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  • « Les mouvements dits féministes ne font objectivement que maintenir les femmes dans la dépendance, s’ils ne cherchent pas à s’attaquer aux causes mêmes de cette situation, au régime capitaliste »

    https://mensuel.lutte-ouvriere.org/documents/archives/la-revue-lutte-de-classe/serie-1960-1963/article/avec-les-femmes | #archiveLO (Lutte de classe n°9 - 6 mars 1961)

    #capitalisme #féminisme #droits_des_femmes #lutte_de_classe #marxisme

    • Commentaire déplacé.

      Depuis toujours, pour des marxistes, la seule perspective permettant de combattre l’oppression des femmes, c’est de combattre l’exploitation capitaliste et l’ordre social bourgeois qui maintient cette oppression, et c’est donc de militer pour l’unité de la classe ouvrière, pour que les travailleuses et travailleurs soient conscients de leur identité de classe, au-delà des différences de sexe, de nationalité ou de religion. Louise Michel écrivait déjà : « Le sexe fort est tout aussi esclave que le sexe faible, et il ne peut donner ce qu’il n’a pas lui-même ; toutes les inégalités tomberont du même coup quand hommes et femmes donneront pour la lutte décisive. »

      Dire que le combat féministe ne peut aboutir que par la transformation de toute la société n’est ni minimiser l’importance de ce combat, ni faire preuve de masculinisme (ni de condescendance, ni de stupidité), c’est rappeler une des idées de bases du mouvement ouvrier révolutionnaire – l’idée selon laquelle, dans le fond, une société fondée sur l’exploitation ne pourra jamais être en même temps fraternelle et égalitaire.

      C’est le refus de raisonner en termes de classes sociales qui conduit à des aberrations, comme la thèse d’un privilège masculin ou d’un patriarcat indépendant des classes sociales, et qui amène à dénoncer stupidement les hommes dans leur ensemble, et non les responsables et bénéficiaires de l’exploitation.

    • Mais je ne refuse pas de raisonner en termes de classes sociales, c’est toi et ton mouvement qui refuse de raisonner en terme de sexisme. Pour moi les deux combats sont à mené ensemble, pas l’un au détriment de l’autre, comme le demande ton texte méprisant pour les femmes et les féministes.

    • + 💯 pour @mad_meg
      On comprend très bien les biais de classe quand des «  féministes  » construisent leur «  émancipation  » sur le dos de leur nounou exploitée.
      Et on comprend très très bien le sexisme des orgas de «  gauche  » qui nous voit bien les «  aider  » et les «  soutenir  », mais qui refusent de voir le sexisme et le harcèlement dans leurs rangs «  pour ne pas nuire à la cause  ».

      Bref, ras le cul d’être la «  caution nichons  » des orgas anti-capitalistes qui nous considèrent au mieux comme des «  repos du camarade  » au pire comme «  des chieuses ou des égoïstes  », quand on refuse «  d’attendre notre tour  » dans les combats en cours.

      Les testiculés ne se rendent pas compte qu’ils sont pour les femmes de gauche comme les patrons pour les ouvriers  : des foutus silencieurs et exploitateurs qui n’iraient pas bien loin dans leurs combats sans nous pour tenir les orgas et rater les réunions pour garder les lardons  !

    • J’ai assisté, au siècle dernier (désolé, encore un témoignage de papy cabou), à un débat entre une camarade féministe et deux militant·es « marxiste-léniniste » (de tendance maoïste) dont les arguments de l’une et des autres ressemblent beaucoup aux termes des échanges présentés ci-dessus.

      L’argument fatal, lancé par l’un des militant·es « marxiste-léniniste » était que le propos énoncé par la féministe « n’était pas marxiste », ce à quoi, il lui a été répondu spontanément un splendide « je m’en fous ! »

    • 1. LO est ici visé sans raison en lui associant des propos débiles de « testiculés qui ne se rendent pas compte » et des comportements sexistes d’ « orgas anti-capitalistes qui considèrent [les femmes] au mieux comme des "repos du camarade " au pire comme "des chieuses ou des égoïstes " ».

      Je comprends qu’on puisse ignorer que le sexisme, par principe, n’a pas sa place à LO, je pardonne moins qu’on puisse affirmer le contraire sans savoir, qui plus est à l’aide d’amalgames de bas étage.

      Ne saviez-vous pas qu’on ne peut se dire communiste sans combattre le sexisme au quotidien ?

      Que cela fait partie des responsabilités naturelles de tout militant ouvrier communiste révolutionnaire que de ne laisser s’épanouir, sur son lieu de travail (et, à plus forte raison chez lui), aucun comportement sexiste (ni aucun comportement homophobe ou raciste) ?

      Faut-il sérieusement rappeler cette évidence ?

      2. LO refuse en effet de raisonner seulement "en terme de sexisme", LO affirme seulement que la façon la plus conséquente de combattre l’oppression des femmes et le sexisme est de lutter contre le capitalisme et de mettre fin à l’exploitation.

      Car c’est seulement lorsque l’humanité se retrouvera en situation de récupérer le fruit de son travail, de remettre la main sur ce qui lui appartient et, partant, de partir des besoins de tous pour décider démocratiquement ce que l’on produit, comment on le produit, comment on le transporte, comment on le recycle, qu’elle sera enfin en capacité de répondre à toutes les oppressions qui pourrissent son existence.

      3. Critiquer l’impasse du mouvement féministe qui ne prend pas en compte le combat contre le système capitaliste n’est pas faire preuve de mépris. Ou alors la critique est synonyme de mépris, et nous devrions simplement nous taire et cesser de militer.

      Cette façon de maudire son interlocuteur qui ne partage pas ses vues et de le taxer gratuitement de mépris n’est pas digne.

      Les militants révolutionnaires que nous sommes ne disent pas leur « mépris » en critiquant les luttes contre les oppressions, ils pointent leurs limites (c’est notre responsabilité) quand elles restent fondamentalement étrangères à la lutte de classe et à la nécessité de la révolution sociale.

      Le but de LO, c’est la conquête du pouvoir politique par le prolétariat. C’est dans cette seule perspective que LO considère les luttes contre les oppressions. Si elles ne sont pas orientées dans ce but, elles ne seront jamais un moyen de les « combattre ».

      4. Nous ne disons pas en effet que « les deux combats sont à mener ensemble », nous disons que le sexisme fait partie de notre combat.

      Parce que les luttes ouvrières sont la condition de tout combat conséquent contre le sexisme.

      Parce qu’il n’y a strictement aucun combat contre les oppressions qui, pour faire valoir sa cause et se garantir les conditions de la victoire, ne pourra faire l’économie de rejoindre, corps et âme, le combat essentiel, le seul à même de renverser la classe capitaliste et de liquider son système, le combat de la classe ouvrière.

      C’est la raison pour laquelle qu’à tous ceux qui nous disent leur révolte contre le sexisme, nous n’avons qu’une seule réponse : tout dépend de la lutte des travailleurs contre la société capitaliste.

    • tout dépend de la lutte des travailleurs contre la société capitaliste.

      Oui, et non.

      Oui, ok, le capitalisme disparu, ce sera le paradis sur terre, on est tout·e·s d’accord.

      Non, il est hors de question de dénigrer ou minimiser les efforts de ceux qui luttent contre toutes formes de violences dès maintenant, au prétexte qu’il y aurait une lutte supérieure.

      Non, dans son essence, le féminisme ne maintient pas les femmes dans la dépendance. Le féminisme n’est pas une roue de secours du capitalisme ou du patriarcat. C’est crétin d’exprimer une telle idée.

    • Critiquer l’impasse du mouvement féministe qui ne prend pas en compte le combat contre le système capitaliste n’est pas faire preuve de mépris

      Croire qu’il y a UN mouvement féministe montre ton ignorance profonde de ces luttes, il y a des centaines de courants et si je suis d’accord pour critiqué le féminisme libéral c’est pas ce que tu fait ni LO. Tu lance des affirmations creuses, non la fin du capitalisme ne sera pas forcement favorable aux femmes et personne ne demande aux LO de ne pensé QU’en termes de sexisme, c’est vous à LO qui exigez des femmes qu’elles abandonnent certaines causes à votre profit. Il y a des féministes maxistes, et votre texte les traite comme si elles n’existaient simplement pas.

      De toute façon c’est certain qu’aucune féministe ne sera convainque par ta messe exhalée de phallocrate et en ce qui me concerne, notre échange me fait voire LO d’un très mauvais œil désormais.

    • Je suis féministe, @biggrizzly, je considère que le combat féministe appartient intégralement au combat qui est le mien. Je ne considère donc pas que « le féminisme maintient les femmes dans la dépendance ».

      Je considère en revanche, et c’est la phrase du texte de 1961 proposé ci-dessus, que « tous les mouvements dits féministes ne font objectivement que maintenir les femmes dans la dépendance s’ils ne cherchent pas à s’attaquer aux causes mêmes de cette situation, au régime capitaliste ».

      Partant, nous ne « dénigrons ni ne minimisons les efforts de ceux qui luttent contre toutes formes de violences dès maintenant au prétexte qu’il y aurait une lutte supérieure », nous les critiquons, nous en dénonçons les limites.

      Non au nom d’une « lutte supérieure », mais au nom de la seule lutte (féministe, aussi par définition) qui est susceptible d’assurer les conditions de la disparition de l’oppression des femmes.

      Il n’y a nulle trace dans l’héritage du marxisme de programme visant à enfermer les victimes d’oppressions (racistes, sexistes, homophobes, etc.) dans leur prétendue spécificité. Il y a au contraire la conviction que le problème fondamental de la société, qui conditionne tous les autres, c’est la nécessité d’arracher le pouvoir à la bourgeoisie.

      « Le paradis sur terre », ce n’est pas notre vision des choses. Il ne s’agit pas de fantasmer : la liquidation du capitalisme ne signifie évidemment pas que les oppressions disparaitront par magie du jour au lendemain. Cela signifie que l’humanité sera enfin en capacité d’y répondre.

    • Je ne considère pas, @mad_meg, qu’il n’y aurait qu’UN mouvement féministe (ce serait en effet consternant de bêtise), le texte de 1961 propose seulement de montrer les limites, à nos yeux, de tout mouvement féministe qui ne pose pas le problème de l’expropriation de la classe capitaliste par la classe ouvrière.

      Il n’est pas très sérieux non plus d’écrire que « LO exige des femmes qu’elles abandonnent certaines causes à [son] profit ». Les militantes qui, après des débuts militants dans des organisations spécifiquement féministes, ont rejoint LO, elles l’ont fait en conscience et nullement sous la contrainte. Avec la conscience que c’est la révolution prolétarienne qui peut seule assurer la victoire des droits des femmes.

      « La fin du capitalisme ne sera pas forcement favorable aux femmes », c’est vrai si le mouvement ouvrier n’en est la cause, et si la chute du capitalisme n’est dû qu’à son seul pourrissement. Je milite précisément pour que dans sa chute, il n’entraine pas l’humanité avec lui...

      Je vois que, par ailleurs, sans me connaitre (ni connaitre du reste les valeurs du mouvement ouvrier révolutionnaire), tu n’hésites pas à m’insulter ("phallocrate"). J’espérais plutôt que tu comprennes un peu mieux mes idées et la logique qui les anime – et qui sont à l’opposé exact des préjugés et des contresens que tu continues de défendre.

      Deux choses : j’espère que tu nous rencontreras ou que tu viendras à la fête de LO un jour... pour, décidément, mieux nous connaitre.

      En attendant, cet extrait d’un bouquin (1996) d’Arlette Laguiller (et, plus précisément, d’un chapitre consacré « aux droits des femmes ») :

      Je ne crois pas que les féministes proprement dites, celles pour qui le seul, ou du moins le principal problème, est celui des inégalités entre les sexes, se soient beaucoup reconnues dans mes interventions, parce que c’est en communiste que je défendais les droits des femmes.

      Je ne m’en cachais pas. Et j’ajoutais, dans la même intervention : « Pour les socialistes révolutionnaires, l’égalité de l’homme et de la femme n’est pas un droit, c’est un fait. Si la femme occupe aujourd’hui une situation inférieure à celle de l’homme, ce n’est pas dù à son manque de capacité qui n’existe que dans la tête des réactionnaires, c’est parce que nous vivons dans une société d’exploitation, qui repose sur l’injustice et l’inégalité. [...] c’est précisément parce que j’appartiens à un mouvement révolutionnaire que je suis là ce soir et que je peux parler pour toutes les femmes. »

      Je suis fière en effet d’appartenir à un courant qui a engagé la lutte contre l’oppression des femmes au milieu du XIXe siècle, il y a cent cinquante ans, à une époque où la quasi-totalité des intellectuels bourgeois considérait que le rôle « naturellement » dévolu à la femme était celui d’épouse soumise à son mari, et celui de mère. Je suis fière d’appartenir à un mouvement qui, alors que la plupart des grandes écoles, des professions intellectuelles, étaient encore fermées aux femmes, et certaines pour longtemps, a compté dans ses rangs des dirigeantes aussi prestigieuses que Rosa Luxemburg ou Clara Zetkin.

      Je me réclame de ceux qui, dans la Russie arriérée de 1917-18, élaborèrent un code de la famille établissant l’égalité absolue entre le mari et la femme, firent du divorce une affaire simple et d’ordre privé en cas de consentement mutuel, et entreprirent de révolutionner les institutions familiales, y compris dans les régions les plus reculées de l’ex-Empire tsariste, en engageant le combat contre toutes les atteintes aux droits et à la dignité des femmes, comme le port du voile, le mariage des petites filles et la polygamie, dans les régions musulmanes.

      Le pouvoir soviétique naissant jeta effectivement les bases, en pleine guerre civile, d’une législation bien plus démocratique que celle qui régissait alors les pays bourgeois les plus avancés.

      Il existe aujourd’hui, dans les partis de droite, un certain nombre de femmes (pas très important, il est vrai) qui jouent un rôle politique. Ces femmes-là se félicitent volontiers des progrès de la condition féminine, mais elles affichent en même temps des convictions conservatrices, hostiles aux idées socialistes. Elles devraient bien se demander, pourtant, quels hommes incarnaient en leur temps les idées de l’avenir et vraiment démocratiques : ces parlementaires, tenants comme elles du « libéralisme économique et politique », qui, jusqu’en 1945, en France, refusèrent obstinément le droit de vote aux femmes ? Ou bien les militants révolutionnaires qui considéraient la lutte pour l’égalité des droits entre les hommes et les femmes comme l’un des aspects de leur combat ?

      Que les femmes politiques de la bourgeoisie se réfèrent, si elles préfèrent cela, à ce sénateur qui déclarait hypocritement que « plus que pour manier le bulletin de vote, les mains des femmes sont faites pour être baisées ». Je préfère, pour ma part, me réclamer de l’ouvrier tourneur August Bebel (l’un des dirigeants du Parti socialiste allemand), qui publia en 1883 un livre intitulé La Femme, dans le passé, le présent et l’avenir, qui devint en ce domaine l’ouvrage de référence du mouvement ouvrier international.

      Bebel y écrivait : « Quelle place doit prendre la femme dans notre organisme social afin de devenir dans la société humaine un membre complet, ayant les droits de tous, ayant la faculté de développer pleinement et dans toutes les directions ses forces et ses aptitudes ? C’est là une question qui se confond avec celle de savoir quelle forme, quelle organisation essentielle devra recevoir la société humaine pour substituer à l’oppression, à l’exploitation, au besoin et à la misère sous leurs milliers de formes, une humanité libre...

    • « Tous les mouvements dits féministes ne font objectivement que maintenir les femmes dans la dépendance S ’ils ne cherchent pas à s’attaquer aux causes mêmes de cette situation, au régime capitaliste ». Cela signifie que le combat féministe ne peut aboutir que par la transformation de toute la société.

      Je trouve, @biggrizzly, qu’elle dit très justement ce que je pense.

      Avec cette conséquence (exprimée dans un texte plus récent) :

      Si des jeunes entrent en révolte contre cette société parce qu’elles et ils constatent qu’elle n’est pas capable de faire avancer les droits des femmes ni de faire reculer le racisme, c’est évidemment une bonne chose ; mais la seule perspective leur permettant de mener réellement ces combats, c’est de se tourner vers les idées communistes et vers la classe ouvrière, la seule qui peut jeter les bases d’une société réellement égalitaire en mettant fin à l’exploitation capitaliste.

    • @recriweb
      À aucun moment, je ne parle de LO.
      Je parle des comportements habituels et sempiternellement observés dans les orgas de gauche.

      En vrai, je pensais aussi à LFI qui a le féminisme en porte-étendard et qui s’est comporté comme tout le monde dans l’affaire Quatennens.

      Et ça fait bien chier  : silencier les femmes victimes de #VSS, ça dessert la cause.

      J’en suis au point où je me demande s’il ne va pas falloir lancer un parti non mixte.

    • Au temps pour moi, @monolecte...

      Quant à la pertinence d’un parti non-mixte (ou, à tout le moins, d’une organisation séparée des femmes), c’est un vieux débat que LO a eu et re-eu avec la LCR en son temps – qui était en faveur d’un mouvement autonome des femmes.

      Rouge pouvait donc écrire en 1974 :

      « Il n’est pas question de mettre dans un mouvement qui lutte contre l’oppression des femmes les oppresseurs. Or, les hommes sont objectivement des oppresseurs. »

      Ce à quoi LO répondait alors :

      Ce sont des propos de féministes et non des propos de militantes révolutionnaires. Les militantes de Rouge qui militent dans les groupes de femmes ont beau affirmer qu’« il est absurde de séparer lutte pour la libération des femmes et révolution socialiste » en affirmant la nécessité absolue d’un mouvement autonome des femmes, elles ne font soit qu’affirmer leur méfiance vis-à-vis du parti révolutionnaire, voire leur condamnation de celui-ci incapable, selon elles, parce que composé d’oppresseurs, de libérer la femme par la révolution socialiste, soit que séparer de fait la lutte pour la révolution socialiste réservée au parti, et la lutte pour la libération des femmes réservée aux femmes. En séparant la lutte pour la libération de la femme de la lutte pour la révolution socialiste, elles rejoignent bel et bien le féminisme bourgeois.

