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  • La défense des juifs, ultime morale des pouvoirs que leurs peuples désavouent | Slate.fr
    http://www.slate.fr/story/171594/gilets-jaunes-antisemitisme-pretexte-pouvoir-vigilants

    par Claude Askolovitch

    La haine de la plèbe chez les bourgeois honnêtes m’a toujours amusé ; elle est une pensée décorative qui distrait de la peur, et comme ce pouvoir cède et cède encore à quiconque le menace, policiers en préavis de grève ou « gilets jaunes » qui répondent en brutes de bal populaire à la violence légitime de l’État, comme le président est allé plier le genou virtuel sur la pétition web d’une « gilet jaune » et lui a écrit que finalement, elle avait raison, les marcheurs dépités ont bien droit à un réconfort verbal. Ils se requinquent en stigmatisant l’antisémite, et n’auront pas peur de combattre les quenelliers ! Ah, les braves gens.

    Au demeurant, la quenelle est une saloperie. Mais, oserais-je, la quenelle des salopards n’est qu’un instant des « gilets jaunes », que seule l’acrimonie élitaire décrète signifiant.

    On aurait pu, a contrario, passer en boucle sur nos télévisions ces « gilets jaunes » savoyards qui s’enlaçaient sur « La foule » de Piaf, dans une scène douce et onirique, le soir où des gendarmes émus levaient leur barrage, et on aurait alors commenté leur ressemblance avec les occupants d’usines du Front populaire ? On aurait pu chanter la fraternité de ces veillées de Noël où des « gilets jaunes » se sont tenu chaud, et l’humanité émouvante de ces désormais plus que rien. Mais concernant le peuple ici et maintenant, spontanément, une bourgeoisie préfère voir la chemise brune sous le gilet jaune. Et je ne pourrais, juif, que m’en inquiéter.

    J’appelle ici « vigilants » ces femmes et ces hommes cultivés et engagés qui, je n’en doute pas, ne me veulent, juif, que du bien, et qui recherchent, cherchent encore et trouvent toujours –la haine est irréfutable– l’antisémitime qui rongerait le pays. Les vigilants sont des éclairagistes d’influence. Ce qu’ils sortent de l’ombre devient indiginité nationale. On ne saurait discuter leurs affolements qui, mis bout à bout, deviennent une lecture admise de la société. Les vigilants, cette saison, ont éclairé les « gilets jaunes » d’une lumière implacable.

    Avant les quenellards du samedi parisien, ils avaient ainsi mis à jour une banderole, photographiée dans le Rhône, qui attestait l’ambiance. On y lisait, en contrebas d’un barrage de « gilets jaunes », cette équation sordide et clairement anti-juive : « Macron = Drahi = Attali = Banques = Medias = Sion », les « s » étant calligraphiés façon nazie, les « a » suggérant un triangle franc-maçon. Indubitablement odieuse et fasciste, cette banderole fit florès. Pourtant, elle ne disait rien des barrages, ni de celles et ceux qui les tenaient.

    Le Progrès, 20 minutes ou l’AFP en firent justice dans des articles enquêtés. La banderole, saleté éphémère, n’avait été en place que peu de temps ; les « gilets jaunes » qui tenaient le barrage, l’ayant découverte, l’avaient détruite eux-mêmes. Elle ne venait pas d’eux. Elle était, cette banderole, l’œuvre de provocateurs malins, squatteurs pervers et anonymes d’un mouvement peu structuré.

    Mais –puissance de la vigilance et de la pulsion de bavardage de nos élites– la banderole, démontée, vécut avec une intensité rare et fut une tendance sur les réseau sociaux, la première preuve de l’antisémitisme des contestataires, avant la confirmation quenellarde, point d’orgue du « on le savait bien ».

    J’ai, juif, un point de vue sur les vigilants : ils m’enferment bien plus qu’ils ne me protègent, et travestissent bien plus qu’ils ne révèlent. Ils m’exposent à des combats dont je ne veux pas et dont je deviens le prétexte. Ils me singularisent, affolent ma mère et avec elles toutes celles et ceux, juifs, qui à force de matraquage pensent que toute l’actualité, encore et toujours, converge contre nous. C’est heureusement inexact, quand bien même nos paysages ne sont pas joyeux.

    Dans une France d’abandon et de rancœurs, de rumeurs et d’inquiétude, les crapuleries d’un Soral ou d’un Dieudonné peuvent se glisser en folklore sordide. Mais ce n’est pas l’antisémitisme qui mène ce bal, simplement l’envie de vulgarité qui anime les hommes que l’on oublie, et qui s’oublient.

