• Quelques outils pour penser le Front National | Enbata
    http://www.enbata.info/articles/quelques-outils-pour-penser-le-front-national
    (une assez bonne synthèse je trouve)

    Dans toutes les Pyrénées Atlantiques le vote d’#extrême-droite progresse. A Pau, lors des dernières municipales de 2014 il plafonnait à 6% : aujourd’hui le #FN obtient désormais près de 17%. Sur le canton Bayonne-2, alors que l’extrême-droite a puisé dans son électorat d’illustres inconnus, elle bat des records avec 18,46 %.

    Pour autant, le parti Lepéniste reste contenu dans les PA avec 11,3% des voix (contre 25% dans l’hexagone).

    En Pays Basque, ces scores restent bas dans les cantons à forte #identité : Montagne Basque ( 8,95%) et Pays De Bidache, Amikuze Et Ostibarre (11,57%). Idem dans le Béarn. Passons rapidement sur le fait que s’il y a des résultats électoraux, la parole raciste, intolérante pour ne pas dire bête s’est aussi largement libérée.

    La faiblesse relative de l’extrême-droite dépasse largement le contexte local. L’explication de ces résultats départementaux tient aussi à ce qu’Hervé Le Bras et Emmanuel Todd exposaient dans Le mystère français (2013), à savoir que même si la France s’homogénéise, le lieu de vie produit encore du politique : depuis l’après-guerre l’#électorat catholique a basculé progressivement à gauche dans les régions de l’ouest. Ainsi le FN plafonne à 9,86 % dans le Gers, 15,92% dans les Hautes-Pyrénées ou encore à 15,76% en Ariège (présentant pourtant le PIB par habitant le plus faible de métropole). Todd n’en est pas à son coup d’essai : dans l’ouvrage « l’invention de la France », il montre comment du nord au sud, de l’est à l’ouest, dans l’Hexagone les mœurs, les structures familiales et l’ancrage religieux varient aujourd’hui comme en 1850. En ce sens, la France est une construction artificielle où les défenseurs autoproclamés de l’identité nationale ne comprennent pas l’histoire de leur propre pays. Selon Todd, les structures familiales historiquement inégalitaires du Sud-Ouest expliquent le maintien d’une conscience forte du collectif, et donc une résistance aux thèses de l’extrême-droite.

    Autre élément indispensable pour comprendre la faiblesse relative du Lepénisme en #Pays_Basque, la question des #inégalités.


    Les travaux d’Hervé le Bras ont montré que les écarts de richesse expliquent en grande partie le vote FN http://le1hebdo.fr/numero/47/les-cartes-des-ingalits-et-du-vote-fn-se-superposent-808.html. Elles provoquent l’abstention ou le vote de rejet pour les plus pauvres ; le repli sur soi pour les plus riches. On le voit les inégalités sont moins marquées dans le Sud-Ouest, à l’exception du bassin de la Garonne. Il est clair que le climat océanique très pluvieux a contenu l’installation de riches retraités, contrairement à la côte d’Azur.

    En 2013, cette étude l’IFOP http://www.lemonde.fr/politique/article/2013/08/07/face-nord-et-face-sud-les-deux-electorats-du-fn_3458468_823448.html a fait date. Elle démontre que le Front national a deux visages, deux électorats bien distincts dans le nord-est et le sud-est.

    Penser de manière globale le FN, uniquement sur le registre moral comme l’a fait le premier ministre Manuel Valls est une grave erreur.

    Dans le Sud-Est, tout particulièrement dans le Vaucluse, les Pyrénées-Orientales et la Corse, le vote d’extrême droite repose historiquement sur les français « Pieds-noirs » rapatriés d’#Algérie. La fondation du FN est en effet intimement liée à l’histoire de l’OAS. Jacques Bompard, premier maire de FN en 1995 à Orange, puis député-maire en 2012, était un militant de l’#OAS. Dans le sud-est, l’extrême-droite est dans le sillage du discours classique de Jean-Marie Le Pen : riches retraités, poujadistes, artisans et commerçants dénonçant « la pression fiscale ».

    Dans l’électorat « nordiste » les catégories populaires sont bien plus représentées et rêvent au contraire de taxer les plus #riches.