      C’était aussi un débat qui agitait les militants des partis communistes de l’IC avant le stalinisme. Ainsi 3e congrès se déclarait-il « énergiquement contre toute espèce d’organisation séparée des femmes au sein du parti, des syndicats, ou autres organisations ouvrières ». En revanche, il somme tous les partis communistes de se donner les moyens de mener un travail militant parmi les femmes, en préconisant la création de « commissions pour le travail parmi les femmes ». Cette décision, le 3e Congrès l’a rendue obligatoire pour tous les PC adhérant à l’IC.

    • La non-mixité, de mon point de vue fait partie des conditions – légitimes – de l’expression féministe.

      Ce point a d’ailleurs souvent représenté un sujet de clivage des plus virulents quand, dans le passé, Monsieur le militant révolutionnaire (quelle que soit son idéologie : socialiste, communiste, anarchiste, etc.) tenait en journée tout un tas de discours à propos de l’émancipation de la classe ouvrière et, qu’une fois rentré à la maison, il mettait les pieds sous la table en demandant à bobonne de lui servir son pot-au-feu et de mettre les gosses au lit. Dans ces conditions, il est tout à fait normal que les femmes se retrouvent entre elles pour reconstruire des espaces de liberté en rupture avec leur milieu, professionnel, familial et militant (qui se recoupent souvent).

      Considérant donc que l’affirmation politique féministe ne peut être construite, en toute autonomie que par les femmes-elles mêmes je me suis jamais considéré comme féministe, car homme, mais comme sympathisant de la cause féministe, aux côtés des femmes, solidaire et motivé pour participer activement à la mise en pièces immédiate et sans condition du patriarcat.

      Je suis convaincu que l’humanité, quelle qu’en soit le sexe et le genre des personnes qui la compose, a tout intérêt construire des relations égalitaires et non-oppressives le plus tôt possible.

    • D’abord, pourquoi ce ton, @cabou ("Monsieur le militant révolutionnaire") ? Au-delà de nos divergences, y avait-il quelque chose de méprisable dans ma façon de répondre et de m’expliquer ?

      Je suis convaincu comme toi que "l’humanité, quelle qu’en soit le sexe et le genre des personnes qui la compose, a tout intérêt à construire des relations égalitaires et non-oppressives le plus tôt possible." Du reste, c’est ce que j’ai expliqué plus haut en rappelant que c’est de la responsabilité de tout militant communiste révolutionnaire de défendre ses valeurs féministes, au quotidien, autant sur son lieu de travail que chez les siens.

      Est-ce à dire que tous les militants de LO sont "déconstruits" (comme on dirait désormais) et qu’ont disparu dans nos rangs tous les réflexes patriarcaux ? Malgré nos efforts constants, nous restons en partie conditionnés par la société dans laquelle nous sommes. Toutefois nous sommes convaincus que les militants révolutionnaires que nous sommes portent en eux ce qui est le meilleur possible en ce monde pourrissant. Et c’est parce que nous sommes convaincus de cela et en faisons la preuve tous les jours que nous pourrons convaincre les travailleurs de nous faire confiance, et aux femmes de notre classe de ne pas se laisser enfermer dans une « spécificité » qui obère une prise de conscience plus large.

      Je me souviens, pour l’anecdote, que lors de mes premiers pas à LO, en 1987, j’avais été impressionné par la rigueur des camarades sur cette question. Et, depuis, comme tous, je ne tolère en notre sein aucun écart. Je ne dis pas cela pour dire que nous serions malgré tout parfaits, je dis cela pour dire à quel point être féministe et donc refuser tout acte sexiste est, pour nous, une réalité de tous les jours... Une rigueur qui, tu le sais sasn doute, nous vaut d’être parfois moqués.

      Je ne pense pas comme toi que "l’affirmation politique féministe ne peut être construite, en toute autonomie, que par les femmes-elles mêmes". Je pense, au contraire, que contre le reflux important des idées progressistes, contre tous les courants politiques réactionnaires, contre tous les comportements sexistes, homophobes, racistes, il est vital que renaissent le mouvement ouvrier, ses combats, ses valeurs. Car ce sont les interventions massives, politiques et sociales, de la classe ouvrière, ses luttes, qui, comme par le passé, pourront faire progresser la société. Et en attendant, je pense (nous pensons) qu’il faut toute la conscience de classe d’un parti révolutionnaire socialiste pour surmonter au quotidien le poison du sexisme que les patrons entretiennent sans cesse au sein de la classe ouvrière afin d’amoindrir ses forces.

      Se réunir (entre victimes) pour parler d’agressions, faire part de son expérience pour s’aider soi-même à se reconstruire et à mieux se protéger mentalement, c’est une chose : c’est le sens d’un approche psychologique qui peut se justifier et que l’on retrouve dans d’autres contextes. Point n’est besoin de discuter de cette approche dont l’utilité, très pragmatique, est parfaitement concevable.

      Il en est une autre que de se réunir entre femmes pour discuter féminisme, entre homosexuels pour discuter homophobie, entre noirs ici ou maghrébins là pour discuter racisme (etc.). Le mouvement ouvrier n’a jamais cessé de se battre en montrant (au contraire) que sexisme, machisme, harcèlement, homophobie, racisme, etc. , mêmes ressentis comme « spécifiques » par leurs victimes, ne devaient pas moins être compris par tous comme le problème de tous, les uns avec les autres, et ce autour d’un seul combat combat commun, car le seul véritablement déterminant : en faveur de la révolution sociale.

      J’ajoute que le mouvement socialiste marxiste s’est construit en intégrant des militantes dans ses rangs et ainsi en ne laissant pas les préjugés sexistes diviser ses forces. Et c’est sans doute plus nécessaire que jamais aujourd’hui.

      Enfin, je ne me considère donc pas seulement « sympathisant de la cause féministe »… j’ai fait mienne cette cause. Je me considère donc comme féministe et je le revendique, au nom de tou(te)s les intellectuel(le)s qui ont défendu la cause des femmes au sein du mouvement ouvrier révolutionnaire.

    • Cette expression « Monsieur le militant révolutionnaire » ne s’adressait pas à toi, en particulier, @recriweb et je suis sincèrement désolé que tu l’ai prise personnellement. Elle ne visait pas non plus ton organisation politique. Nous ne nous connaissons pas dans le monde analogique et je ne me permettrais pas de porter ce type de propos sur une personne lors d’un échange sur le web.

      Cette expression, ainsi que le reste de la formule, je l’ai reprise, presque textuellement de critiques formulées par des militantes d’organisations d’extrême gauche et libertaires qui expliquaient les conditions dans lesquelles s’est constitué la revendication d’une expression politique féministe - non mixte - en rupture avec leurs orgas, dans les années 70.

      Pour le reste : comme parfois, mais pas toujours, nous constatons effectivement nos désaccords. Je ne considère pas qu’il s’agisse pour autant de divergences qui rendrait le débat impossible.

    • si nous faisions disparaître le capitalisme, non, ce ne serait pas le paradis sur terre, en tout cas pas l’harmonie générale. l’humanisation aurait encore partie liée à des formes de violence. on me dira que c’est réac de le prétendre (un pessimisme sur la « nature humaine »), or il suffit de penser à la souffrance psychique un tant soit peu sérieusement pour savoir que celle-ci n’est pas intégralement soluble dans la destruction de cette société et des rapports qui la constituent. et il en est pour une part de même des désirs et des actes de domination (dont le viol et le meurtre).

      (et puisque LO n’est bien sûr visé nulle part, je m’en charge : comme dans d’autres orgas à prétention révolutionnaire, dont l’existence à ceci de commun avec le vulgaire de se situer elle aussi sous la mauvaise étoile du machisme, un viol au moins a pu y être silencié, y compris au prix de cérémonies publiques visant à assurer la dénégation la plus ferme).

    • Je suis convaincu comme toi que « l’humanité, quelle qu’en soit le sexe et le genre des personnes qui la compose, a tout intérêt à construire des relations égalitaires et non-oppressives le plus tôt possible. » Du reste, c’est ce que j’ai expliqué plus haut en rappelant que c’est de la responsabilité de tout militant communiste révolutionnaire de défendre ses valeurs féministes, au quotidien, autant sur son lieu de travail que chez les siens.

      C’est des belles paroles de dominant , c’est vide et idiot. Exactement comme si tu te demandait pourquoi les patrons sont pas gentils avec les salariés et comment ca se fait qu’ils sont pas plus communistes au medef alors que tout le monde à un benefice à retiré de l’amour de son prochain et du partage égalitaire.

      Je suis convaincu comme toi que « l’humanité, quelle qu’en soit la classe des personnes qui la compose, a tout intérêt à construire des relations égalitaires et non-oppressives le plus tôt possible. » Du reste, c’est ce que j’ai expliqué plus haut en rappelant que c’est de la responsabilité de tout patron de défendre ses valeurs égalitaristes, au quotidien, autant sur son lieu de travail que chez les siens.

      Je suis convaincu comme toi que « l’humanité, quelle qu’en soit la race des personnes qui la compose, a tout intérêt à construire des relations égalitaires et non-oppressives le plus tôt possible. » Du reste, c’est ce que j’ai expliqué plus haut en rappelant que c’est de la responsabilité de tout blanc de défendre ses valeurs antiraciste, au quotidien, autant sur son lieu de travail que chez les siens.

      Mais ca sert à rien de discuté avec les oppresseurs, c’est comme de vouloir faire entendre raison à Roux de Bézieux, de toute façon les hommes ont beaucoup à perdre dans l’égalité contrairement à ce qu’ils affirment hypocritement.

    • « des belles paroles de dominant , c’est vide et idiot. ». Ceci pour réaction à l’évocation des valeurs des militants ouvriers révolutionnaires. Cela prouve simplement @mad_meg que vous ignorez tout de l’histoire du mouvement ouvrier et des grèves, des débrayages, des actions qui, en entreprises, ont pour origines des actes sexistes ou des actes de harcèlement. Vous ajoutez, dans une naïveté sidérante : « ca sert à rien de discuter avec les oppresseurs », comme s’il s’agissait de « discuter » et non, pour les travailleurs », de défendre seulement leurs collègues en neutralisant les salopards qui agissent en générale dans l’impunité, et, ce faisant, de faire front commun au nom de leur classe.

      Quant à parler des « hommes » en général, en en faisant une catégorie congénitalement machiste et donc opposée par définition aux droits effectifs des femmes, c’est un contresens réactionnaire qui réduit à néant toute réflexion sur la question. Un contresens qui ne vaut pas davantage que celui qui réduit les femmes à tous les stéréotypes éculés et débiles répandus par les idéologies et cultures patriarcales.

    • Ce ne sera pas le paradis, mais en débarrassant la société des rapports sociaux basés sur l’exploitation, il est concevable d’imaginer que bien des comportements et manières de concevoir autrui se transformeront positivement. Une simple déduction matérialiste.

      L’accusation mensongère que tu portes @colporteur est, quant à elle, non seulement inconcevable mais particulièrement dégueulasse. Mon mail ici recriweb@protonmail.com pour résoudre notre problème.

    • Pourrais-tu me répondre @colporteur stp ? Qu’est-ce qui te permet d’affirmer que LO serait elle aussi « sous la mauvaise étoile du machisme » (alors qu’aucun comportement machiste ou sexiste n’y est toléré) et, partant, de divaguer en imaginant qu’ « un viol au moins a pu y être silencié » (ce qui, précisément, ne peut arriver).

      Tu n’es pourtant pas non sans savoir que les conditions de recrutement de LO sont strictes, que nos valeurs et comportements sont exigés irréprochables…

      En outre, en supposant un fait, comment peux-tu imaginer que nous le dissimulerions en abandonnant, de fait, la victime à son traumatisme, et en laissant un violeur libre de sévir de nouveau ?

      Mais tu n’as peut-etre, dans le fond, aucune idée de ce que nous sommes et de la façon dont nous fonctionnons… mais de là à spéculer gratuitement et à répandre des doutes monstrueux !

    • j’ai dit ce qu’il y avait à dire. dans un cas de viol (au moins) LO a choisi d’innocenter un de ses militants pour se préserver. ce que tu estime "inconcevable" est aussi affligeant que banal. ce qui "ne peut arriver" a eu lieu. et est loin d’être passé inaperçu. regroupé.e.s autour de la femme qui a subi ce viol, des camarades ont durant des mois mené bataille là-dessus. que je sache, elle n’attendait rien de LO si ce n’est que cette organisation (ainsi que la CGT) admette les faits et en tire des conclusions. c’est l’inverse qui a eu lieu avec la tenue d’une soirée publique destinée à « remettre en selle » ce militant.

    • Jamais entendu parler de ça. Ni d’ailleurs la direction de LO, ni internet — totalement muet sur la question.

      Mais j’ai enquêté un peu : il y aurait eu à tourner sur Twitter une sale histoire à propos d’un sympathisant… mais plus aucune trace nulle part.

      Pas plus que de poursuites judiciaires, apparemment.

      Je connais LO de l’intérieur depuis 35 ans, et je maintiens qu’aucun.e militant.e ne tolérerait au sein de l’organisation le moindre comportement toxique — et, à plus forte raison, criminel.

  • Le complexe d’Œdipe : belle découverte ou perverse invention ? - Les mots sont importants (lmsi.net)
    https://lmsi.net/Le-complexe-d-OEdipe-decouverte-ou

    Freud, venu à Paris pour suivre les cours de Charcot, a beaucoup fréquenté aussi la Morgue. Il y a « vu des choses que la Science préfère ignorer » : des autopsies d’enfants massacrés par leurs parents. Dans sa pratique de médecin, il observe puis raconte dans des publications scientifiques que ses patientes névrosées évoquent toutes des violences sexuelles qu’elles ont subies, bien souvent de la part du père ou d’un autre parent proche... S’en suit un tollé dans le monde savant, qui lui fait comprendre qu’on n’incrimine pas impunément l’ordre familialiste et l’honneur des pères ou des oncles. Malgré le soutien de certain proches comme Sandor Ferenczi, la théorie dite de la « séduction » sera finalement abandonnée par le fondateur de la psychanalyse et par ses disciples, au profit de la désormais célèbre théorie de l’Oedipe, tellement plus convenable puisqu’elle renvoie sur l’enfant l’initiative d’un rapport libidinal, voire prédateur, à ses parents. C’est sur cet épisode que revient le texte qui suit, en interrogeant la légende dorée du mouvement psychanalytique, qui interprète ledit épisode comme un pur et simple « progrès » scientifique, coupé de son contexte et de ses implications socio-politiques.

    • Toute théorie complexe à vocation totalisante est susceptible de fonctionner comme un cheval de Troie de l’erreur. Plus la théorie est géniale, plus les erreurs qui s’y lovent, risquent de passer inaperçues et de peser lourdement. Lorsqu’on est ébloui, la vue se brouille. Eblouis par les fortes découvertes de Freud, nous courons le risque d’être inattentifs à repérer ce qui n’est plus découverte, mais invention discutable.

    • Les mots utilisés par Freud : viol, abus, attaque, attentat, agression, traumatisme, #séduction sont sans ambiguïté sauf le dernier. L’adulte séducteur dira pour sa défense que l’enfant était séduisant et qu’on ne sait plus qui séduit qui... C’est donc cet euphémisme assez vague qui, après 1897, deviendra l’appellation officielle de la théorie abandonnée.

    • Cette théorie présentée le 21 avril 1896, dans une communication à la Société de Psychiatrie et de Neurologie de Vienne, est accueillie par un silence glacial et on lui conseille de ne pas la publier. Krafft-Ebing directeur du Département de Psychiatrie à l’Université de Vienne déclare :

      « On dirait un conte de fées scientifique. »

      Freud qualifie ses auditeurs "d’imbéciles incapables de se rendre compte qu’on leur indique la solution d’un problème plusieurs fois millénaire – une source du Nil"

    • En 1932, Ferenczi – proche disciple [8] et ami de Freud – apportera, au Congrès de l’Association Internationale de Psychanalyse une contribution importante où il ose reprendre à son compte la théorie de la séduction à partir de son expérience de praticien :

      « L’objection, à savoir qu’il s’agit des fantasmes de l’enfant lui-même, c’est-à-dire de mensonges hystériques, perd malheureusement de la force par suite du nombre considérable de patients en analyse qui avouent eux-mêmes des voies de fait sur des enfants ».

      Cette contribution sera accueillie par les psychanalystes avec une hostilité comparable à celle que Freud avait connue en 1896. On veut l’empêcher de parler, Freud lui-même insiste pour qu’il ne publie pas [9]et Jones, le premier biographe de Freud, ira jusqu’à le déclarer psychotique.

    • C’est peut-être la mort du sien, le 23 octobre 1896, une mort très durement ressentie [10], qui va conduire Freud à renoncer à une découverte par trop scandaleuse puisqu’elle l’amenait à soupçonner jusqu’à son propre père. Dans la nuit qui précède son enterrement, il fait un rêve dans lequel il lit sur une pancarte :

      « On est prié de fermer les yeux ».

    • Le 21 septembre 1897, Freud écrit à Fliess une lettre décisive qui détaille les arguments le conduisant à renoncer à sa neurotica. Le plus spectaculaire porte sur l’impossibilité qu’il y ait autant de pères pervers.