    C’est triste pour la France, mais est-ce périlleux pour les juifs ? Ces malheureux idiots ne nous détestent pas de préférence, en dépit de leurs gourous, et il serait absurde d’entrer dans leur perversité et de la nourrir d’indignations forcées. La scène du Sacré-Cœur était laide bien avant d’être antisémite. Sans doute ne l’était-elle pas, et celle du métro, possiblement, pas davantage. De la viande bête, de la viande saoule, entonne un air vulgaire et reproduit un geste de pornographie politique.

    La vieille dame du métro n’a pas voulu porter plainte et conteste que les pochtrons imbéciles qu’elle avait chapitré ait prononcé des mots anti-juifs. Il n’y avait, pour nous juifs, pas grand-chose à dire ; on a dit pourtant, et c’est ici que je redoute un danger, si d’habitudes, de paresses, d’automatismes, de vigilance, de cynisme, on mobilisait l’offense faite aux juifs pour punir les « gilets jaunes », en les écrasant d’une épithète infâmante.

    Cela a commencé, cela a pris, le bavardage est le propre de la politique. C’est, manifestement, une méchanceté et un mensonge. Croit-on vraiment que sur les barrages, il n’y a pas de tendresse ni de beaux sentiments ? Croit-on que dans la foule, il n’est pas d’espérance ni d’humanité ?

    Mais on brosse à petites touches, de petits faits vrais mais choisis, un tableau sordide d’une France des provinces lumpenisée et trumpisée, perméable au complotisme, acquise à l’antisémitisme, mue par la haine de l’élite et des Rothschild qui furent les patrons de Macron, et tout, alors, serait limpide, et tout serait plié.

    Que l’on prenne garde : ce discours est performatif plus que descriptif. Il ne raconte pas le mouvement, mais l’emprisonne et peut le remodeler. Il anticipe ce qui n’est pas et n’a pas lieu d’être, mais qui sait ? Il fabriquera l’horreur, s’il apparaît qu’effectivement, la question juive est le prétexte des gouvernants contre les réfractaires, si pour disperser cette révolte qui l’empoisse, les beaux chevaliers de la forteresse assiégée du pouvoir m’empoignent, moi, juif, et m’utilisent comme leur arme suprême, me jettent à la figure des enragés. La haine, alors, viendra.

    L’antisémitisme n’est pas une vue de l’esprit. Il existe dans les replis de notre société, blesse et parfois tue. Mais il n’est qu’une violence minoritaire, marginale et condamnée –et instrumentalisée aussi bien. L’antisémitisme est cette aubaine que la vigilance offre aux gouvernants en souci. Nous y sommes, exactement. Pris en flagrant délit de mépris puis de reculade, le pouvoir –ses hérauts– s’oublie et se grise de vertu, tel un doux ivrogne qui chasse ses faiblesses dans la dive bouteille.

    Soyons clairs, ici. Les juifs français, une poignée de centaines de milliers d’individus citoyens, ne participent pas à cette construction. On la leur amène, on la leur impose, on les y enferme, dans les façons des vigilants, dans la complaisance des politiques à nous témoigner des sollicitudes, et chacun se félicite d’une si bonne entente.

    Tout ceci est humain et parfois de bonne compagnie, mais pas exempt de danger ni de folies. Depuis des années –la montée des actes antisémites en attestait–, on expliquait aux juifs et à propos des juifs que l’islamiste, le musulman, l’immigré par extension, le migrant, l’homme de la banlieue islamisée et ensauvagée, était l’ennemi du juif comme de la République, et l’ennemi des ensauvagés était notre gardien.

    Les vigilants cultivaient la bourgeoisie libérale et d’autorité, qu’elle fut socialiste ou de l’ex-UMP. D’autres allaient plus loin et, avec une certaine logique, affirmaient que face à l’ennemi, les juifs devaient résolument pencher à droite, le plus à droite possible, et devenir avec le triste Zemmour et le joyeux Goldnadel les flancs-gardes des Le Pen, Wauquiez ou Dupont-Aignan, car les ennemis de mes ennemis sont mes amis, comme dirait Benyamin Netanyahou, qui préfère Orbán et Bolsonaro au juif cosmopolite Soros et aux mollassons démocrates. Nous ne jouions plus Crémieux puis Lacoste, si l’on parlait de l’Algérie, mais l’OAS ; il fallait bien cela pour nous épargner l’islam et ses ensauvagés des cités, nos repoussoirs communs.

    Ils brossent, ces vigilants, le tableau d’une France dont Soral rêverait, qui n’existe pas mais qu’il fabriquent de leur jactance, que des médias de Panurge prolongent et que des politiques sans structure entérinent.

