, non pas au public, non pas au roi, mais à l’État et à rien d’autre. Il serait difficile de définir l’État d’une manière rigoureuse. Mais il n’est malheureusement pas possible de douter que ce mot ne désigne une réalité.
      [...]
      Si l’État a tué moralement tout ce qui était, territorialement parlant, plus petit que lui, il a aussi transformé les #frontières territoriales en murs de prison pour enfermer les pensées. Dès qu’on regarde l’histoire d’un peu près, et hors des manuels, on est stupéfait de voir combien certaines époques presque dépourvues de moyens matériels de communication dépassaient la nôtre pour la richesse, la variété, la fécondité,
      l’intensité de vie dans les échanges de pensées à travers les plus vastes territoires.
      C’est le cas du Moyen Âge, de l’Antiquité pré-romaine, de la période immédiatement antérieure aux temps historiques. De nos jours, avec la T. S. F., l’aviation, le développement des transports de toute espèce, l’imprimerie, la presse, le phénomène moderne de la nation enferme en petits compartiments séparés même une chose aussi naturellement universelle que la science. Les frontières, bien entendu, ne sont pas infranchissables ; mais de même que pour voyager il faut en passer par une infinité de formalités ennuyeuses et pénibles, de même tout contact avec une pensée étrangère, dans n’importe quel domaine, demande un effort mental pour passer la frontière. C’est un effort considérable, et beaucoup de gens ne consentent pas à le fournir. Même chez ceux qui le fournissent, le fait qu’un effort est indispensable empêche que des liens organiques puissent être noués par-dessus les frontières.

    • voir également
      http://seenthis.net/messages/313819 http://bougnoulosophe.blogspot.fr/2009/05/derriere-la-nation-francaise-il-y.html
      http://anarsonore.free.fr/spip.php?breve176

      Dans « Qu’est-ce qu’une nation  ? » , conférence prononcée en 1882, il ne se gène pas pour écrire : « L’oubli, et je dirai même l’erreur historique, sont un facteur essentiel de la création d’une nation, et c’est ainsi que le progrès des études historiques est souvent pour la nationalité un danger » . On ne saurait être plus clair...

      http://seenthis.net/messages/53202

    • « La colonisation en grand est une nécessité politique tout à fait de premier ordre. Une nation qui ne colonise pas est irrévocablement vouée au socialisme, à la guerre du riche et du pauvre. La conquête d’un pays de race inférieure par une race supérieure, qui s’y établit pour le gouverner, n’a rien de choquant. L’Angleterre pratique ce genre de colonisation dans l’Inde, au grand avantage de l’Inde, de l’humanité en général, et à son propre avantage » (Ernest Renan, 1872, La Réforme intellectuelle et morale, Paris, Michel Lévy frères, pp. 92-93).

  • Mise en perspective de quelques lieux communs sur le concept de nation.

    Intéressante interview de Joxe Azurmendi dans Berria
    http://www.berria.eus/albisteak/103855/nazio_kontzeptuei_buruzko_egia_ezarrien_aurka.htm

    Résumé partiel de l’article : dans son dernier essai ("Histoire, race, nation. Quelques lieux communs sur Renan et le nationalisme", 626 pages) Joxe Azurmendi déconstruit la distinction et l’opposition communément admises entre le concept français et le concept allemand de nation.
    Selon une opinion répandue, le concept français de nation est libéral, démocratique, subjectif, et basé sur la volonté commune des citoyens, tandis que le concept allemand serait fondé sur la langue, la tradition, la culture et en définitive toujours la race.
    En Espagne les partis d’alternance PP et PSOE déclarent représenter un #nationalisme à la française, selon cette définition.
    Cette dichotomie entre les deux versions (française et allemande) provient de la guerre de 1870, à l’heure où la « nationalité » de l’Alsace et de la Lorraine faisait débat. A ce sujet Azurmendi a étudié les essais produits à cette époque, notament ceux d’Ernest Renan.