      Il évoque « la surprise de constater que dans chacun des cas, il fallait accuser le père (y compris le mien) de perversion » [12]

      Dans l’article Séduction du volumineux Dictionnaire de la psychanalyse d’Elisabeth Roudinesco et Michel Plon, l’argument devient :

      « Freud se heurte en effet à une réalité irréductible : tous les pères ne sont pas des violeurs (…) ».

      Dans leur crainte que le lecteur d’aujourd’hui ne prenne au sérieux une thèse rejetée par l’orthodoxie, nos deux auteurs poussent l’argument à la limite et même à l’absurde [13], puisque cette fois il ne s’agit plus seulement des pères d’hystériques mais de tous les pères. Pour rendre la théorie de la séduction encore plus inacceptable, ces auteurs disent violeurs alors que Freud (le Freud de 1896 comme celui de 1897) s’en tenait au terme de perversion (le viol n’étant qu’une forme extrême dans la diversité des actes pervers).

    • Dans cette tragique illustration de ce que le sociologue Merton appelle une prédiction créatrice (Je crée ce que je m’attends à voir, j’induis ce que je voudrais, de toutes mes forces, éviter), #Oedipe fait plutôt figure d’innocente victime : condamné à mort dès sa naissance, les pieds percés et liés, il devait être jeté dans un ravin ; adulte, il est condamné à réaliser sans le savoir, le parricide et le mariage incestueux décidés par les Dieux ; il ne lui restera plus qu’à se crever les yeux pour se punir de crimes commis contre sa volonté claire. Que le père (#Laïos) se soit comporté en pervers, en violant un adolescent, qu’il ait ordonné le meurtre de son fils, voilà ce que Freud occulte de l’aventure.

    • Freud va beaucoup plus loin puisqu’il affirme qu’il y a chez tout jeune enfant une disposition perverse polymorphe.

      L’expression est souvent citée mais généralement hors de son contexte. Il faut relire le texte : « La disposition perverse polymorphe » [3] :

      « Il est intéressant de constater que l’enfant, par suite d’une séduction, peut devenir un pervers polymorphe et être amené à toutes sortes de transgressions. Il y est donc prédisposé…"

    • La formulation de Freud qui s’en prenait à l’ensemble du monde enfantin ne parlait que d’une prédisposition et il précisait que l’enfant pouvait devenir pervers à condition d’avoir subi une séduction. Dans la diffusion du dogme, ces réserves ont disparu. Si vous consultez le Grand Robert pour connaître la signification de polymorphe, la citation proposée est :

      « L’enfant, selon Freud, est un pervers polymorphe. »

    • Et faites l’expérience auprès de ceux qui connaissent l’expression freudienne : les gens se souviennent de la perversité polymorphede l’enfant mais ils ont oublié ou ont toujours ignoré que cette qualification est – dans le texte – le fruit d’une séduction. Un fruit possible seulement, ce n’est donc pas un résultat inévitable.

    • Dans la nouvelle théorie, appelée celle-là à triompher dans l’ensemble du monde judéo-chrétien, la causalité intrapsychique (tout s’est passé à l’intérieur du psychisme de X) tend à remplacer la causalité inter-psychique (une action de Z est à l’origine des symptômes actuels de X) :

      « Après l’abandon de la théorie de la séduction, puis la publication en 1900 de L’Interprétation des rêves, c’est le conflit psychique inconscient qui fut reconnu par Freud comme la cause majeure de l’hystérie. »

    • dernière partie : https://lmsi.net/La-violance-du-psy

      Pour reprendre une formule de Pierre Bourdieu, un pouvoir de violance symbolique est « un pouvoir qui parvient à imposer des significations, et à les imposer comme légitimes ». Et de fait, lorsque les freudiens parviennent à installer, jusque dans les dictionnaires, une nouvelle définition de la sexualité, qui permet d’étayer leurs théories oedipiennes grâce à l’affirmation d’une sexualité infantile, ils remportent sans conteste une importante victoire stratégique sur le plan symbolique.

    • Je crois pourtant qu’on gagnerait à différencier plus clairement les sentiments durables qui relèvent du lien familial et/ou fraternel au sens large des termes (attachement, affection, tendresse [1]) et des vécus de l’instant liés au plaisir (sensualité, sexualité).

      La sensualité parle du plaisir éprouvé par les différents sens : On peut vivre la sensualité au contact d’un autre corps, mais aussi par sa peau doucement chauffée au soleil de printemps, mais aussi par l’œil et l’oreille accueillant la beauté, mais aussi en dégustant un mets savoureux. Les satisfactions anales du jeune enfant relèvent de la sensualité, comme le soulagement de tout être humain qui a dû différer trop longtemps une légitime exonération.

      La satisfaction du bébé qui tête, relève de la sensualité. Il s’intéresse à son corps, à tout son corps, et sans doute davantage qu’aux objets qui passent à sa portée, parce des satisfactions sensuelles enrichissent le plaisir de l’exploration. La tendresse donnée par le parent, quand elle s’exprime corporellement s’accompagne parfois d’un plaisir sensuel, et quand ce plaisir va jusqu’au trouble, il fonctionne alors comme signal d’alarme dans les relations comportant un interdit.

    • Inceste avec viol, gestes incestueux mais sans réalisation totale, fessée déculottée, corps à corps imposé, camouflé en jeu, fantasme accepté ou lourdement culpabilisé, refus rigide de toute tendresse par crainte de ne plus contrôler la pulsion sexuelle interdite... La tentation de l’inceste existe probablement chez nombre d’adultes, même si elle est contenue ou refoulée la plupart du temps.

      Quant au petit d’homme, pour la satisfaction de ses besoins affectifs aussi bien que pour les besoins les plus clairement organiques, il est totalement dépendant de l’adulte non seulement en raison de sa faiblesse physique, mais aussi du fait de sa totale ignorance.

      Face à cette faiblesse infinie, le pouvoir de l’adulte est sans limite. Il peut donner, ne pas donner, se servir de l’enfant pour son propre besoin, le pervertir ou simplement introduire le trouble, effacer les limites du permis et de l’interdit... Durant les premières années, les plus décisives pour la mise en place des repères, c’est l’adulte et lui seul qui fournit les codes : comment le petit enfant pourrait-il deviner que ce geste du père-Dieu est interdit, qu’il n’est pas un geste paternel mais une violance majeure, qu’il n’exprime pas l’amour-don mais la confiscation-destruction...

    • Dans notre société, le complexe d’Œdipe est devenu un facteur explicatif volontiers invoqué, même de façon très vague, pour défendre la réputation de pères mis en cause par leur enfant devant un tribunal. C’est devenu parmi les gens cultivés, une sorte de dogme qui a pris la place du dogme de la sainte trinité. Un dogme plus utile aux pères incestueux qu’à leurs enfants…

      C’est ce qu’a fini par admettre à la fin de sa vie, Serge Lebovici, professeur émérite de psychiatrie de l’enfant et vice-président d’honneur de l’Association Internationale de Psychanalyse :

      « Lorsque les féministes et les associations de victimes de l’inceste refusent l’explication oedipienne, elles ont probablement raison de dénoncer le phallocentrisme freudien qui accuse l’oedipe féminin de porter la responsabilité de la violence incestueuse des pères. »

    • biblio :

      Jeffrey Moussaiev Masson, Le réel escamoté. Le renoncement de Freud à la théorie de la séduction , Aubier, 1983

      (Masson dans sa position de directeur des archives freudiennes, a eu accès à la totalité des lettres adressées à Fliess. Il nous éclaire avant tout sur le grand virage de Freud mais aussi sur un débat essentiel entre des médecins de la fin du XIXème siècle qui dénoncent les maltraitances tragiques dont des enfants sont victimes et d’autres qui considèrent les enfants comme des menteurs auxquels il serait naïf de faire confiance.)

      Marianne Krüll : Sigmund fils de Jacob, Gallimard, 1979-1983

      Marie Balmary : L’homme aux statues, Grasset 1979

      Alice Miller : Abattre le mur du silence, Aubier, 1991

      Alice Miller : La connaissance interdite, Aubier, 1988-1990

      Jacqueline Lanouziere : Histoire secrète de la séduction sous le règne de Freud, PUF, 1991

      Chawki Azouri :J’ai réussi là où le paranoïaque échoue, Denoël, 1991

      Freud, La naissance de la psychanalyse. Lettres à Fliess), PUF, 1950-1956

      Freud, Lettres à Wilhelm Fliess. 1887-1904, PUF, 2007

      Freud, L’étiologie de l’hystérie (1896) in Névrose, psychose et perversion, PUF, 1973

      Freud : Cinq psychanalyses, PUF, 1954

  • « Pour un retour de l’#honneur de nos gouvernants » : 20 #généraux appellent Macron à défendre le #patriotisme

    (attention : toxique)

    À l’initiative de #Jean-Pierre_Fabre-Bernadac, officier de carrière et responsable du site Place Armes, une vingtaine de généraux, une centaine de hauts-gradés et plus d’un millier d’autres militaires ont signé un appel pour un retour de l’honneur et du #devoir au sein de la classe politique. Valeurs actuelles diffuse avec leur autorisation la lettre empreinte de conviction et d’engagement de ces hommes attachés à leur pays.

    Monsieur le Président,
    Mesdames, Messieurs du gouvernement,
    Mesdames, Messieurs les parlementaires,

    L’heure est grave, la #France est en #péril, plusieurs #dangers_mortels la menacent. Nous qui, même à la retraite, restons des soldats de France, ne pouvons, dans les circonstances actuelles, demeurer indifférents au sort de notre beau pays.

    Nos #drapeaux tricolores ne sont pas simplement un morceau d’étoffe, ils symbolisent la #tradition, à travers les âges, de ceux qui, quelles que soient leurs couleurs de peau ou leurs confessions, ont servi la France et ont donné leur vie pour elle. Sur ces drapeaux, nous trouvons en lettres d’or les mots « #Honneur_et_Patrie ». Or, notre honneur aujourd’hui tient dans la dénonciation du #délitement qui frappe notre #patrie.

    – Délitement qui, à travers un certain #antiracisme, s’affiche dans un seul but : créer sur notre sol un mal-être, voire une #haine entre les communautés. Aujourd’hui, certains parlent de #racialisme, d’#indigénisme et de #théories_décoloniales, mais à travers ces termes c’est la #guerre_raciale que veulent ces partisans haineux et fanatiques. Ils méprisent notre pays, ses traditions, sa #culture, et veulent le voir se dissoudre en lui arrachant son passé et son histoire. Ainsi s’en prennent-ils, par le biais de statues, à d’anciennes gloires militaires et civiles en analysant des propos vieux de plusieurs siècles.

    – Délitement qui, avec l’#islamisme et les #hordes_de_banlieue, entraîne le détachement de multiples parcelles de la nation pour les transformer en territoires soumis à des #dogmes contraires à notre #constitution. Or, chaque Français, quelle que soit sa croyance ou sa non-croyance, est partout chez lui dans l’Hexagone ; il ne peut et ne doit exister aucune ville, aucun quartier où les lois de la #République ne s’appliquent pas.

    – Délitement, car la haine prend le pas sur la #fraternité lors de manifestations où le pouvoir utilise les #forces_de_l’ordre comme agents supplétifs et boucs émissaires face à des Français en #gilets_jaunes exprimant leurs désespoirs. Ceci alors que des individus infiltrés et encagoulés saccagent des commerces et menacent ces mêmes forces de l’ordre. Pourtant, ces dernières ne font qu’appliquer les directives, parfois contradictoires, données par vous, gouvernants.

    Les #périls montent, la #violence s’accroît de jour en jour. Qui aurait prédit il y a dix ans qu’un professeur serait un jour décapité à la sortie de son collège ? Or, nous, serviteurs de la #Nation, qui avons toujours été prêts à mettre notre peau au bout de notre engagement – comme l’exigeait notre état militaire, ne pouvons être devant de tels agissements des spectateurs passifs.

    Aussi, ceux qui dirigent notre pays doivent impérativement trouver le courage nécessaire à l’#éradication de ces dangers. Pour cela, il suffit souvent d’appliquer sans faiblesse des lois qui existent déjà. N’oubliez pas que, comme nous, une grande majorité de nos concitoyens est excédée par vos louvoiements et vos #silences coupables.

    Comme le disait le #cardinal_Mercier, primat de Belgique : « Quand la #prudence est partout, le #courage n’est nulle part. » Alors, Mesdames, Messieurs, assez d’atermoiements, l’heure est grave, le travail est colossal ; ne perdez pas de temps et sachez que nous sommes disposés à soutenir les politiques qui prendront en considération la #sauvegarde_de_la_nation.

    Par contre, si rien n’est entrepris, le #laxisme continuera à se répandre inexorablement dans la société, provoquant au final une #explosion et l’intervention de nos camarades d’active dans une mission périlleuse de #protection de nos #valeurs_civilisationnelles et de sauvegarde de nos compatriotes sur le territoire national.

    On le voit, il n’est plus temps de tergiverser, sinon, demain la guerre civile mettra un terme à ce #chaos croissant, et les morts, dont vous porterez la #responsabilité, se compteront par milliers.

    Les généraux signataires :

    Général de Corps d’Armée (ER) Christian PIQUEMAL (Légion Étrangère), général de Corps d’Armée (2S) Gilles BARRIE (Infanterie), général de Division (2S) François GAUBERT ancien Gouverneur militaire de Lille, général de Division (2S) Emmanuel de RICHOUFFTZ (Infanterie), général de Division (2S) Michel JOSLIN DE NORAY (Troupes de Marine), général de Brigade (2S) André COUSTOU (Infanterie), général de Brigade (2S) Philippe DESROUSSEAUX de MEDRANO (Train), général de Brigade Aérienne (2S) Antoine MARTINEZ (Armée de l’air), général de Brigade Aérienne (2S) Daniel GROSMAIRE (Armée de l’air), général de Brigade (2S) Robert JEANNEROD (Cavalerie), général de Brigade (2S) Pierre Dominique AIGUEPERSE (Infanterie), général de Brigade (2S) Roland DUBOIS (Transmissions), général de Brigade (2S) Dominique DELAWARDE (Infanterie), général de Brigade (2S) Jean Claude GROLIER (Artillerie), général de Brigade (2S) Norbert de CACQUERAY (Direction Générale de l’Armement), général de Brigade (2S) Roger PRIGENT (ALAT), général de Brigade (2S) Alfred LEBRETON (CAT), médecin Général (2S) Guy DURAND (Service de Santé des Armées), contre-amiral (2S) Gérard BALASTRE (Marine Nationale).

    https://www.valeursactuelles.com/politique/pour-un-retour-de-lhonneur-de-nos-gouvernants-20-generaux-appellen

    La une :

    #appel #généraux #valeurs_actuelles #lettre #lettre_ouverte #armée #soldats

    ping @isskein @karine4

    • 2022 : « l’étrange défaite » qui vient

      Pour Marc Bloch, auteur de L’Étrange défaite, la cause de la débâcle de juin 1940 n’était pas seulement militaire mais d’abord politique. De la même façon, le désastre annoncé de printemps 2022 n’est pas seulement de nature électorale. La débâcle de la démocratie se construit depuis des mois par une sorte de capitulation rampante et générale face à l’extrême droite.

      « Un jour viendra, tôt ou tard, où la France verra de nouveau s’épanouir la liberté de pensée et de jugement. Alors les dossiers cachés s’ouvriront ; les brumes, qu’autour du plus atroce effondrement de notre histoire commencent, dès maintenant, à accumuler tantôt l’ignorance et tantôt la mauvaise foi, se lèveront peu à peu . »

      Ainsi s’ouvre L’Étrange défaite écrite par Marc Bloch au lendemain de la capitulation de l’armée française en juin 1940. « À qui la faute ? », se demande-t-il. Quels mécanismes politiques ont conduit à ce désastre et à l’effondrement d’une République ? Si les militaires, et surtout l’état-major, sont aux premières loges des accusés, nul n’échappe à l’implacable regard de l’historien : ni les classes dirigeantes qui ont « préféré Hitler au Front Populaire », ni la presse mensongère, ni le pacifisme munichois, ni la gauche qui n’a pas eu besoin de ses adversaires pour ensevelir ce Front populaire qui fit si peur aux bourgeois.

      Les « brumes », l’aveuglement et la soumission passive aux récits des futurs vainqueurs ont conduit inexorablement à une #capitulation_anticipée. Comment ne pas y reconnaître la logique des moments sombres que nous vivons sidérés.

      La banalisation de la menace factieuse

      Sidérés, nous le sommes à coup sûr quand il faut attendre six jours pour qu’une menace de sédition militaire (http://www.regards.fr/politique/societe/article/lettre-des-generaux-un-texte-seditieux-qui-menace-la-republique) signée le 21 avril 2021 par une vingtaine de généraux en retraite, mais aussi par de nombreux officiers, commence à faire un peu réagir.

      Sidérés, nous le sommes par la légèreté de la réponse gouvernementale. Un tweet de la ministre des Armées (https://www.lemonde.fr/politique/article/2021/04/25/la-gauche-s-insurge-contre-une-tribune-de-militaires-dans-valeurs-actuelles-) ne parle que « d’#irresponsabilité » de « généraux en retraite ». Pour #Florence_Parly le soutien que leur apporte Marine Le Pen « reflète une méconnaissance grave de l’institution militaire, inquiétant pour quelqu’un qui veut devenir cheffe des armées ». N’y aurait-il à voir que de l’irresponsabilité militaire et de l’incompétence politique ?

