La musique de chambre peut servir de modèle à la structure de la société télématique.
Le propos est pertinent, même si ce n’est pas dans le sens que l’auteur privilégie.
Eske Bockelmann a montré dans un ouvrage malheureusement pas traduit en français (Im Takt des Geldes. Zur Genese modernen Denkens) que les changements dans la perception et l’exécution de la musique, notamment dans sa structure rythmique au XVIIe siècle, sont imputables au fait que la forme de synthèse sociale fondée sur le travail producteur de marchandises a introduit un nouveau rapport au temps, d’où découle la fascination pour l’accentuation binaire (temps fort/temps faible)
Véritable leitmotiv de cet ouvrage collectif, la notion de rythme fait l’objet d’une réflexion particulière dans les contributions de Eske Bockelmann (p. 103-111) et Sebastian Göschel (p. 79-99). Le premier, philologue, reprend dans son article la thèse qu’il avait développée dans Im Takt des Geldes (2004), à savoir que la fascination des sociétés occidentales pour la mesure binaire, née autour de 1600, serait due à l’émergence du capitalisme et des impératifs de marché, qui auraient exigé des hommes une aptitude à l’abstraction et à la synthétisation, laquelle aurait considérablement influencé leur perception temporelle, leur organisation du travail ainsi que la création poétique et musicale (de Johann Sebastian Bach à la musique techno). Sebastian Göschel part, quant à lui, de l’observation selon laquelle le travail de bureau, activité qui ne nécessite en soi aucune coordination corporelle, produit néanmoins naturellement un rythme collectif des mouvements dits « de compensation » (se gratter, se moucher, s’adosser, se redresser, soupirer, etc.), par lesquels les employés constituent inconsciemment une sorte de « communauté de subversion », résistant collectivement à l’instrumentalisation totale de leur personne. Göschel conclut également que la vogue actuelle de l’open space (plateau ouvert, bureau collectif et sans cloison) aurait emprunté à Bücher, outre le modèle original d’une « communauté entre celui qui conçoit et celui qui fabrique » (chez BMW à Leipzig, l’ingénieur voit constamment passer au dessus de sa tête les pièces de carrosserie en construction), l’idée selon laquelle tout travail en commun suscite une émulation mutuelle et le rythme sonore (la symphonie des claviers, des soupirs et des pages tournées) produit un effet incitatif.
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