    En ce sens le discours du FN variable selon les contextes, et donc contradictoire dans son projet concret, rappelle toujours plus ce qu’Antonio Gramsci décrivait comme les mécanismes insidieux d’hégémonie politique du #fascisme.

    Que l’on voit localement lorsque le candidat FN Jean-Michel Iratchet se prononce en faveur de la langue basque https://youtu.be/mtxnvCNeTtw?t=1h39m34s

     : même stratégie fondée sur le #mensonge et la #manipulation.

    Le rôle central de la #consommation

    Autre auteur indispensable à lire, Bernard Stiegler. En 2013, dans Pharmacologie du Front National http://arsindustrialis.org/pharmacologie-du-front-national-0, Stiegler a relancé le débat en montrant que les idées dans lesquelles se reconnaissent les électeurs Lepénistes n’ont pas été produites par le Front National : ce sont celles que l’ultralibéralisme a engendrées. Selon lui, le #consumérisme aura été un dispositif de modification des conditions de l’individuation psychique et collective, c’est à dire une perte du sentiment d’exister. « La défaite idéologique de la pensée de la gauche aura consisté à abandonner toute capacité à critiquer la #société_de_consommation et à ne pas voir comment le consumérisme est devenu, en quelque sorte par intégration fonctionnelle, une machine de guerre idéologique, permettant de contrôler les représentations » explique-t-il. Avec ce logiciel, on comprend pourquoi le #Vaucluse concentre à la fois les plus grands centre commerciaux d’Europe et un électorat séduit à 37,4% par le parti de Marine Le Pen. Les centres villes y ont été délaissés au profit d’un mode individualiste où domine la vie pavillonnaire (Lire aussi Le cauchemar pavillonnaire http://www.lechappee.org/le-cauchemar-pavillonnaire ).

    Au Pays Basque ce sont les communes de zones péri-urbaines qui ont voté le plus FN aux dernières européennes : Mouguerre (20,53%), Urt (22,28%)…, définies par un mode de vie à dominance pavillonnaire. (Le dimanche à Lahonce, ce sont des dizaines de tondeuses individuelles qui tournent). Selon Stiegler, « notre responsabilité aujourd’hui, n’est pas de mettre à l’index les électeurs du Front National, ni les français qui partageraient ces idées : l’enjeu, c’est le passage d’un modèle industriel consumériste caduc, producteur d’incapacité, à un modèle industriel contributif, porteur de nouvelles solvabilités et fondé sur recapacitation généralisée ».

    En effet, le devenir de l’extrême droite n’est pas un accident de parcours ou un avatar des calculs politiciens ; c’est le résultat ultime de la contre-révolution Tatchérienne. La logique du #bouc_émissaire aura été fonctionnellement indispensable, comme inversion de causalité, à l’acceptation des dégâts de l’ultralibéralisme en France.

    Manuel Valls peut accabler publiquement le Front national, le Parti socialiste a fait le jeu de l’extrême-droite lorsqu’il s’est montré incapable de critiquer la société de consommation, de réduire les inégalités et la ségrégation sociale.

    Ravage de la #droite_décomplexée

    Il faut lire aussi le Mythe National http://www.franceculture.fr/oeuvre-le-mythe-national-l-histoire-de-france-revisit%C3%A9e-de-suzann, de Suzanne Citron, ouvrage de référence réédité récemment. Citron y déconstruit cette histoire de France idéalisée, notamment l’idée de nation, véritable emblème passe-partout qui a été enseignée sous des habillages bien différents selon les époques (Vichy, guerre d’Algérie…).

    Parmi les causes du FN en France, il faut rappeler la stratégie de la « droite décomplexée » de Nicolas Sarkozy, Eric Besson, Brice Hortefeux et Thierry Mariani…Ils ont véritablement banalisée un discours stigmatisant et xénophobe. Et comme les gens préfèrent l’original à la copie, l’électorat a basculé dans le camp du FN. Dans le Vaucluse, l’adhésion de la droite populaire à une stratégie du bouc émissaire a été précoce : le vote UMP s’y est ensuite écroulé. Thierry Mariani après avoir ouvert les vannes, a déserté le département pour la circonscription des français établis à l’étranger. En 1986, le maire de Marseille Jean-Claude Gaudin avait été le premier à s’allier au FN lors des régionales. Le Sud-est est devenu un laboratoire : le flottement de l’UMP à l’extrême droite est tel, que plus aucune alliance ne provoque l’indignation. Dernières connivences en date, l’élection du président (UMP) de l’agglomération d’Avignon avec les voix du FN, n’a provoqué aucune réaction publique. A l’inverse, dans le Sud-Ouest, le #Modem est profondément enraciné et n’a jamais cédé à la stratégie de bouc émissaire pensée par la « droite décomplexée » sarkozienne. Dès le soir du premier tour des départementales, sans ambiguïté, Jean-Jacques Lasserre, leader du Modem et président de l’assemblée départementale de 2001 à 2008 appelait à ne « pas soutenir l’extrême-droite » sur le canton Nive-Adour.