      Il faut attendre le lundi 26 avril pour que Agnès Runacher secrétaire d’État auprès du ministre de l’Économie et des Finances s’avise (https://www.boursorama.com/actualite-economique/actualites/un-quarteron-de-generaux-en-charentaises-la-tribune-de-militaires-dans-v) que le texte a été publié jour pour jour 60 ans après l’appel des généraux d’Alger. En parlant de « quarteron de généraux en charentaises », elle semble considérer que la simple paraphrase d’une expression de l’allocution de De Gaulle, le 23 avril 1961 suffira à protéger la démocratie. Ce dernier, plus martial, en uniforme, parlait surtout de « putsch » et d’un « groupe d’officiers ambitieux et fanatiques ».

      Sidérés, nous le sommes par le #silence persistant, cinq jours après la publication du texte factieux, de l’essentiel les leaders de la droite, du centre, de la gauche et des écologistes.

      Sidérés, nous sommes encore de l’isolement de ceux qui appellent un chat un chat tels Éric Coquerel, Benoît Hamon ou Jean Luc Mélenchon. Ce dernier rappelle au passage que l’article 413-3 du code pénal prévoit cinq ans d’emprisonnement et 75.000 euros d’amende pour provocation à la désobéissance des militaires.

      Sidérés, nous le sommes enfin, pendant une semaine, de la #banalisation de l’événement par des médias pourtant prompts à se saisir du buzz des « polémiques ». Le 25 avril (https://rmc.bfmtv.com/emission/tribunes-de-militaires-les-gens-n-ont-pas-confiance-dans-les-politiques-m), RMC/BFM, dans les Grandes Gueules, n’hésite pas à présenter l’appel sur fond de Marseillaise, à moquer « la gauche indignée » en citant Jean Luc Mélenchon et Éric Coquerel, et à débattre longuement avec l’initiateur du texte, Jean-Pierre Fabre-Bernadac. Jack Dion, ancien journaliste de L’Humanité (1970-2004), n’hésite pas à écrire (https://www.marianne.net/agora/les-signatures-de-marianne/malgre-ses-relents-putschistes-la-tribune-des-ex-generaux-met-le-doigt-la-) dans Marianne le 28 avril : « Malgré ses relents putschistes, la tribune des ex généraux met le doigt là où ça fait mal. » Il faut croire donc que cet appel factieux et menaçant ne fait pas polémique après l’appel à l’insurrection de Philippe de Villiers dont on oublie qu’il est le frère aîné d’un autre général ambitieux, Pierre de son prénom, chef d’état-major des armées de 2010 à 2017.

      Qui sont donc les ennemis que ces militaires appellent à combattre pour sauver « la Patrie » ? Qui sont les agents du « délitement de la France » ? Le premier ennemi désigné reprend mot pour mot les termes de l’appel des universitaires publié le 1 novembre 2020 sous le titre de « #Manifeste_des_100 » (https://manifestedes90.wixsite.com/monsite) : « un certain antiracisme » qui veut « la guerre raciale » au travers du « racialisme », « l’indigénisme » et les « théories décoloniales ». Le second ennemi est « l’islamisme et les hordes de banlieue » qui veulent soumettre des territoires « à des dogmes contraires à notre constitution ». Le troisième ennemi est constitué par « ces individus infiltrés et encagoulés saccagent des commerces et menacent ces mêmes forces de l’ordre » dont ils veulent faire des « boucs émissaires ».

      Chacune et chacun reconnaîtra facilement les islamo-gauchistes, les séparatistes et les black blocs, ces épouvantails stigmatisés, dénoncés, combattus par le pouvoir comme par une partie de l’opposition. Ce texte a au moins une vertu : il identifie clairement la nature fascisante des diatribes de Jean-Michel Blanquer, Gérald Darmanin ou Frédérique Vidal. Il renvoie à leur responsabilité celles et ceux qui gardent le silence, organisent le débat public autour de ces thématiques sur la scène médiatique, s’abstiennent à l’Assemblée sur des textes de loi à la logique islamophobe – quand ils ne votent pas pour –, signent des tribunes universitaires pour réclamer une police de la pensée. Il renvoie à ses responsabilités le Bureau national du Parti socialiste qui, dans sa résolution du 27 avril (https://partisocialiste92.fr/2021/04/27/resolution-du-bureau-national-a-la-suite-dune-tribune-de-militaire), persiste à affirmer « qu’il serait absurde de chercher à nier ces sujets qui nous font face » comme « ces #minorités_agissantes » qui prônent la « #désaffiliation_républicaine ».

      Baromètre incontesté des dérives intellectuelles, l’omniprésent #Michel_Onfray, aujourd’hui obsédé par la décadence de la France, ne partage-t-il pas le diagnostic des factieux ? Sa sentence du 27 avril dans la matinale d’Europe 1 (https://www.europe1.fr/societe/sur-le-terrorisme-la-parole-presidentielle-est-totalement-devaluee-estime-on), « l’intérêt de l’#islamo-gauchisme est de détruire la nation, la souveraineté nationale, la France, l’histoire de France, tout ce qui constitue la France », est immédiatement reprise par Valeurs actuelles (https://www.valeursactuelles.com/politique/pour-michel-onfray-linteret-de-lislamo-gauchisme-est-de-detruire-l). Quelques jours plus tôt, dans une envolée digne de Gérald Darmanin, il assénait au Point (https://www.lepoint.fr/debats/michel-onfray-on-a-un-seul-probleme-en-france-c-est-que-la-loi-n-est-pas-res) : « On a un seul problème en France, c’est que la loi n’est pas respectée ». Mais de quelle loi parle Michel Onfray quand il ajoute, à propos du verdict en appel du procès des jeunes de Viry-Châtillon : « Il y a des gens à qui on dit : […] peut-être que vous faites partie de ceux qui auraient pu tuer, mais la preuve n’est pas faite, on est pas sûr que c’est vous, allez, vous pouvez rentrer chez vous. L’affaire est terminée pour vous. » Pour Michel Onfray, le scandale n’est pas la mise en accusation délibérée d’innocents par une police en quête désespérée de coupables mais un principe de droit : la présomption d’innocence elle-même !

      La capitulation rampante

      Voilà où nous en sommes. Voilà pourquoi il est pour beaucoup si difficile de se scandaliser d’un appel factieux quand les ennemis désignés sont ceux-là même qui sont désignés à longueur d’antenne et de déclaration politique dans ce désastreux consensus « républicain » réunissant l’extrême droite, la droite et une partie de la gauche.

      Chacune et chacun y va de sa surenchère. #Anne_Hidalgo (https://www.nouvelobs.com/edito/20201125.OBS36577/derriere-la-gueguerre-entre-hidalgo-et-les-ecolos-la-pomme-de-discorde-de) enjoint les Verts « d’être au clair avec la République » à propos de la laïcité alors même que #Yannick_Jadot (https://www.lepoint.fr/politique/loi-contre-le-separatisme-la-gauche-denonce-un-texte-qui-ne-regle-rien-07-02) demande de « sortir de toute naïveté et de toute complaisance », pour « combattre l’islam politique », proposant de « contrôler les financements des associations » et de « renforcer tous les dispositifs sur le contrôle des réseaux sociaux ».

      La discussion et le vote de la loi sur le « séparatisme », puis les débats hallucinants sur l’organisation de « réunions non mixtes » au sein du syndicat étudiant Unef nous en a fourni un florilège. Pour le communiste #Stéphane_Peu (http://www.le-chiffon-rouge-morlaix.fr/2021/02/separatisme-une-loi-equilibree-se-serait-attachee-a-renforc) comme pour le socialiste #Olivier_Faure (https://www.europe1.fr/politique/projet-de-loi-contre-les-separatismes-olivier-faure-craint-une-surenchere-40), la question n’est pas de combattre sur le fond la notion de « #séparatisme » mais de rester dans une « loi équilibrée » qui « renforce la #République » (Peu) et d’éviter « la surenchère » (Faure). L’un comme l’autre et comme nombre de députés de leurs groupes, s’abstiendront lors du vote à l’Assemblée nationale. Seule La France insoumise a sauvé l’honneur et dénoncé, notamment par la voix de #Clémentine_Autain (https://www.lepoint.fr/politique/loi-contre-le-separatisme-la-gauche-denonce-un-texte-qui-ne-regle-rien-07-02) dès le 16 février, une loi qui « ouvre la boîte de Pandore pour des idées qui stigmatisent et chassent les musulmans » et « nous tire vers l’agenda de l’extrême droite ».

      Si le débat parlementaire gomme un peu les aspérités, l’affaire des réunions « non mixtes » au sein de l’Unef est l’occasion d’un déferlement de sincérité imbécile. On n’en attendait pas moins de #Manuel_Valls (https://www.franceinter.fr/emissions/l-invite-de-8h20-le-grand-entretien/l-invite-de-8h20-le-grand-entretien-22-mars-2021) qui s’empresse de poser l’argument clef de la curée : « Les réunions "racialisées" légitiment le concept de race ». Le lendemain #Marine_Le_Pen (https://www.francetvinfo.fr/politique/marine-le-pen/video-il-faut-poursuivre-l-unef-un-syndicat-qui-commet-des-actes-racist) le prend au mot et réclame des poursuites contre ces actes racistes. Anne Hidalgo (https://www.europe1.fr/politique/reunions-non-mixtes-a-lunef-cest-tres-dangereux-juge-anne-hidalgo-4032954) apporte sa voix contre une pratique qu’elle considère comme « très dangereuse » au nom de « ses convictions républicaines ». Olivier Faure (https://www.youtube.com/watch?v=rifRSrm7lpU

      ), moins « équilibré » que sur la loi contre le « séparatisme » renchérit comme « une dérive incroyable ».

      Quelle « dérive » ? Tout simplement « l’idée que sont légitimes à parler du racisme les seules personnes qui en sont victimes », alors que « c’est l’inverse qu’il faut chercher ». Dominés restez à votre place, nous parlerons pour vous ! Aimé Césaire dans sa lettre à Maurice Thorez (https://lmsi.net/Lettre-a-Maurice-Thorez), dénonçait ce qu’il nommait le « #fraternalisme » : « Un grand frère qui, imbu de sa supériorité et sûr de son expérience, vous prend la main pour vous conduire sur la route où il sait se trouver la Raison et le Progrès. » Or, ajoutait-il, « c’est très exactement ce dont nous ne voulons plus » car « nous ne (pouvons) donner à personne délégation pour penser pour nous. »

      Olivier Faure revendique un « #universalisme » que ne renierait pas le candidat communiste à la présidentielle, #Fabien_Roussel pour qui « les réunions segmentées selon la couleur de sa peau, sa religion ou son sexe, ça divise le combat ». Le PCF (https://www.pcf.fr/actualite_derri_re_les_attaques_contre_l_unef_une_d_rive_autoritaire_et_antid_mo) n’hésite pas à défendre en théorie l’Unef tout en se joignant cœur réactionnaire des condamnations de ses pratiques.

      #Audrey_Pulvar (https://www.lci.fr/politique/demander-a-une-personne-blanche-de-se-taire-dans-une-reunion-non-mixte-pulvar-cr) cherchant peut-être un compromis dans la présence maintenue mais silencieuse d’un blanc dans une réunion de personnes racisées, se prend une volée de bois vert du chœur des bonnes âmes universalistes. La « dilution dans l’universel » est bien « une façon de se perdre » comme l’écrivait encore Aimé Césaire en 1956.

      Ce chœur hystérisé, rien ne le fera taire, ni le rappel élémentaire d’#Eric_Coquerel (https://www.facebook.com/watch/?v=773978356575699) que les #groupes_de_parole sont « vieux comme le monde, comme le mouvement féministe, comme les alcooliques anonymes », ni la prise du conscience de l’énormité morale, politique et juridique des positions prises ainsi dans une émotion révélatrice.

      Refuser de comprendre que la parole des dominées et dominés a besoin de se constituer à l’abri des dominants, c’est nier, de fait, la #domination. Ce déni de la domination, et de sa #violence, est une violence supplémentaire infligée à celles et ceux qui la subissent.

      Au passage, une partie de la gauche a par ailleurs perdu un repère simple en matière de liberté : la liberté de réunion est la liberté de réunion. Elle n’est plus une liberté si elle est sous condition de surveillance par une présence « hétérogène ». À quand les réunions de salariés avec présence obligatoire du patron ? Les réunions de femmes avec présence obligatoire d’un homme ? Les réunions d’étudiants avec présence obligatoire d’un professeur ? Les réunions de locataires avec présence obligatoire du bailleur ? Les réunions d’antiracistes avec présence obligatoire d’un raciste ?

      Ces héritiers et héritières d’une longue tradition politique liée aux luttes sociales révèle ainsi leur déconnexion avec les mobilisation d’aujourd’hui, celles qui de #MeToo à Black Lives Matter ébranlent le monde et nous interrogent sur quelle humanité nous voulons être au moment où notre survie est officiellement en question. Ces mouvements de fond martèlent, 74 ans après Aimé Césaire, que « l’heure de nous-mêmes a sonné. »

      Nul doute, hélas, que ce qui fait ainsi dériver des femmes et des hommes issus de la #gauche, c’est le poids pas toujours avoué, mais prégnant et souvent irrationnel, de l’#islamophobie. Cette adhésion générale à un complotisme d’État (https://blogs.mediapart.fr/alain-bertho/blog/041220/l-etat-t-il-le-monopole-du-complotisme-legitime) touche plus fortement les espaces partisans, voire universitaires, que le monde associatif. On a pu le constater lors de la dissolution du #Collectif_contre_l’islamophobie_en_France (#CCIF) fin 2020 quand la fermeté les protestations de la Ligue des droits de l’Homme (https://blogs.mediapart.fr/gabas/blog/031220/ldh-dissolution-politique-du-ccif) ou d’Amnesty international (https://www.amnesty.fr/presse/france-la-fermeture-dune-association-antiraciste-e) n’a eu d’égale que la discrétion de la gauche politique. La palme du mois d’avril revient sans conteste à #Caroline_Fourest (https://twitter.com/i/status/1384567288922259467) qui lors du lancement des États Généraux de la Laïcité a pu déclarer sans frémir que « ce mot islamophobie a tué les dessinateurs de Charlie Hebdo et il a tué le professeur Samuel Paty ».

      Oui voilà ou nous en sommes. La menace d’une victoire du #Rassemblement_national ne se lit pas que dans les sondages. Elle se lit dans les #renoncements. Elle s’enracine dans la banalisation voire le partage de ses thématiques disciplinaires, de ses émotions islamophobes, de son vocabulaire même.

      L’évitement politique du réel

      Il faut vraiment vivre dans une bulle, au rythme de réseaux sociaux hégémonisés par l’extrême droite, loin des réalités des quartiers populaires, pour considérer que l’islam et les réunions non mixtes sont les causes premières du délitement des relations collectives et politiques dans ce pays.

      Quelle République, quelle démocratie, quelle liberté défend-on ici avec ces passions tristes ? Depuis plus d’un an, la réponse gouvernementale à l’épreuve sanitaire les a réduites à l’état de fantômes. L’#état_d’urgence sanitaire est reconduit de vague en vague de contamination. Notre vie est bornée par des contrôles, des interdictions et des attestations. Les décisions qui la règlent sont prises par quelques-uns dans le secret délibératif d’un Conseil de défense. Nous vivons suspendus aux annonces du président et de quelques ministres et, de plus de plus en plus, du président seul, autoproclamé expert omniscient en gestion de pandémie. Nous n’avons plus prise sur notre vie sociale, sur nos horaires, sur notre agenda, sur notre avenir même très proche. Nous n’avons plus de lieu de délibération, ces lieux qui des clubs révolutionnaires de 1789 aux ronds-points des gilets jaunes, en passant par la Place Tahrir et la Puerta Del Sol en 2011 sont l’ADN de la #démocratie.

      La violence de la menace létale mondiale que font peser sur nous le Covid et ses variants successifs nous fait espérer que cette épreuve prendra fin, que la parenthèse se refermera. Comme dans une période de guerre (https://www.mediapart.fr/journal/culture-idees/070221/stephane-audoin-rouzeau-nous-traversons-l-experience-la-plus-tragique-depu), cet espoir toujours déçu se renouvelle sans fin à chaque annonce moins pessimiste, à chaque communication gouvernementale sur les terrasses jusqu’à la déception suivante. Cette #précarité sans fin est un obstacle collectif à la #résistance_démocratique, à la critique sociale, idéologique et opératoire de cette période qui s’ouvre et sera sans doute durable. C’est bien dans ce manque politique douloureux que s’engouffrent tous les complotismes de Q-Anon à l’islamophobie d’État.

      Depuis le printemps 2020 (www.regards.fr/politique/societe/article/covid-19-un-an-deja-chronique-d-une-democratie-desarticulee), les partis d’opposition ont cessé d’être dans l’élaboration et la proposition politique en lien avec la situation sanitaire. Le monologue du pouvoir ne provoque plus sporadiquement que des réactions, jamais d’alternative stratégique ni sur la réponse hospitalière, ni sur la stratégie vaccinale, ni sur l’agenda des restrictions sociales. Même l’absence de publication, des semaines durant début 2021, des avis du Conseil scientifique n’émeut pas des politiques beaucoup plus préoccupés par les réunions non mixtes à l’Unef.