    Le nationalisme (français), qui selon ce schéma était civique, laïque et démocratique, a produit pendant longtemps #oppression, #colonialisme et #impérialisme.
    Il cite Tzvetan Todorov qui rappelait que les nations civiques sont celles qui commettent la plupart des crimes, qui font la #guerre, et qu’aucune nation ethnique n’a fait de massacre de l’ampleur de ceux perpétrés par les nations civiques. Ce que veut une nation ethnique c’est sa #souveraineté, développer sa culture etc. En revanche une nation civique veut établir des frontières, défendre son #économie et attaquer ses voisins. De ce fait le grand risque et les grands désastres proviennent essentiellement des nations civiques et non des nations ethniques ; d’une part car les nations ethniques ne peuvent développer d’empire colonial ; d’autre part car les nations ethniques n’ont pas ces intentions (analyse de Todorov).

    On demande souvent au nationalisme basque, qui suit plutôt le modèle allemand, de démontrer qu’il n’est pas raciste. En revanche jamais on ne demande au nationalisme espagnol de démontrer la même chose, bien que Jose Ortega y Gasset [théoricien de la modernisation de la nation espagnole, qui a influencé notamment Primo de Rivera] fut un raciste notoire.

    –--------------
    à propos de Renan, de nation française, d’empire colonial et de #racisme, voir chez @le_bougnoulosophe http://bougnoulosophe.blogspot.fr/2009/05/derriere-la-nation-francaise-il-y.html

    et à propos des nationalismes français et allemand http://seenthis.net/messages/312178

    #laïcité #libéralisme

    • « Le préjugé ethnique pour conviction » http://www.enbata.info/articles/le-prejuge-ethnique-pour-conviction

      Nous sommes alors en présence d’une conception de la nation, partiellement déterminée par un critère culturel, la langue, et non strictement par une adhésion à des valeurs politiques. Cette conception de l’État-nation demeure aujourd’hui la conception dominante et consensuelle en France. C’est en référence à cette conception de la nation que l’opposition à la départementalisation du Pays basque (5) considère que la reconnaissance de la langue basque (euskara) impliquerait également celle d’un territoire, le Pays Basque, ainsi que celle d’un groupe (les Basques). Au final, ce type de reconnaissance introduirait une relation conflictuelle entre deux interprétations de la nation. C’est pourquoi, dans ses réponses aux revendications linguistiques régionalistes, le Conseil constitutionnel fait régulièrement référence à l’article 2 de la loi fondamentale, selon lequel « la langue de la République est le français ».

      Aussi, le Conseil ne conçoit pas que les citoyens français puissent avoir le droit, dans la vie publique, de pratiquer une autre langue que le français. Ce raisonnement tend à laisser penser que le Conseil définit la nation non pas par le strict partage de valeurs politiques mais également par le partage d’une réalité linguistique, l’usage collectif du français. Dans ce cadre, la conception républicaine de la nation française est culturalisée. La profondeur historique de cette conception de l’État-nation et sa vigueur maintenue expliquent la paralysie du pouvoir politique en la matière. La difficulté majeure à laquelle se heurte le processus de reconnaissance des langues régionales provient de la conception même de la nation sur laquelle la Constitution se fonde. À partir du moment où l’on conçoit la communauté nationale selon une logique culturelle – du moins partiellement –, on est conduit à ne concevoir l’existence collective de groupes au sein de cette nation qu’à partir d’une logique communautariste. En France, la référence que l’on fait volontiers à l’idée de nation comme produit politique, fondé sur des normes et des valeurs qui définissent la citoyenneté, est intimement mêlée à un imaginaire collectif qui rassemble les images d’une histoire largement mythique. Le rôle accordé à la langue nationale est originaire et reste central dans cette construction. Ainsi, du point de vue factuel, l’opposition entre la conception ethniciste de la nation – qui serait revendiquée par le nationalisme basque et dont le départementalisme basque serait l’héritier –, et celle dont l’État français aurait le secret, exclusivement issue d’une adhésion librement consentie à un ensemble de valeurs politiques, ne tient pas.