    Autre leurre serait de laisser le pouvoir au FN pour enfin le délégitimer : les prises de pouvoir successives de l’extrême-droite dans le Sud-Est, bien que caractérisées par les affaires, le grotesque et les conflits d’intérêts, n’ont pas remobilisé l’électorat. Bien au contraire, une casse méthodique du milieu associatif a entretenu une profonde apathie politique, tué la citoyenneté et la contre-culture.

    Avec tout ça, on voit que réduire le vote FN au #chômage relève de la paresse d’esprit.

    Vote frontiste désormais plus fort chez les jeunes

    Enfin, il reste la spécificité basque. « Ici on sort des réseaux traditionnels de militance. C’est une expérimentation sociale remarquable » m’expliquait au sujet d’#Alternatiba Geneviève Azam, économiste et membre du conseil scientifique d’#ATTAC. En France, la gauche française n’est plus capable de fédérer une colère légitime contre les inégalités et les dérives du capitalisme. Une gestion bureaucratique des structures est venue remplacer une #radicalité qu’incarnait par exemple le mouvement #Act-Up. Dans la bouche d’une petite caste médiatique et universitaire non représentative des classes populaires, il est juste question de mener la « bataille des idées ».

    De son coté, le Parti Socialiste n’est plus qu’une machinerie électorale : aujourd’hui, les 2/3 des affiliés sont des élus, le tiers restant couvre les attachés parlementaires et les permanents du parti. Or « comment forme-t-on les gens à la politique ? Par la participation active aux affaires de la Cité » martelait le philosphe Cornélius Castoriadis.

    Ici, le mouvement basque, au sens large (festivals musicaux, la chambre d’Agriculture #EHLG, les bars militants, la lutte contre la #spéculation foncière ou la mobilisation contre la #LGV …) a été capable de capter une jeunesse désireuse d’action et de radicalité.

    Dimanche, la gauche basque d’EHBai s’est ainsi hissé au second tour dans cinq cantons, même à Saint-Jean-de-Luz réputé conservateur.

    Malheureusement, à contrario dans beaucoup de villes de l’hexagone, le désir d’agir à été accaparé par le Bloc Identitaire, groupe d’extrême-droite très efficace dans sa communication et ses happening (Occupation très médiatisée de la mosquée de Poitiers en 2012). Contrairement à une idée reçue, le vote FN est désormais plus fort chez les 25-34 ans et les 45-59 ans, que chez les seniors, plus fidèles à l’UMP.

    En conclusion, il faut cependant se garder de penser le Pays Basque comme un territoire bucolique, où le racisme et le rejet de l’autre n’existerait pas. La croyance dans une #histoire idéalisée n’est pas propre au nationalisme français. Cette idée qui veut que les « basques étaient présents avant les autres », brandie par certains comme seul argument de légitimation politique, évoque avec force les délires d’Eric Zemmour, convaincu que « les français sont présents depuis 1000 ans » sur ce territoire. On entend aussi parfois qu’il ne faut pas critiquer la culture basque car « elle est minoritaire et que toutes ses initiatives sont positives ». Ceux qui tiennent ces propos détruisent ce qu’ils croient défendre.

    La première identité politique est ce que l’on fait, pas ce que l’on prétend être ou rejeter. Une société humaine se légitime aussi par son projet collectif, la prise en compte de sa #diversité, des pratiques fondées sur le respect des droits individuels, jamais sur une vision fantasmée du passé et de ce que l’on croit être.