      Attac (https://france.attac.org/spip.php?page=recherche&recherche=covid) n’est pas beaucoup plus proactif malgré la publication sur son site en novembre 2020 d’un texte tout à fait pertinent de Jacques Testard sur la #démocratie_sanitaire. En général les think tanks sont plutôt discrets. L’Institut Montaigne est silencieux sur la stratégie sanitaire tout comme la Fondation Copernic qui n’y voit pas l’occasion de « mettre à l’endroit ce que le libéralisme fait fonctionner à l’envers ». Si le think tank Économie Santé des Échos déplore le manque de vision stratégique sanitaire, seule Terra Nova semble avoir engagé un véritable travail : une cinquantaine de contributions (https://tnova.fr/ckeditor_assets/attachments/218/terra-nova_dossier-de-presse_cycle-coronavirus-regards-sur-une-crise_2020.pdf), des propositions (https://tnova.fr/revues/covid-19-le-think-tank-terra-nova-fait-des-propositions-pour-limiter-les-conta) sur l’organisation de la rentrée scolaire du 26 avril 2021, des propositions sur la stratégie vaccinale…

      Pourquoi cette #inertie_collective sur les choix stratégiques ? Ce ne sont pas les sujets qui manquent tant la stratégie gouvernementale ressemble à tout sauf à une stratégie sanitaire. Sur le fond, aucun débat n’est ouvert sur le choix entre stratégie de cohabitation avec la maladie ou d’éradication virale. Ce débat aurait eu le mérite d’éclairer les incohérences gouvernementales comme la communication sur le « tester/tracer/isoler » de 2020 qui n’a été suivie d’aucun moyen opérationnel et humain nécessaire à sa mise en œuvre. Il aurait permis de discuter une stratégie vaccinale entièrement fondée sur l’âge (et donc la pression hospitalière) et non sur la circulation active du virus et la protection des métiers à risque. Cette stratégie a fait battre des records vaccinaux dans des territoires aux risques faibles et laissé à l’abandon les territoires les plus touchés par la surmortalité comme la Seine-Saint-Denis.

      Pourquoi cette inertie collective sur la démocratie sanitaire ? Les appels dans ce sens n’ont pourtant pas manqué à commencé par les recommandations du Conseil Scientifique dès mars 2020 : le texte de Jacques Testard (https://france.attac.org/nos-publications/les-possibles/numero-25-automne-2020/debats/article/la-covid-la-science-et-le-citoyen), un article de The Conversation (https://theconversation.com/debat-quelles-lecons-de-democratie-tirer-de-la-pandemie-140157) au mois de juin 2020, l’excellent « tract » de #Barbara_Stiegler, De la démocratie en pandémie, paru chez Gallimard en janvier 2021 et assez bien relayé. Des propositions, voire des expérimentations, en termes de délibération et de construction collective des mesures sanitaires territorialisées, des contre expertises nationales basées sur des avis scientifiques et une mobilisation populaire auraient sans doute mobilisé de façon positive la polyphonie des exaspérations. On a préféré laisser réprimer la mobilisation lycéenne (https://blogs.mediapart.fr/alain-bertho/blog/181120/sommes-nous-aux-portes-de-la-nuit) pour de vraies mesures sanitaires en novembre 2020.

      Bref la construction de masse d’une alternative à l’incapacité autoritaire du pouvoir aurait pu, pourrait encore donner corps et usage à la démocratie, aujourd’hui désarticulée (https://blogs.mediapart.fr/alain-bertho/blog/160321/covid-un-deja-chronique-d-une-democratie-desarticulee), qu’il nous faut essayer de défendre, pourrait incarner la République dans des exigences sociales et une puissance populaire sans lesquelles elle risque toujours de n’être qu’un discours de domination.

      Une autre élection est-elle encore possible ?

      Entre cet étouffement démocratique de masse et l’immensité des choix de société suggérés au quotidien par la crise sanitaire, le grain à moudre ne manque pas pour des courants politiques héritiers d’une tradition émancipatrice. Leur responsabilité est immense quand l’humanité est mise au pied du mur de sa survie et de l’idée qu’elle se fait d’elle-même. Mais ces partis préfèrent eux aussi considérer la situation sanitaire comme une simple parenthèse à refermer, se projetant sur les échéances de 2022 comme pour oublier 2020 et 2021. Il est ahurissant de penser que, après 14 mois de pandémie, la politique sanitaire ne soit pas au centre des élections territoriales de ce printemps, sinon pour une question d’agenda.

      En « rêvant d’une autre élection » comme d’autres ont rêvé d’un autre monde, la gauche permet tout simplement au président en exercice de s’exonérer de son bilan dramatique : un système de santé et des soignantes et soignants mis en surchauffe des mois durant, une mise en suspens de milliers de soins parfois urgents, des dizaines de milliers de Covid longs, plus de 100.000 morts, des territoires et des populations délibérément sacrifiés, des inégalités devant la mort et la maladie largement calquées sur les inégalités sociales et les discriminations, une vie sociale dévastée, une démocratie en miettes, une faillite biopolitique structurelle.

      Comment lui en faire porter la responsabilité si on ne peut lui opposer aucune alternative ? Le pouvoir s’en réjouit d’avance et, renversant la charge de la preuve, semaine après semaine, somme chacune et chacun de présenter un bilan sur l’agenda qu’il déroule sans rencontrer beaucoup de résistance : les politiques sécuritaires et l’islamophobie d’État. Or, ce concours électoraliste du prix de la « laïcité », de la condamnation de l’islamisme, de la condamnation des formes contemporaines de lutte contre les discriminations, nous savons qui en sera la championne incontestée : elle en maîtrise à merveille les thématiques, le vocabulaire comme la véhémence.

      Voici ce que les sondages, jour après jour, mesurent et nous rappellent. Dans ces conditions, l’absence de dynamique unitaire à gauche n’est pas la cause de la défaite annoncée, elle est déjà le résultat d’une perte majoritaire de boussole politique, le résultat d’une sorte d’évitement du réel, le résultat d’un abandon.

      « L’étrange défaite » de juin 1940 a pris racine dans le ralliement des classes dirigeantes à la nécessité d’un pouvoir policier et discriminatoire. Nous y sommes. « L’étrange défaite » s’est nourrie de la pusillanimité d’une gauche désertant les vrais combats pour la démocratie, de la défense de l’Espagne républicaine au barrage contre un racisme aussi déchaîné qu’expiatoire. Nous y sommes sur les enjeux de notre temps. « L’étrange défaite » a été la fille du consensus munichois et de la capitulation anticipée. Nous y sommes. « L’étrange défaite » a été suivie de la mort d’une République. L’appel militaire du 21 avril en fait planer la menace.

      À l’exceptionnalité de la période traumatique qui bouleverse depuis 14 mois en profondeur nos repères politiques, sociaux et vitaux, s’ajoute l’exceptionnalité de l’échéance institutionnelle du printemps 2022. Il est dérisoire d’y voir la énième occasion de porter un message minoritaire, dérisoire de donner le spectacle d’une querelle d’egos, dérisoire de jouer à qui sera responsable de la défaite. Le salut ne sera pas dans un compromis défensif sans principe mais dans un sursaut collectif d’ambition.

      Il est temps de prendre la mesure du temps que nous vivons, car il est toujours temps de résister. Comme concluait Marc Bloch en septembre 1940, « peut-être est-ce une bonne chose d’être ainsi contraints de travailler dans la rage », car « est-ce à des soldats qu’il faut, sur un champ de bataille, conseiller la peur de l’aventure ? » Il ajoutait que « notre peuple mérite qu’on se fie à lui et qu’on le mette dans la confidence ».

      http://www.regards.fr/idees-culture/article/2022-l-etrange-defaite-qui-vient
      #non-mixité

  • Du bon usage des barbelés - Les mots sont importants (lmsi.net)
    https://lmsi.net/Du-bon-usage-des-barbeles

    Dans L’Homme qui n’a pas d’étoile, de King Vidor, il y a cette scène où un éleveur de bétail conseille au cow-boy solitaire joué par Kirk Douglas d’utiliser du fil de fer barbelé. En entendant ce mot, le héros se raidit, ses traits se durcissent. « Qu’est-ce qui ne va pas ? », demande l’éleveur. Et Kirk de lui répondre sèchement : « Je n’aime pas ça, ni celui qui s’en sert. »

    On repensait à cette réplique, l’autre jour, en voyant les images de soldats américains en train de dérouler sur les rives du Rio Grande des kilomètres de bobines de barbelé concertina – variante autrement plus redoutable, avec ses lames de rasoir conçues pour trancher jusqu’à l’os, que le gros barbelé à pointes inventé en 1874 par un fermier prospère de l’Illinois [1].

    C’est le même modèle qui borde la rocade menant au port de Calais, où il couronne un tentaculaire lacis de clôtures et de détecteurs à rayonnement infra-rouge. Dans le Pas-de-Calais, sa fonction consiste à stopper les saute-frontière et, s’ils insistent, à leur infliger des lacérations que les médecins sur place comparent à des blessures de guerre.

    Aux Etats-Unis, l’actuelle débauche de barbelés visait la « caravane des migrants », cette marche d’environ cinq mille personnes parties du Honduras début octobre à la recherche d’une meilleure vie dans le Premier monde. Les trimardeurs et les grandes voyageuses n’avaient pas encore atteint Mexico, à mille bornes du point frontière nord-américain le plus proche, que déjà Donald Trump dépêchait ses troupes à leur rencontre en annonçant, la bave littéralement aux lèvres, qu’elles avaient l’ordre de tirer dans le tas au premier jet de pierre – comme à Gaza, mais au Texas.

    #frontière #migration #gauche #lordon #rufin

  • En train (enfin) de lire Les femmes de droite d’Andrea Dworkin.

    Cela signifie que les #femmes de droite ont raison de dire qu’elles valent plus au foyer qu’à l’extérieur. Au foyer, leur valeur est reconnue et sur le marché du #travail, elle ne l’est pas. Dans le mariage, le labeur sexuel est récompensé : on « donne » habituellement à l’épouse plus que ce qu’elle pourrait gagner à l’extérieur. Sur le marché de l’emploi, les femmes sont exploitées en tant que main-d’œuvre à rabais. L’argument selon lequel le travail hors du foyer rend les femmes sexuellement et économiquement autonomes des hommes est tout simplement faux : les femmes sont trop peu payées. Et les femmes de droite le savent.

    • Les femmes de droite ont examiné le monde ; elles trouvent que c’est un endroit dangereux. Elles voient que le travail les expose à davantage de danger de la part de plus d’hommes ; il accroît le risque d’exploitation sexuelle. Elles voient ridiculisées la créativité et l’originalité de leurs semblables ; elles voient des femmes expulsées du cercle de la civilisation masculine parce qu’elles ont des idées, des plans, des visions, des ambitions. Elles voient que le mariage traditionnel signifie se vendre à un homme, plutôt qu’à des centaines : c’est le marché le plus avantageux. Elles voient que les trottoirs sont glacials et que les femmes qui s’y retrouvent sont fatiguées, malades et meurtries. Elles voient que l’argent qu’elles-mêmes peuvent gagner au travail ne les rendra pas indépendantes des hommes, qu’elles devront encore jouer les jeux sexuels de leurs semblables : au foyer et aussi au travail. Elles ne voient pas comment elles pourraient faire pour que leur corps soit véritablement le leur et pour survivre dans le monde des hommes. Elles savent également que la gauche n’a rien de mieux à offrir : les hommes de gauche veulent eux aussi des épouses et des putains ; les hommes de gauche estiment trop les putains et pas assez les épouses. Les femmes de droite n’ont pas tort. Elles craignent que la gauche, qui élève le sexe impersonnel et la promiscuité au rang de valeurs, les rendra plus vulnérables à l’agression sexuelle masculine, et qu’elles seront méprisées de ne pas aimer ça. Elles n’ont pas tort. Les femmes de droite voient que, dans le système où elles vivent, si elles ne peuvent s’approprier leur corps, elles peuvent consentir à devenir une propriété masculine privatisée : s’en tenir à un contre un, en quelque sorte. Elles savent qu’elles sont valorisées pour leur sexe – leurs organes sexuels et leur capacité de procréation – alors elles tentent de rehausser leur valeur : par la coopération, la manipulation, la conformité ; par des expressions d’affection ou des tentatives d’amitiés ; par la soumission et l’obéissance ; et surtout par l’emploi d’euphémismes comme « féminité » « femme totale », « bonne », « instinct maternel », « amour maternel ». Leur détresse se fait discrète ; elles cachent les meurtrissures de leur corps, de leur cœur ; elles s’habillent soigneusement et ont de bonnes manières ; elles souffrent, elles aiment Dieu, elles se conforment aux règles. Elles voient que l’intelligence affichée chez une femme est un défaut, que l’intelligence réalisée chez une femme est un crime. Elles voient le monde où elles vivent et elles n’ont pas tort. Elles utilisent le sexe et les bébés pour préserver leur valeur parce qu’elles ont besoin d’un toit, de nourriture, de vêtements. Elles utilisent l’intelligence traditionnelle de la femelle – animale, pas humaine ; elles font ce qu’elles doivent faire pour survivre.

    • non @colporteur il y a des femmes prolétaires qui sont dans la monogamie hétero aussi et qui n’ont pas d’emploi ni revenus et qui vont même jusqu’a defendre leur sois disant instinct maternel et ce genre de biteries.

      Le mépris des hommes de gauche pour les bourgeoises c’est exactement ce que dénonce le texte posté par @monolecte

      les hommes de gauche estiment trop les putains et pas assez les épouses. Les femmes de droite n’ont pas tort. Elles craignent que la gauche, qui élève le sexe impersonnel et la promiscuité au rang de valeurs, les rendra plus vulnérables à l’agression sexuelle masculine, et qu’elles seront méprisées de ne pas aimer ça.

      Bourgeoise c’est aussi le synonyme d’épouse

    • Oui, oui, ça existe. Mais merci de ne pas m’asséner des généralités sur « les hommes de gauche » depuis cette exception. La norme prolo, c’est la « mère isolée » (c’est éventuellement elle la mère au foyer qui passe pas ou très peu par l’emploi, une pauvresse), ou le second salaire (moins payée, plus de temps partiel). Il semble que, selon l’Insee, même dans « dans les couples où seul l’homme occupe un emploi (21 % des couples), la femme contribue en moyenne pour 13 % au revenu du couple. »
      https://www.insee.fr/fr/statistiques/1281400

      Ma question était littérale (et je serais d’accord pour dire que la bourge est plutôt, en moyenne, en général, l’une des prolotes du bourge), j’ai pas lu le bouquin et je me demande si ces caractéristiques banalement sociales apparaissent quelque part.

      Par ailleurs, on sait que winneure s’écrit désormais aussi au féminin.

    • Je n’ai pas l’habitude d’argumenter avec les gens qui écrivent sous cape, en prétendant ne faire qu’une « mauvaise blague », mais Colporteur insulte Michele Briand en présumant qu’elle a travaillé à rabais. S’il s’intéressait réellement à ce qu’a été notre processus commun et la répartition des maigres recettes de notre patiente traduction des « Femmes de droite », il n’avait qu’à le demander. Mais il a préféré gratifier d’un de ses clichés le travail d’une féministe, traductrice professionnelle, tout en m’imputant un comportement sexiste, plaquant sa très lourde ironie sur notre travail.
      De Gaulle appelait ça « de la chiennerie ».

    • @colporteur dit :

      Par ailleurs, on sait que winneure s’écrit désormais aussi au féminin.

      c’est vraiment moche de lire ca - comme si l’idée qu’un individu de sexe féminin qui n’est pas une perdante était un scandale - oui il y a des femmes qui gagnent et cela depuis toujours. Comme il y a des noirs qui winnent aussi et cela depuis toujours et ca n’efface pas la structure raciste de la société. Cette remarque est une expression de pure misogynie typique des hommes de gauche comme l’explique tres bien Delphy dans la troisième partie de « nos amis et nous » que je profite pour reposté.
      –-------

      Nos amis et nous - Christine Delphy

      1 - À propos des fondements cachés de quelques discours pseudo-féministes (Première partie)
      https://lmsi.net/Nos-amis-et-nous

      2 - La révolution : prise de conscience ou match de foot ?
      (Deuxième partie)
      https://lmsi.net/Nos-amis-et-nous-Deuxieme-partie

      3 - Quand la haine des femmes se déguise en amour des prolétaires
      (Troisième partie sur mesure pour colporteur)
      https://lmsi.net/Quand-la-haine-des-femmes-se

      Cette haine des « bourgeoises » n’est pas, de toute évidence, provoquée par l’amour des femmes et de leur libération. Mais ce n’est même pas une haine limitée à une catégorie particulière de femmes. C’est la haine de toutes les femmes. Les « bourgeoises » ne sont particulièrement visées que dans la mesure où elles semblent échapper partiellement à l’oppression, ou à certaines oppressions, ou à l’oppression par certains hommes. La haine active est bien réservée pratiquement aux « bourgeoises » », à celles qui paraissent bénéficier d’un statut d’exception, d’une exemption scandaleuse. Mais que cette exemption supposée suscite l’indignation et la haine à l’égard de ses « bénéficiaires » montre quelle est la condition seule jugée convenable aux femmes : la seule qui n’éveille pas l’hostilité est une situation d’oppression totale. Cette réaction est classique dans les annales des relation entre groupes dominants et dominés, et a été amplement étudiée dans le Sud des États-Unis en particulier. La bienveillance paternaliste des Blancs pour les Noirs « qui connaissent leur place » et y restent se transforme curieusement en une fureur meurtrière quand ces Noirs cessent de connaître leur place. Les mouvements féministes américains ont aussi analysé les réactions masculines aux « uppity women », littéralement les femmes qui ne baissent pas les yeux.

      4 - La haine de soi comme fondement du gauchisme féminin
      (Quatrième partie)
      https://lmsi.net/Nos-amis-et-nous-Quatrieme-partie

      –----

    • La #culture_du_viol dénoncée par Dworkin en 4 points  :

      Le premier type de force est la violence physique : omniprésente dans le viol, la violence conjugale, l’agression.

      Le deuxième type de force est la différence de pouvoir entre les hommes et les femmes, qui fait d’emblée de tout acte sexuel un acte de force – par exemple, l’agression sexuelle des filles dans la famille.

      Le troisième type de force est économique : le fait de maintenir les femmes dans la pauvreté pour les garder sexuellement accessibles et sexuellement soumises.

      Le quatrième type de force est culturel, sur une grande échelle : une propagande misogyne qui transforme les femmes en cibles sexuelles légitimes et désirables ; des lois misogynes qui soit légitiment, soit autorisent concrètement l’agression sexuelle des femmes ; des pratiques misogynes de harcèlement verbal qui s’appuient sur la menace de violences physiques, dans la rue ou en milieu de travail ; des manuels universitaires misogynes qui font de la haine des femmes un élément central de la future pratique des médecins, des avocats et autres professionnels ; un monde de l’art misogyne qui pare l’agression sexuelle d’un vernis romantique, qui stylise et célèbre la violence sexuelle ; et des divertissements misogynes qui dépeignent les femmes en tant que classe sous des airs ridicules, stupides, méprisables et comme propriété sexuelle de tous les hommes.

    • Complément d’info sur le livre d’#Andrea_Dworkin :

      http://www.crepegeorgette.com/2014/08/17/femmes-droite-dworkin

      Dans la préface, Christine Delphy souligne qu’à part Dworkin peu de féministes ont évoqué la sexualité hétérosexuelle dans une société patriarcale. On a revendiqué le droit des femmes à se prémunir des conséquences de cette sexualité via la contraception et l’IVG.
      Dans la vision féministe comme dans la vision patriarcale, le viol, l’inceste sont vues comme des transgressions à la sexualité comme les violences conjugales sont vues comme des transgressions à la définition du mariage.
      Pourtant s’ils sont aussi banalisés c’est qu’ils sont tolérés sinon encouragés et que la violence est partie intégrante de la sexualité hétérosexuelle patriarcale comme le pense Dworkin.
      Dans ce livre Dworkin parle des femmes de droite qu’elle ne condamne pas mais dont elle regrette les choix. Elle estime qu’elles ont affaire à un pouvoir trop vaste et qu’elles se sont aménagées l’espace qu’elles pouvaient.
      La question se pose de savoir sir les gains du mouvement féministe ne peuvent être saisis par les hommes et utilisé contre les femmes. Ainsi elle rappelle que la libération sexuelles des années 60 a enjoint les femmes à être disponibles envers les hommes sinon elles étaient considérées comme non libérées.
      Delphy estime que les féministes ont échoué à définir la sexualité hétérosexuelle ; cela se définit toujours par un rapport sexuel qu’avant les femmes n’étaient pas censées aimer et que, maintenant elles doivent aimer.
      Dworkin dit que la violence de l’acte sexuel ne réside pas dans l’anatomie masculine mais dans l’interprétation qui en est faite.
      La sexualité hétérosexuelle devient un acte où la femme doit jouir de sa propre destruction, pour se conformer à l’archétype du masochisme féminin.
      Delphy critique le féminisme queer qui réduit le genre aux rôles dans la sexualité qu’on pourrait performer alors que les discriminations persistent, elles, bel et bien.

  • Coronavigation en air trouble (2/3) : petite politique de la peur | Le Club de Mediapart
    https://blogs.mediapart.fr/alain-damasio/blog/290420/coronavigation-en-air-trouble-23-petite-politique-de-la-peur

    En cédant à la peur, on cède du même coup aux stratégies triviales des pouvoirs. On les permet et on les facilite. On leur offre un boulevard. Comme m’écrivait mon ami Léo Henry, qu’est-ce qu’on doit penser d’un monde où les seules personnes qui ont le droit de circuler en toute liberté sont des flics ?

    Billet d’humeur de Damasio en 3 épisodes.
    Voir aussi :
    (1/3) https://blogs.mediapart.fr/alain-damasio/blog/270420/coronavigation-en-air-trouble-13
    (3/3) https://blogs.mediapart.fr/alain-damasio/blog/020520/coronavigation-en-air-trouble-33-pour-des-aujourdhuis-qui-bruissent

    #peur #sollicitude_de_l'État #Foucault #ortf #argent_magique #Damasio

    • Bon, pour questionner les positions récentes de #Alain_Damasio sur cette question, le texte de LMSI « Même pas peur ? » (https://lmsi.net/Meme-pas-peur ), lié par Rezo cette semaine vers là :
      https://seenthis.net/messages/852594

      Un écrivain de gauche, devenu une référence dans certains milieux militants, invoque lui aussi la « vie » et surtout le fait en employant les mêmes mots que la droite : la vie, c’est le courage, c’est la capacité à affronter le danger, la mort.

      « Avec sa liberté intacte, qu’accroissent et déploient nos liens soutenus avec les autres nous avons tout à la fois augmenté notre espérance de vie et abaissé notre niveau de tolérance au danger, à tout danger, même minime. Notre aptitude au courage a suivi : moins vive, moins coriace. Aujourd’hui, dans les pays développés, nos technococons sont si bien matelassés, nos conforteresses si bien protégées, notre hygiène si complète, que la moindre attaque nous paralyse puis suscite une réaction immunitaire disproportionnée. »

      Christophe Barbier ? Non, Alain Damasio [https://blogs.mediapart.fr/alain-damasio/blog/290420/coronavigation-en-air-trouble-23-petite-politique-de-la-peur ], qui au détour d’un « nous » étrange, semble oublier que tout le monde ne se prélasse pas sur le matelas soyeux de sa résidence à la campagne.

      À nos yeux, nous qui sommes peut-être lâches et peureux, la vie ne se mesure pas à l’exhibition toute individuelle, et tellement hautaine, de ses muscles devant le danger. Et quant à l’augmentation de l’espérance de vie, en quoi serait-elle fragilisante ?

      Nous le savons, chez Damasio ce sont aussi les combats et les luttes sociales qui donnent sens à la vie. C’est un homme de gauche, qui donc cite Foucault (référence obligée quand on parle du pouvoir), et non Montaigne. Mais dans quelques interviews récentes, ce sens du collectif semble englober aussi quelques entités habituellement valorisées par le camp réactionnaire :

      – L’Occident : « Notre Occident est en voie de dévitalisation avancée. » [https://reporterre.net/Alain-Damasio-Pour-le-deconfinement-je-reve-d-un-carnaval-des-fous-qui-r ]

      – L’armée : « Ce qui me semble à la fois suranné et beau, ce sont précisément ces valeurs d’entraide interne, de bloc, d’honneur et de courage, qu’on a parfaitement perdues ailleurs. » [https://www.lemonde.fr/m-perso/article/2020/04/30/alain-damasio-sur-le-confinement-nous-sommes-encages-comme-des-animaux-de-zo ]

      Au risque de passer pour les geignards de service, pour des mous, pour des froussards, il nous semble plutôt qu’on aurait tout intérêt à s’interroger sur les bienfaits de la peur et sur les vertus qu’il y a à l’exprimer, ne serait-ce que pour ne pas être paralysé par elle. Ces bienfaits existent pour soi car nous ne sommes, de toutes façons, pas des héros, et pour autrui, tant cet affect, bien plus que d’autres (comme, précisément, l’héroïsme, la vantardise et le surplomb), favorise aussi l’attention aux autres.

  • Même pas peur ? | Sébastien Fontenelle et Sylvie Tissot
    http://lmsi.net/Meme-pas-peur

    En ces temps de pandémie, il semble naturel d’avoir peur. Et pourtant (et la manière dont les gouvernants gèrent cette crise y est pour beaucoup), on se demande constamment de quoi on doit avoir peur exactement, et pour combien de temps, si on a trop peur ou pas assez. Les interrogations sont redoublées par les comportements très différents que l’on observe autour de nous : qui a raison ? Qui a tort ? Qui est imprudent ? Qui est anxieux à l’excès ? Au milieu de cette grande incertitude, une chose est sûre : les discours qui se répandent ces derniers temps autour de la peur et du courage (pour dénigrer l’une et exalter l’autre), de la mort et de la vie, des vieux et des jeunes, nous semblent très problématiques. Source : Les mots sont (...)

  • Les #universitaires, des travailleur.euse.s comme les autres ? Au sujet de la #grève à l’#université

    Rédigé par deux jeunes chercheurs·ses précaires, Anna Brik et Andréas Albert, ce texte voudrait contribuer à un débat déjà ancien, mais rouvert récemment à l’occasion de l’entrée des enseignant.e.s-chercheur.euse.s dans la lutte contre les réformes en cours, le débat sur la grève à l’université.

    Il cherche à montrer que les différentes positions sur la question de la grève exprimées par les membres de la communauté universitaire sont en grande partie déterminées par les visions spécifiques de l’évolution historique et du rôle social de l’université et des enseignant.e.s-chercheur.euse.s, visions qui sont elles-mêmes à saisir en lien avec les différentes positions sociales au sein du champ universitaire.

    Exercice de sociologie spontanée sans doute, mais qui essaye de parvenir à une meilleure compréhension des impasses et des perspectives du mouvement dans lequel Anna Brik et Andréas Albert sont engagé.e.s.

    *
    Au nom de la défense du « service public »

    L’université a connu d’importantes mutations au cours de la deuxième moitié du XXe siècle : l’institution autrefois réservée à l’élite cultivée, responsable de la formation des médecins, juristes et professeur.e.s, traverse une période de massification progressive à partir des années 1960[1] et connaît une véritable explosion des effectifs au cours des trente dernières années à la faveur de la politique « 80 % au bac »[2]. Pourtant, depuis une quinzaine d’années, les universités sont de plus en plus soumises à des mesures d’austérité, d’une part, et à la logique managériale de performance et de compétitivité, d’autre part. Pour parer au manque des fonds publics, les réformes successives incitent les universités à recourir à des sources de financement privées, à favoriser la recherche par projets, à mettre en place des projets de fusion, à augmenter les frais d’inscription pour les étudiant.e.s extra-communautaires, à employer toujours davantage de vacataires, etc. Les différents rapports préparant le projet de la loi de programmation pluriannuelle de la recherche (LPPR) préconisent un pas supplémentaire en direction de l’« université capitaliste » : atteinte au statut de fonctionnaire, accentuation de la précarité à tous les niveaux, généralisation de l’évaluation quantitative de la productivité des chercheur.euse.s par les organismes externes comme condition d’accès aux financements. En cela, la LPPR est une réforme de la même magnitude que la loi LRU 2009 qui met en place l’autonomie budgétaire des établissements de l’enseignement supérieur, et le décret qui l’accompagne et qui modifie le statut des enseignant.e.s-chercheur.euse.s. Aujourd’hui, les inquiétudes sont particulièrement fortes du côté des sciences humaines et sociales qui se trouveraient fortement marginalisées par la mise en place de ces nouvelles règles du jeu.

    Face à ces attaques, les membres de la communauté universitaire avancent généralement deux types de discours. Le plus ancien, dont la première formulation date du milieu du XIXe siècle, consiste à opposer l’« idée de l’université » humaniste, centrée sur la conservation, le développement et la transmission des savoirs, à toute tentative de la soumettre à des critères instrumentaux[3]. Ce discours qui défend l’autonomie de la science et des scientifiques prétend s’appuyer sur les caractéristiques essentielles de l’enseignement et de la recherche universitaires, en insistant sur l’incompatibilité de principe entre les fins de développement de la personne et la professionnalisation, entre la recherche de la vérité et la collaboration de la science et de l’industrie.

    Le second type de discours n’exclut pas la dimension instrumentale de l’université, ou plutôt la vision de l’université comme étant au service de la société, mais elle la pense uniquement sous la forme d’une subordination des activités universitaires au principe de l’intérêt général. C’est le discours de l’université comme « service public », dont on peut distinguer de manière schématique trois versions. La première insiste sur l’atteinte que porte la marchandisation de l’université et la destruction du statut de fonctionnaire à l’idéal républicain qui est au fondement de l’État moderne. Un des meilleurs exemples de cette position est formulé par Pierre Bourdieu dans divers écrits : le champ scientifique doit son indépendance scientifique (vis-à-vis du marché notamment) au fait d’être dépendant financièrement de l’État[4]. Servir l’État serait la condition nécessaire pour pouvoir se libérer de l’emprise de l’État et du marché sur la recherche scientifique. La deuxième version est celle d’un réformisme social-démocrate qui, contrairement à la version républicaine, reconnaît l’existence d’intérêts de classe divergents : l’université ouverte aux enfants de la classe ouvrière ne serait pas une institution intrinsèquement républicaine, mais le produit de la lutte des classes, un « acquis social » arraché à la classe dominante après la Seconde Guerre mondiale sous la pression continue des luttes sociales. Par rapport à cet acquis, qu’il s’agirait de préserver avec les autres acquis sociaux tels que les transports et les hôpitaux publics, la sécurité sociale, les congés payés, etc., la marchandisation récente représente une régression[5]. Enfin, la troisième version du discours sur l’université en tant qu’institution non marchande est celle de la tradition post-opéraïste qui radicalise le paradigme du service public : l’université, « précapitaliste » par son organisation, son procès de travail et ses valeurs, ferait partie des « communs » qui jusque-là ont échappé à la valorisation par le capital. Les transformations actuelles témoigneraient d’une tentative de capture de ce commun par le capital à travers la soumission de la recherche à des intérêts privés. On peut le voir par exemple à travers divers symptômes comme le système d’évaluation de la recherche par des critères quantitatifs et des critères de productivité, au détriment d’une slow science plus soucieuse de produire des résultats durables. Cette emprise reste cependant extérieure, car la coopération autonome de la communauté des producteur.rice.s de la connaissance reste essentielle au travail de la connaissance[6].

    L’insuffisance d’une approche en termes de service public

    Sans même parler du premier type de discours qui porte un regard essentialiste sur l’université, le discours du « service public », dont les versions républicaine et social-démocrate sous-tendent les modes d’argumentation d’une grande partie des enseignant.e.s-chercheur.euse.s titulaires, implique une vision naïve des rapports entre l’université et le capital d’avant les années 1980. Tout se passe comme si l’université des Trente Glorieuses avait mené une existence parallèle et complètement autonome par rapport au capitalisme fordiste, grâce aux robustes remparts construits par l’effort conjoint des enseignant.e.s-chercheur.euse.s et du mouvement étudiant.

    Ce présupposé ne résiste pas à l’analyse dès que l’on s’intéresse à la structure duale de l’université française, divisée entre grandes écoles et écoles préparatoires, d’un côté, et universités, de l’autre. Pourtant, l’université comme une simple branche de l’enseignement supérieur, dont les formations sont concurrencées par d’autres établissements plus prestigieux (écoles de commerce pour l’économie et la gestion, école normale supérieure pour les sciences humaines et sociales et les sciences expérimentales, etc.) est une spécificité française qui empêche la production d’un discours unifié sur l’enseignement supérieur et qui détermine la représentation du métier d’enseignant.e comme une forme de travail social. En adoptant un point de vue d’ensemble, il est pourtant aisé de voir que l’université n’est ni contrepoids, ni un remède aux établissements sélectifs et/ou privés : elle forme avec eux un seul système qui consiste à trier et à former de manière différenciée la future force de travail ou à retarder simplement son entrée sur le marché de l’emploi. Nous y reviendrons plus loin.

    Le processus progressif de massification de l’université a commencé dans les années 1960 sous les effets conjoints du baby-boom, de la croissance du taux de scolarisation, des nécessités économiques et de la lutte des classes. Les départements des sciences humaines et les nouvelles disciplines comme la sociologie et la psychologie sont celles qui ont accueilli le plus d’enfants de cette première « démocratisation » universitaire, principalement à cause de la place qu’elles occupaient dans la hiérarchie des disciplines et du fait que les normes d’encadrement étaient les moins exigeantes[7]. Cependant, il faut rappeler que même en 1985, seulement 29 % d’une génération obtient le bac, contre 78 % en 2015[8]. L’accès aux titres universitaires des enfants de familles ouvrières et de familles issues de l’immigration est le résultat de la politique « 80 % au bac » promue par les socialistes à la fin des années 1980, en plein tournant néolibéral, avec pour but explicite d’enrayer le chômage des jeunes. Là encore, les départements des sciences humaines et sociales ont largement absorbé ces populations étudiantes, en bénéficiant d’une augmentation du nombre de postes tout au long des années 1990. Il serait donc erroné d’opposer l’ancienne « université ouverte à tou.te.s » et la nouvelle « université néolibérale » : l’émergence de la première est allée de pair avec la restructuration du capitalisme français dans les années 1980 et a constitué une condition préalable de la seconde.

    Enfin, force est de reconnaître que l’idée de l’université comme une république démocratique des enseignant.e.s-chercheur.euse.s fondée sur la coopération et l’autonomie de la recherche pure est une utopie immanente à la mobilisation plus qu’une description fidèle du présent : les rapports entre les enseignant.e.s-chercheur.euse.s titulaires et non-titulaires ont gardé tout au long de leur histoire les traits des rapports de pouvoir clientélistes. La vision que les enseignant.e.s-chercheur.euse.s ont de leur métier est beaucoup trop irénique et contribue à faire oublier que le recrutement se fait souvent par cooptation : les liens directs ou indirects des laboratoires avec les entreprises et les pouvoirs publics sont nombreux, la concurrence entre les universités, les disciplines, les départements, les laboratoires et les individus n’a jamais été absente de l’institution. En cela, nous ne disons rien de nouveau lorsque nous affirmons qu’il ne faut pas « sauver l’université »[9].

    L’approche marxiste fonctionnaliste

    Contre l’idée selon laquelle l’université serait directement au service de l’intérêt général par opposition aux intérêts privés, qu’elle représenterait une sphère autonome voire antinomique par rapport à sphère de la production et de l’échange capitalistes, on peut évoquer les approches marxistes fonctionnalistes de l’université comme celles d’Emmanuel Barot[10] (qui s’appuie principalement sur l’analyse des appareils idéologiques d’État chez Althusser[11]) ou de Harry Cleaver[12]. Pour résumer, disons que ces approches défendent la thèse selon laquelle l’université moderne est une partie intégrante de la société capitaliste et de son histoire, voire que l’université est fonctionnelle à l’économie capitaliste, et qu’elle tend à adopter, avec toujours un certain retard, la même structure que la firme capitaliste.