    #urbain_diffus #banlieue_totale #périphéries #déménagement_du_territoire #gpii #éditocrates #catholicisme_zombie

  • Autonomie, « post-travail », biens communs et paysannerie
    (parce-que ce commentaire de @rastapopoulos http://seenthis.net/messages/262461#message263284 méritait un post à part)

    À propos de #biens_communs, ce week-end on a revu un couple de nos connaissances qu’on avait pas vu depuis un baille, et dans notre conversation on a parlé d’accès aux terrains mais aussi de leurs voyages en Europe de l’est. Et de mettre les deux en rapports était assez saisissant.

    En fait ces dernières années ils sont allés plusieurs fois vers la Bosnie et le Monténégro avec leur fille, en camionnette retapée. Et là-bas, partout où ils sont allés, les gens n’ont pas de travail ou très peu. Mais ça reste très rural y compris dans les grandes villes. Et les gens ont à peu près tous un toit, un bout de terrain, des légumes, des poules, des cochons. Régulièrement ce couple cherchait un endroit où garer leur véhicule pour dormir sans déranger, mais à chaque fois qu’ils demandaient à quelqu’un pour être poli, ils finissaient toujours par se faire inviter chez les gens, à manger, etc. Et le lendemain ils partaient avec une poche de légumes et de pains alors qu’ils n’avaient rien demandé. Les gens n’ont pas de travail mais ils arrivent à manger et même à offrir des choses aux gens de passage.

    Chez nous, on a encore un peu de #travail, on a trois ordis par foyer, mais à moins de faire partie du haut du panier, on a aucun toit à nous, aucun terrain, aucun moyen de se nourrir sans argent et donc sans travail (ou sans voler).

    L’ère post-travail (au sens capitaliste) devra avoir une grande part de #ruralité, sinon je ne vois pas comment on peut parler d’#émancipation individuelle. Pour pouvoir être socialement progressiste, il ne faut pas être en train de se monter les uns sur les autres pour subvenir à nos #besoins_de_base.

    À nous de travailler (hihi) pour que le fait de revenir en arrière matériellement sur certains points, ne signifie pas revenir à l’ensemble d’une époque passée avec ses mauvais côtés sociaux inégalitaires. L’Histoire (et donc y compris l’histoire des conditions matérielles d’existence) n’est pas linéaire.

    #autonomie #convivialité #paysannerie

    Je repense à un reportage qui était passé sur arte je crois (je ne retrouve plus l’extrait) sur les chômeurs espagnols qui retournaient dans les zones rurales et y reconstruisaient comme ils pouvaient une autonomie. L’un d’entre eux disait en gros « aujourd’hui tu peux traverser l’Europe en avion pour 30 euros et tout le monde voit ça comme un progrès, mais tu ne peux plus te loger, et pas grand monde ne voit ça comme une régression ».
    Peut-être que l’Espagne de demain ressemblera par endroits à certains coins des Balkans d’aujourd’hui...

    et Ivan Illich http://seenthis.net/messages/199193 qui disait en son temps :

    Nous devons et, grâce au progrès scientifique, nous pouvons édifier une société post-industrielle en sorte que l’exercice de la créativité d’une personne n’impose jamais à autrui un travail, un savoir ou une consommation obligatoire.

    Il est devenu difficile d’imaginer une société simplement outillée, où l’homme pourrait parvenir à ses fins en utilisant une énergie placée sous contrôle personnel. Nos rêves sont standardisés, notre imagination industrialisée, notre fantaisie programmée. Nous ne sommes capables de concevoir que des systèmes hyper-outillés d’habitudes sociales, adaptés à la logique de la production de masse. Nous avons quasiment perdu le pouvoir de rêver un monde où la parole soit prise et partagée, où personne ne puisse limiter la créativité d’autrui, où chacun puisse changer la vie.

    Une société équipée du roulement à bille et qui irait au rythme de l’homme serait incomparablement plus efficace que toutes les sociétés rugueuses du passé et incomparablement plus autonome que toutes les sociétés programmées du présent.

    Une société conviviale est une société qui donne à l’homme la possibilité d’exercer l’action la plus autonome et la plus créative, à l’aide d’outils moins contrôlables par autrui. La productivité se conjugue en termes d’avoir, la convivialité en termes d’être. Tandis que la croissance de l’outillage au-delà des seuils critiques produit toujours plus d’uniformisation réglementée, de dépendance, d’exploitation, le respect des limites garantirait un libre épanouissement de l’autonomie et de la créativité humaines.