    L’université assume en effet au moins deux fonctions : celle de la reproduction de la force de travail pour ce qui est de sa qualification spécialisée, et celle de la reproduction des rapports de production, c’est-à-dire du consentement à l’ordre social existant. Ainsi, prenant le relais de l’enseignement primaire et secondaire, l’université représente un maillon central dans le maintien de la division sociale mais aussi technique du travail, puisque les formations relevant du même champ disciplinaire n’ouvrent pas l’accès aux mêmes types de postes selon le prestige de l’établissement et les matières enseignées. Elle accomplit ainsi, d’un seul coup, la répartition largement prédéterminée des individus au sein de la structure de classe, et la justification de cette structure en la faisant passer au crible de la méritocratie scolaire. Autrement dit, l’École, de la maternelle à l’université, divise les jeunes selon leur classe sociale d’origine, et les distribue dans des filières plus ou moins qualifiantes selon les besoins plus ou moins immédiats du capital. Dans L’École capitaliste en France, Christian Beaudelot et Roger Establet affirmaient dès 1972 que le système scolaire affiche une unité de façade. La soi-disante « mission éducatrice » des enseignant.e.s, quel que soit le niveau, ne serait qu’un mirage puisqu’une filière professionnalisante de courte durée était destinée aux enfants du peuple, tandis qu’une filière prestigieuse et de longue durée était destinée aux enfants de la bourgeoise et de la petite-bourgeoisie. Ces analyses des années 1970 seraient à revoir, notamment en raison de l’allongement de la durée d’études et des besoins plus importants des entreprises en termes de qualification de la main-d’oeuvre, mais restent pertinentes.

    La production du consentement passe par le contenu même des savoirs produits et transmis, ainsi que par la forme de leur transmission, forme qui tend à neutraliser la force subversive des savoirs les plus critiques. Sur ce point, les enseignant.e.s-chercheur.euse.s ne se lassent pas de défendre l’idée d’une université et de savoirs critiques. Pourtant, il est légitime de se demander en quoi consiste le caractère critique d’un savoir et si, malgré leur enrobage dans un langage radical, ces savoirs ne sont pas, en fin de compte, compatibles avec la société capitaliste. Sur ce point, on pourrait aussi remettre en question l’idée souvent défendue par les enseignant.e.s-chercheur.euse.s impliqué.e.s dans la mobilisation contre la LPPR, selon laquelle pratiquer des « savoirs critiques » ou donner des cours « alternatifs » serait en soi une forme d’action efficace contre les réformes. Souvent ces cours n’ont rien de fondamentalement différent des cours assurés habituellement et ils nécessitent de la part des enseignant.e.s autant de préparation et de travail en amont qu’un cours normal[13]. Enfin, on peut rajouter qu’en tant qu’institution d’enfermement, même très relatif, l’université remplit une fonction directement coercitive de maintien de l’ordre public, et il semblerait que c’est en partie pour cette raison que la « démocratisation » de l’université est apparue dans les années 1980 comme une solution viable au problème du chômage des jeunes.

    Si l’université a pu jusqu’ici jouir d’une autonomie relative bien réelle (« franchise universitaire », principe de collégialité, liberté pédagogique, relative indépendance dans la conduite de la recherche, etc.), c’est peut-être parce que les processus de reproduction possèdent leurs propres impératifs. Ce que les nouvelles règles du jeu tendent à remettre en question, ce n’est donc pas l’opposition entre le privé et le public, entre l’intérêt général et les intérêts du capital, mais le rapport ancien entre les processus de production et de reproduction. L’intégration directe d’une partie des activités d’enseignement et de recherche dans les processus d’accumulation, ainsi que la transposition généralisée dans la sphère de la reproduction des modes de gestion propres à la sphère de la production représentent un pari dangereux pour la classe dominante elle-même.

    Malgré les atouts indéniables de l’appareil critique du marxisme fonctionnaliste, il nous semble nécessaire de pointer quelques-unes de ses limites. Premièrement, en balayant d’un revers de main la possibilité réelle du détournement des ressources financières et humaines de l’université au profit des enseignements et des programmes de recherche à contenu anti-systémique par l’argument de l’intégration capitaliste du moment critique, cette approche tend à simplifier les choses. Au lieu de déserter l’université comme lieu de reproduction sociale et de production de l’idéologie dominante, il est possible d’imaginer une science et un enseignement qui se mettent véritablement au service des dominé.e.s, qui dialoguent avec ces dernièr.e.s et qui co-construisent un savoir subversif. En effet, l’approche de l’université en termes d’appareil idéologique d’État conduit à l’idée d’un système de domination parfaitement achevé, en négligeant les contradictions internes à l’institution et l’influence de la lutte de classes, alors qu’on peut penser, à l’instar de Gramsci, que l’université représente l’un des terrains privilégiés de celle-ci[14]. Deuxièmement, alors qu’elle critique à juste titre le paradigme du « service public » en tant qu’instrument de l’analyse du présent, en s’en détournant avec mépris, elle s’empêche de voir l’aspect subversif et utopique (au sens positif du terme) que ce paradigme peut représenter à titre de norme immanente au travail de l’enseignant.e-chercheur.euse.

    Les obstacles à la grève des enseignant.e.s-chercheur.euse.s titulaires

    Dans «  »Sauver » l’université ? », texte publié en 2009 suite à l’échec du mouvement anti-LRU, Emmanuel Barot avait déjà suggéré que le paradigme social-démocrate de l’université comme service public avait constitué l’obstacle principal à l’extension de la grève à l’université. Cependant, c’est finalement à partir de l’analyse de l’ethos ou de l’habitus académiques que Barot a tenté d’expliquer cet échec : ceux-ci auraient empêché les enseignant.e.s de se mettre en grève contre la loi LRU et favorisé des méthodes d’action symboliques dont l’inefficacité était flagrante. À notre sens, il faudrait revenir à l’hypothèse initiale et présenter quelques réflexions à propos des conditions structurelles et épistémologiques de l’engagement dans la grève que le paradigme du service public ne permet pas de réunir.

    Premièrement, faire grève, pour un travailleur dont la force de travail est déjà devenue une marchandise, veut dire refuser de continuer à la fournir à l’acheteur. Or, les enseignant.e.s-chercheur.euse.s titulaires ne se conçoivent pas comme (et de par leurs conditions de recrutement, de travail et de rémunération ne sont pas) des travailleur.euse.s salarié.e.s exploité.e.s au sens propre du terme. Sans même parler du fait que la production directe de la valeur n’occupe pas la place centrale de leur activité, on peut remarquer que sur le plan juridique d’abord, en tant que fonctionnaires, ils et elles reçoivent un traitement annualisé et non un salaire au taux horaire ; sur le plan des rapports de pouvoir ensuite, les universitaires ne sont pas en principe subordonné.e.s au pouvoir disciplinaire de l’employeur[15], et participent tou.te.s à l’auto-gouvernement de leurs établissements (en siégeant dans diverses instances administratives ou scientifiques), tandis que le recrutement, les promotions, les publications et l’évaluation reposent en grande partie sur le principe de collégialité ; enfin, sur le plan du procès immédiat de travail, une liberté pédagogique et de recherche reste pour l’instant relativement grande selon les disciplines.

    Deuxièmement, faire grève impliquerait la reconnaissance du fait que l’université est déjà une entreprise, ou qu’elle remplit une fonction de reproduction au sein de la société capitaliste. Or, en mettant en avant la dimension désintéressée du savoir produit et transmis, la stratégie argumentative du paradigme du service public consiste justement à refuser cette prémisse. Si le capital est conçu comme quelque chose d’extérieur à l’université, alors arrêter la machine universitaire ne peut être pensé qu’en termes d’autopunition et de punition infligée aux étudiant.e.s.

    Enfin, la tentation corporatiste qui empêche de concevoir la grève universitaire comme un facteur de renforcement du mouvement de grève plus général dans le cadre de la lutte contre la réforme des retraites, apparaît aussi comme une conséquence presque inévitable de la ligne d’argumentation en termes de « service public ». Puisqu’elles/ils pensent incarner l’intérêt universel, les fonctionnaires tendent à prendre la défense de leur intérêt corporatif pour la défense de l’intérêt de tou.te.s, ce qui conduit au désengagement relatif par rapport aux luttes des autres secteurs.

    Les précaires à l’avant-garde

    On ne peut qu’être frappé par le fait que les mots d’ordre et les stratégies de lutte des enseignant.e.s-chercheur.euse.s précaires dépassent les obstacles décrits ci-dessous. L’appel du collectif de précaires de l’enseignement supérieur et de la recherche d’Île-de-France, diffusé le 30 janvier sur le site de Médiapart, ne saurait être plus clair : il faut étendre la grève sous toutes ses formes ; refuser le corporatisme par l’inscription de la grève universitaire dans la grève générale ; jeter les ponts entre les enseignant.e.s-chercheur.euse.s et les étudiant.e.s dans la lutte commune contre la précarité comme phénomène général qui touche de larges couches de travailleur.euse.s, présent.e.s et futur.e.s.

    La radicalité de cet appel, et l’engagement quotidien réel qui lui donne sa consistance, sont à première vue paradoxaux. On pourrait en effet penser que les enseignant.e.s-chercheur.euse.s titulaires n’auraient rien à perdre à se mobiliser, notamment en termes de statut ou de salaire, alors que ce n’est pas le cas des précaires : dans les conditions de concurrence croissante pour les postes, la mobilisation constitue à la fois une perte de temps de travail précieux et un risque de s’exposer aux sanctions informelles de la part des collègues responsables des recrutements. Mais en fait, c’est précisément la position des précaires dans le champ universitaire et le niveau actuel de concurrence pour les postes qui rend ce type de lutte possible.

    Au-delà de la conviction bien réelle de l’efficacité de la grève à l’université, l’appel à la « grève totale » (des enseignements, de la délivrance des diplômes, et jusqu’à l’arrêt de publication d’articles et la suspension de toute activité individuelle de la recherche) contient la revendication du statut de « travailleur.euse.s », qui doit notamment passer par la reconnaissance de tout le travail invisible effectué par les précaires. En d’autres termes, contrairement aux enseignant.e.s-chercheur.euse.s titulaires qui ont tendance à ne pas compter les heures parce que le traitement du fonctionnaire n’est ni inférieur, ni supérieur, mais par définition incommensurable avec la quantité de travail fourni, les précaires se positionnent comme des travailleur.euse.s salarié.e.s de l’université déjà pensée comme une entreprise. Dans ces conditions, l’appel à la grève totale apparaît aussi comme une arme symbolique : elle permet de visibiliser l’armée de travailleur.euse.s précaires qui assure désormais une grande partie des cours dans les universités. C’est au titre de travailleur.euse.s de l’université que les précaires revendiquent également le droit à la parole, notamment à travers la participation à toute prise de décision collective au sein de leurs équipes de travail – droit qui leur est souvent refusé.

    Dans l’université en crise, où la possession des titres scolaires et universitaires ne peut plus garantir l’accès à un poste, l’illusion du rapport entre le maître et l’apprenti, qui n’aurait qu’à attendre patiemment son tour, ne peut plus être maintenue. Le travail de thèse, la participation aux colloques, les charges de cours, etc. ne se présentent plus comme un processus de formation nécessaire (et suffisant) pour accéder à la maîtrise, mais comme l’exploitation d’un travail précaire mal payé, voire comme l’appropriation pure et simple du travail gratuit par l’institution. Ce n’est qu’en effectuant cette conversion de regard – que beaucoup d’universitaires titulaires n’ayant pas connu la précarité, ou l’ayant connu il y a longtemps, lorsque les conditions d’accès aux postes n’étaient pas les mêmes qu’aujourd’hui, refusent d’effectuer – que les thèses non financées, les vacations payées en-dessous du salaire minimum et avec plusieurs mois de retard peuvent apparaître pour ce qu’elles sont aux yeux de celles et ceux dont l’espoir des retours futurs sur l’investissement se réduit à peau de chagrin : un scandale eu égard au droit du travail.

    L’analyse bourdieusienne de la crise qui a secoué le champ universitaire en Mai 68 s’avère d’une actualité frappante lorsqu’il s’agit d’éclairer le conflit qui oppose aujourd’hui les enseignant.e.s-chercheur.euse.s titulaires et précaires, et qui porte ces dernièr.e.s à adopter des positions et des modes d’action à la fois plus radicaux et moins corporatistes au sein de la mobilisation contre les réformes en cours. Homo academicus (1984) propose une histoire structurelle des changements que le champ universitaire a subi au cours des années 1950-1960[16]. Dans l’ancienne université, le corps des enseignants subalternes (ou précaires comme on dirait aujourd’hui), constitué presque exclusivement d’hommes agrégés avec une forte proportion de normaliens, n’était pas beaucoup plus nombreux que celui des professeurs titulaires, permettant un accès quasi garanti des jeunes enseignants à la carrière universitaire. Mais la « reproduction heureuse » de l’institution grâce à ce mécanisme d’identification anticipée a été fortement perturbée par la première vague de la « démocratisation » de l’université. Face à l’augmentation rapide de la population étudiante, qui a triplé entre 1949 et 1969, l’université a répondu par un recrutement massif d’enseignant.e.s précaires, dont le nombre dans certaines facultés dépassait désormais de dix fois le nombre de professeurs titulaires. Alors que la nouvelle situation a imposé au corps professoral la révision de l’ancienne norme de recrutement, fondée sur la détention du titre de normalien et d’agrégé, les nouveaux entrants dépourvus de ces titres ont rapidement découvert que le maintien de l’ancienne norme d’accès au poste de titulaire rendait leur promotion largement illusoire. C’est cette « contradiction entre les promesses inscrites dans leur recrutement et l’avenir réellement assuré par des procédures inchangées de carrière »[17] qui a mis le feu aux poudres, engageant les enseignant.e.s précaires, aux côtés des étudiant.e.s affecté.e.s par la dévalorisation analogue de leurs titres scolaires, dans la lutte contre l’institution comme telle et le monde social qui la produit.

    « Et l’on peut sans doute reconnaître là une réalisation particulière d’un modèle général des processus révolutionnaires : la rupture objective du cercle des espérances et des chances conduit une fraction importante des moins dominés parmi les dominés (ici les catégories intermédiaires d’enseignants, ailleurs les petits-bourgeois) à sortir de la course, c’est-à-dire d’une lutte de concurrence impliquant la reconnaissance du jeu et des enjeux posés par les dominants, et à entrer dans une lutte que l’on peut dire révolutionnaire dans la mesure où elle vise à instituer d’autres enjeux et à redéfinir ainsi plus ou moins complètement le jeu et les atouts permettant d’y triompher[18]. »

    Sans nier les limites de tels rapprochements historiques, on peut risquer l’hypothèse que la période que traverse actuellement l’université partage avec celle décrite par Bourdieu le caractère de transition et de crise, qui se cristallise subjectivement autour des souffrances liées à la précarité et à la concurrence accrue pour les postes. La logique concurrentielle se voit redoublée par l’ouverture de l’université française à la concurrence internationale et par l’imposition de nouvelles règles d’avancement des carrières, à travers la substitution des normes de productivité exprimées en termes quantitatifs à celles fondées sur les titres scolaires et les réseaux interpersonnels.

    La ligne stratégique des précaires au sein du mouvement, qui correspond à leur position actuelle au sein du champ universitaire, peut être résumée de manière suivante. Elle consiste, premièrement, à rejeter simultanément les règles de jeu, anciennes et nouvelles. Contrairement aux enseignant.e.s-chercheur.euse.s titulaires, les précaires ont moins la tentation de formuler une critique de l’ « université capitaliste » au nom du statu quo. En effet, très peu d’entre eux/elles sont prêt.e.s à se mobiliser pour l’université telle qu’elle existe aujourd’hui. Deuxièmement, la perspective d’une période de précarité plus ou moins prolongée pousse également à refuser la focalisation sur la réforme du statut de l’enseignant.e-chercheur.euse, et à s’engager résolument dans la lutte contre la réforme des retraites. Enfin, l’accent central mis sur la précarité offre une possibilité réelle de convergence des luttes, de par le lien explicitement établi entre la précarité des enseignant.e.s et des personnels administratifs et la précarité étudiante, ainsi que celle des larges couches des travailleur.euse.s d’autres secteurs.

    Pour une grève totale à l’université

    L’importance de la grève à l’université n’est pas à minimiser. Une « grève totale », qui inclurait, outre des actions symboliques comme les grèves des revues, une grève des enseignements et des examens, avec possiblement une rétention des notes, pourrait créer une alliance stratégique entre enseignant.e.s-chercheur.euse.s titulaires, précaires, BIATSS et étudiant.e.s. dans la mobilisation. Les précaires seraient en quelque sorte « couverts » par la grève des enseignant.e.s-chercheur.euse.s titulaires, tandis que les étudiant.e.s ne seraient plus tenu.e.s de préparer des partiels ou de rendre des travaux, ce qui leur permettrait de se consacrer entièrement à la lutte. Les BIATSS[19], dont le travail est fondamental pour le fonctionnement des départements et des laboratoires, seraient pour leur part déchargé.e.s du travail que leur donnent les enseignant.e.s-chercheur.euse.s. Pourtant, force est de constater que les enseignant.e.s-chercheur.euse.s hésitent encore entre différents modes d’action. La grève des revues scientifiques et des activités de recherche est ce qui retient le plus l’attention des médias, malgré sa dimension symbolique et son impact très limité[20]. Comme le remarque aussi le bureau de l’ANCMSP dans un mail envoyé le 14 janvier sur la liste interne, ce genre d’actions n’a d’effet que s’il est accompagné d’un soutien des titulaires aux enseignant.e.s-chercheur.euse.s précaires sur le long terme (intégration dans des équipes de recherche, dans des comités de rédaction de revues scientifiques, etc.). Enfin, on ne peut que constater que les enseignant.e.s-chercheur.euse.s se sont très peu adressé.e.s au mouvement étudiant, répétant la configuration de 2007-2009, où les étudiant.e.s ont été les premièr.e.s à se mobiliser, suivi.e.s par les enseignant.e.s-chercheur.euse.s un an plus tard. Aujourd’hui, la mobilisation des enseignant.e.s-chercheur.euse.s a lieu elle aussi deux ans après celle des étudiant.e.s contre Parcoursup.

    Cet article n’a pas pour ambition de distribuer les bons et les mauvais points mais de proposer une analyse tendancielle qui puisse contribuer à formuler des propositions stratégiques pour le mouvement à l’université : celles-ci s’élaborent collectivement dans les multiples assemblées et réunions qui ont rythmé les dernières semaines. Pour nous, la motion issue de la coordination nationale des facs et des labos en lutte du 1er et du 2 février va dans le bon sens, puisqu’elle se positionne résolument contre la précarité qui affecte une grande partie des enseignant.e.s-chercheur.euse.s, tout en appelant à mettre à l’arrêt l’université le 5 mars. Pourtant, la question de la grève reconductible reste en suspens. Nous avons voulu simplement essayer d’expliciter quelques obstacles auxquels se heurte l’extension de la grève. Pour les arguments en faveur de sa nécessité, de son urgence même, nous nous permettons de renvoyer les lecteur.rice.s à quelques textes qui nous semblent utiles :

    1/ « Précaires de l’enseignement et de la recherche : on ne soutient pas la grève, on la fait ou on l’empêche » : https://blogs.mediapart.fr/les-invites-de-mediapart/blog/300120/precaires-de-l-enseignement-et-de-la-recherche-ne-soutient-pas-la-gr

    2/ Oskar Ambrepierre, « Grève à l’Université ? À propos des débats stratégiques dans le mouvement » : https://revolutionpermanente.fr/Greve-a-l-Universite-A-propos-des-debats-strategiques-dans-le-m

    3/ Lune Riboni, « Pourquoi être en grève dans l’#enseignement_supérieur et la recherche » : http://lmsi.net/Pourquoi-etre-en-greve-dans-l-ESR-Enseignement-superieur-et-recherche

    4/ Kevin Vacher, « Dis-moi, c’est quoi une grève (dans la recherche et à l’université) ? » : https://blogs.mediapart.fr/kevin-vacher/blog/040518/dis-moi-c-est-quoi-une-greve-dans-la-recherche-et-l-universite

    https://www.contretemps.eu/greve-universite-precaires
    #travail #ESR

  • Le viol ne suffit pas | Sol Brun
    http://lmsi.net/Le-viol-ne-suffit-pas

    Beaucoup de choses ont changé depuis les « premières lois » évoquées par Brownmiller, qui publiait en 1975 l’un des premiers ouvrages analysant le viol comme un acte politique [1]. Mais beaucoup d’autres n’ont que très peu évolué, en particulier cette fondamentale déconnexion entre le viol comme crime odieux, qui indigne unanimement et qui est puni sévèrement [2]. C’est d’ailleurs ce que Valérie Rey-Robert décrit comme un processus de « dissociation collective », qui se trouve à l’origine d’un insoluble paradoxe : « le viol est un crime sans coupable. » [3] Il est un crime sans coupable, parce que le violeur c’est toujours l’autre, et parce que le viol ne correspond jamais assez bien à sa version mythifiée [4]. Mais je crois que j’irai même plus loin : ce n’est pas seulement que le viol est un crime sans (...)

  • #Sous-traitance = #maltraitance dans nos facs et labos

    La sous-traitance – en particulier pour les personnels de s#écurité, de #ménage, d’#accueil et de restauration – est de plus en plus importante dans l’enseignement supérieur et la recherche (#ESR). De manière structurelle, les conditions de travail de ces travailleurs et travailleuses sont catastrophiques : salaires extrêmement faibles, travail dissimulé, marchandage, sanctions et licenciements abusifs, endettement des salarié·es auprès des entreprises…
    Les #multinationales comme #Elior, #Eurest ou #Derichebourg qui gèrent la #restauration ou le #nettoyage de nombreux sites publics de l’enseignement supérieur et de la recherche (ESR) ont à plusieurs reprises été dénoncées pour leur pratiques d’exploitation éhontées de travailleur·ses sans-papiers ou de licenciement abusif. A cela s’ajoute le racisme, le mépris de classe, la xénophobie et le sexisme de leurs employeurs et de la communauté scientifique, qui se traduit par l’absence de reconnaissance et d’estime pour leur travail, par l’indifférence à leurs conditions de travail, par leur exclusion des espaces collectifs professionnels et, dans de nombreux cas, par des insultes, du harcèlement moral, des agressions physiques et des violences sexuelles (sur les discriminations et violences racistes et sexistes structurelles dans l’ESR, lire cet article : http://lmsi.net/Vos-asterisques-sont-trop-etroits-pour-nos-vecus).

    GESTION DU COVID-19 = MISE EN DANGER DE MORT

    Si de nombreuses personnes salariées de l’ESR, ont eu accès au télétravail, les employé·es de la sous-traitance travaillent quotidiennement sur les sites qui sont restés ouverts, notamment pour faire du travail inutile dans le contexte de pandémie. Certain·es doivent même travailler davantage : « Profiter de l’absence des cadres pour faire le ménage de printemps dans les bureaux » !
    Ils et elles travaillent sans information fiable sur le COVID-19 et sans matériel approprié, en prenant les transports en commun pendant de longues heures afin de rejoindre leur lieu de travail. D’ordinaire déjà, nous dénonçons l’hypocrisie des directions d’établissements qui se défaussent de leur responsabilité d’employeur en laissant des entreprises exploiter jusqu’à l’os ces salarié·es dans les universités. Avec la pandémie actuelle de COVID-19, nous considérons que cette indifférence est criminelle.

    Les travailleuses et travailleurs de la sous-traitance dans l’ESR, très souvent employé·es en CDD et en temps partiel contraint, travaillent dans la peur vis-à-vis de leurs supérieur·es hiérarchiques, ce qui rend difficile l’exercice de leur droit de retrait ou de recours syndicaux. Ils et elles sont également très isolé·es du fait du traitement inégalitaire (travail sur site versus télétravail ou dispense de travail) entre travailleur·ses dans les universités et laboratoires, et trouvent peu de soutien pour dénoncer leur exploitation ainsi que les risques qu’ils et elles doivent prendre. Ce traitement inégalitaire est une évidence dans la gestion de la division du (non-)travail dans cette période de crise. Dans un même corps de métiers sur les sites de l’École normale supérieure (sécurité, ménage, etc.), les agent·es des entreprises de sous-traitance sont mobilisé·es pour travailler sur site alors que les collègues « avec statuts », et les étudiant·es, obtiennent des aménagements et des accords pour rester confiné·es à leur domicile.

    JUSTICE POUR LES TRAVAILLEURS ET TRAVAILLEUSES

    Ainsi, la pandémie actuelle ne rend que plus saillantes les inégalités préexistantes. De nombreux travailleurs et travailleuses précarisé·es poursuivent le travail pour assurer la chaine d’approvisionnement ou encore le ramassage des ordures. Cela révèle au grand jour les inégalités, entre ceux et celles à qui l’on ordonne de se présenter à leur poste de travail, et ceux et celles que l’on encourage à se mettre en télétravail pour respecter le confinement (voir cette lettre d’un ouvrier du BTP adressée à la Ministre du Travail). Les premièr·es, à qui l’on fait prendre tous les risques au service des second·es, à qui on demande de rester chez soi. De la même façon, la classe dirigeante s’entête à assurer une « continuité » de la production qui n’a de sens que pour les actionnaires, exposant directement les plus précaires comme en témoignent nombre de travailleurs et travailleuses contraint·es à travailler malgré la pandémie. Cela est insupportable !

    Néanmoins, malgré les circonstances exceptionnelles, la contestation sociale demeure forte ! Le personnel de ménage de l’hôpital de Lewisham de Londres s’est mis en grève le 12 mars pour protester contre le non-paiement des salaires ainsi que contre le manque de mesures et de matériel de protection face au coronavirus. L’université londonienne de SOAS a enregistré son premier cas de COVID-19 le 6 mars mais n’a pris aucune mesure de fermeture de l’établissement et de protection. La direction s’est vue dénoncée pour avoir envoyé deux agents du ménage nettoyer une pièce très probablement contaminée par le coronavirus sans aucune protection ni information. Le personnel de ménage de cette université, mais aussi d’un hôpital de Nantes, ont porté leurs revendications, notamment contre la sous-traitance et le mépris que celle-ci exprime. L’action collective, l’exercice du droit de retrait et du droit d’alerte, la grève et la solidarité restent les leviers des travailleurs et travailleuses comme l’ont montré les grèves de mars dernier en Italie, où le gouvernement a décrété la fermeture des industries et activités non-essentielles le 22 mars 2020, suite à des mouvements de grève contre l’obligation de travailler dans un contexte de pandémie meurtrière.

    Ici, nous souhaitons rappeler aux directions d’établissement leur responsabilité pénale et leur faire comprendre que nous ferons tout notre possible pour que leurs actes aient des conséquences, pour elles et eux aussi.
    Nous souhaitons aussi rappeler aux camarades de lutte de l’ESR le sort de ces travailleurs et travailleuses, hier méprisé·es, aujourd’hui sacrifié·es. Soutenons-les de toutes nos forces !

    Face à cette situation indigne, nous exigeons immédiatement :

    Le dépôt d’un droit d’alerte par les représentant·es du personnel auprès du CHSCT en raison du danger imminent qu’encourent les employé·es de la sous-traitance.

    Le recensement des employé·es de sous-traitance qui travaillent et l’évaluation de leurs conditions de travail pendant le confinement.

    Puisque personne doit se retrouver contraint à fournir un travail non-essentiel en temps de pandémie, tous et toutes doivent recevoir leur paie et leur autorisation d’arrêt de travail.

    Cette situation révoltante nous montre que l’on doit construire la lutte pour :

    L’internalisation des travailleur·ses en sous-traitance dans l’ESR, notamment pour une amélioration des conditions de travail et de rémunération de ce personnel essentiel à la mission pédagogique et scientifique hors-confinement ;

    La #régularisation des personnes sans #titre_de_séjour et l’obtention d’un titre de séjour de longue durée pour les employé·es de la sous-traitance.

    Nous appelons également à la création de collectif de soutien aux employé·es de la sous-traitance dans tous les sites universitaires et de recherche pour rendre visible et soutenir leurs revendications individuelles et collectives.

    https://universiteouverte.org/2020/04/07/sous-traitance-maltraitance-dans-nos-facs-et-labos
    #externalisation #université #facs #France #travail #exploitation
    #coronavirus #covid-19 #confinement

  • Plusieurs articles mentionnent un effet « révélateur » de la crise sanitaire. En particulier en ce qu’il concerne les inégalités, la précarité alimentaire et les rapports de forces dans la production.

    En Suisse :

    https://lecourrier.ch/2020/03/24/derriere-le-covid-19-les-inegalites-sociales
    https://www.letemps.ch/opinions/coronavirus-un-revelateur-lordre-social
    https://lecourrier.ch/2020/03/19/inegalite-devant-le-virus
    https://www.letemps.ch/suisse/coronavirus-linquietante-situation-apprentis
    https://lecourrier.ch/2020/03/31/les-sans-papiers-a-lheure-du-covid-19
    https://www.laliberte.ch/news/culture/litterature/le-virus-nous-revele-556462

    En France :

    https://www.lemonde.fr/economie/article/2020/04/01/cette-crise-met-en-evidence-les-conditions-de-vie-tres-inegales-des-francais
    http://lmsi.net/Le-COVID-19-comme-revelateur
    https://www.liberation.fr/debats/2020/03/29/virus-les-privilegies-et-les-autres_1783489
    https://www.huffingtonpost.fr/amp/entry/avec-le-coronavirus-et-le-confinement-le-scandale-des-inegalites-sociales-eclate_fr_5e735534c5b63c3b648b2938/?ncid=other_twitter_cooo9wqtham

    Les catastrophes naturelles affligeant les Tikopias, les tensions dans les systèmes de parentés et de réciprocités : Marshall Sahlins parle de « crise révélatrice » (1972:124), pour désigner ces événements qui « mettent à nu » les contradictions structurelles dans les systèmes de parenté comme dans les modes de productions. Oliver-Smith précise : une mise à nue qui découle de « la réduction aux priorités les plus élémentaires de la vie sociale, culturelle et matérielle. » (1996:304).

    Marshall, S. (1972). Stone age economics . Aldino Do Gruyter/Now York.

    Oliver-Smith, A. (1996). Anthropological research on hazards and disasters . Annual review of anthropology, 25(1), 303-328.

  • Le COVID-19 comme révélateur | Philippe Blanchet
    http://lmsi.net/Le-COVID-19-comme-revelateur

    Depuis le début de la crise sanitaire, le président de la République Française, Emmanuel Macron, a solennellement pris la parole par trois fois pour s’adresser à la population du pays à une heure de grande écoute. On trouve le texte de ces allocutions sur le site internet de la présidence de la république : « Adresse aux Français » le 12 mars depuis l’Élysée, « Adresse aux Français » le 16 mars depuis l’Élysée, « Allocution » le 25 mars depuis Mulhouse. Il est frappant, en écoutant et en relisant ces trois discours, que le président de la République s’adresse explicitement, avec insistance, « aux Français » exclusivement (c’est d’ailleurs le titre officiel de ses deux premiers discours), à ses « compatriotes », à « la nation ». Il n’a en aucune manière inclus dans ses discours les personnes qui sont concernées (...)

  • Vos #astérisques sont trop étroits pour nos vécus - Les mots sont importants (lmsi.net)
    http://lmsi.net/Vos-asterisques-sont-trop-etroits-pour-nos-vecus
    À propos du #racisme dans l’#enseignement_supérieur_et_la_recherche en France, et de son #déni

    par Collectif #LKJ
    5 mars 2020

    En région parisienne, #Parcoursup fait jouer à plein la #ségrégation territoriale qui oppose les banlieues populaires et leurs facs aux établissements parisiens - et avec elle, l’imaginaire raciste qui l’accompagne. Les facs peuvent pondérer les résultats d’un élève en lycée selon le lieu où ce dernier se trouve, et négocient de surcroît un quota de boursier.e auprès du rectorat. Sans surprise, la filière du droit à Assas, au cœur de Paris, ne recrute que 2% de boursier.es, quand la même filière à l’université de Paris 8 Saint Denis en recrute 16%. En filière éco-gestion, l’université de Villetaneuse accepte 21% de boursier.es, l’université Panthéon-Sorbonne seulement 7%. Et au-delà des universités, il reste les formations sélective - ancien et puissant mécanisme de reproduction des inégalités sociales. HEC, Sciences po, Polytechniques sont les établissements les moins divers socialement, et l’investissement moyen annuel par étudiant.es y est cinq à dix fois plus important que dans les universités, où il avoisine les 4 000 à 6 000 euros.

  • Un Monty Python contre « la guerre au terrorisme ». Hommage à Terry Jones | Damien-Guillaume et Marie-Blanche Audollent
    http://lmsi.net/Un-Monty-Python-contre-la-guerre-au-terrorisme

    Au début des années 2000, à l’heure où grands médias et dirigeants socialistes nous invitaient à nous rallier au « blairisme », Terry Jones consacra un brulôt à la Croisade américaine contre « le terrorisme » qui constitua, à nos yeux, une formidable alternative : un « autre modèle anglais », « notre modèle anglais à nous ». Ce livre fut en effet exemplaire à plus d’un titre : composé de chroniques courtes et d’une lecture aisée, il proposait une analyse de la novlangue « bushienne », aussi minutieuse que celle d’un Viktor Klemperer [1] ou d’un George Orwell [2], avec en prime la verve comique des Monty Python - dont Terry Jones fut l’un des fondateurs et des principaux animateurs. Ce qui était remarquable, surtout, et difficilement imaginable au pays de Philippe Val [3], c’est qu’un « amuseur public » (...)

  • Retraites :12 idées reçues à combattre | Anaïs Henneguelle
    http://lmsi.net/Retraites-12-idees-recues-a-combattre

    Ce guide d’auto-défense a pour vocation de fournir des arguments à tous ceux et toutes celles qui s’opposent à la réforme des retraites mais sont parfois démunis face aux éléments de langage (parfois faux, la plupart du temps incomplets ou simplistes) qu’on leur oppose. Comment répondre aux éléments de langage du gouvernement ? Que rétorquer à son ami, salarié du privé, qui prétend que « ça fait les pieds aux fonctionnaires et aux cheminots » ? Quels chiffres simples mais efficaces mettre en avant pour exprimer sa colère ou son inquiétude ? En bref, comment (se) mobiliser contre la réforme des retraites ? Source : Les mots sont (...)

  • Controversé toi-même ! | Sébastien Fontenelle et Sylvie Tissot
    http://lmsi.net/Controverse-toi-meme

    Ce dimanche 10 novembre 2019, nous quittons la marche contre l’islamophobie pour nous réchauffer dans un café. Sur un des écrans qui diffuse BFMTV, nous découvrons qu’il s’agissait en réalité d’une « manifestation controversée contre l’islamophobie ». Ah bon ? Source : Les mots sont importants