    Je devrais, juif, éviter aussi bien la Somme que la Seine-Saint-Denis, redouter Trappes comme Carcassonne. Je devrais, dans une terre qui a oublié mon martyre, me résigner à ne vivre qu’à l’amitié des riches, des puissants et des cyniques, et accepter, pour mon bien, que mon histoire serve à repousser le musulman comme le « gilet jaune », que certains ici veulent traiter en ennemi.

    Tariq Ramadan d’un côté, la quenelle de l’autre, les épouvantails à juifs quadrilleraient le territoire, et seul le pouvoir, seuls les possédants, seuls les libéraux, seuls les macronistes, seuls ceux qui possèdent le monde, pourraient me tolérer.

    Réalise-t-on –je parle en juif et en républicain– ce que portent ces logiques susurrées, instillées, admises, commentées et retweetées ? Rarement la vérité simple d’un pays aura été niée à ce point par un discours prétendu vertueux –et j’en serais, juif, l’objet, et ils en sont, les vigilants, coupables.

    Réalise-t-on pourtant quel malheur nous préparons –je parle en juif–, si venons à penser que dans notre pays, seuls les riches nous agréeraient, si nous oublions que ce peuple mal embouché nous cacha, jadis, quand les élites prêtaient serment à Pétain ?

    Pouvons-nous, juifs, vivre heureux en France dans l’idée que le peuple nous rejette, si nous participons ensuite à son humiliation, et si nous consentons aux opportunismes des politiques et aux manipultions des vigilants ? Nos ancêtres, sous l’autocrate russe, savaient être tolstoïens et ne haïssaient pas le moujik au prétexte des progromes, pourtant réels ceux-là.

    Posons pour finir. Nul ne prétend que le pays est simple, ou la période.

    Nul ne prétend que le mouvement baptisé « gilets jaunes » est exempt de laideurs populacières, qui s’entremêlent aux insurrections populaires.

    Nul ne croit que Dieudonné ou Soral sont des illusions.

    Nul le croit que les peuples sont commodes, et joyeux les dilemmes des juifs.

    Nul ne pense qu’il est facile d’être de gauche au Royaume-Uni, quand Jeremy Corbyn, ayant rendu le Labour aux masses, grasseye le plus stupide des tiers-mondismes et, croyant aimer la Palestine, autorise le malheur des vieux juifs du travaillisme.

    Nul ne pense qu’il est pimpant de se vouloir insoumis, quand le populaire François Ruffin fait résonner des thèmes étranges et ne veut pas comprendre qu’Étienne Chouard, complotiste et un temps soralien, n’est plus de son monde. Mais s’il l’était ? Et de cette question, je suis, comme d’autres, et en dépit de moi, contaminé.

    #Antisémitisme #Manipulation #Médias #Gilets_jaunes

    • Je ne peux pas dire que je suive de très près l’actualité, je crois qu’au contraire j’ai pris de très mauvaises bonnes habitudes en 2016-2016 en décidant de tout ignorer de la catastrophe électorale en cours alors, mais lors de mes exercices de dyslexie créative, j’ai bien vu passer un article ou l’autre à propos de ces incidents antisémites relatifs aux gilets jaunes (qu’on met toujours entre guillemets dans Le Monde, comme si la chose était salissante), et j’ai été surpris de ma propre réaction, je me suis dit, ah ben tiens comme c’est curieux, l’antisémitisme comme dernière cartouche du discrédit et puis de vieux réflexes plus prudents m’ont dit que sans doute il fallait que je fasse un choix sur cette affaire, soit je me documentais, j’essayais d’en savoir un peu plus sur le sujet pour me forger une opinion qui soit un peu plus qu’une réaction, soit je retournais dans mon garage faire de l’html avec des bouts de trucs à moi et je décidais de n’en rien penser, j’ai choisi, évidemment, la deuxième solution. Et puis je tombe sur cet article dans mon fil de seenthis et j’en suis drôlement reconnaissant à Claude Askolovitch qui confirme bien ce que je pensais tout bas, le tout en continuant de jouer dans mon garage.

  • cinq belles réponses à une vilaine question
    À propos du « débat sur l’identité nationale »

    http://lmsi.net/Cinq-belles-reponses-a-une-vilaine

    En soutien à Danièle Obono, qui subit aujourd’hui l’intégrisme francophile, et tout simplement le racisme, nous republions ce texte, qui revient notamment sur l’impossibilité, aujourd’hui, de clamer Vive la France, et la légitimité, a contrario, d’une réponse comme Nique la France.

    Au terme du « débat sur l’identité nationale » organisé par Éric Besson, l’heure est au bilan, non pas sur la nature de ladite identité nationale mais sur la signification d’un tel « débat », sa fonction, ses effets sociaux et enfin la réponse politique qu’il appelle. Si en effet une identité nationale doit aujourd’hui être interrogée, ce n’est pas une identité raciale, confessionnelle ou culturelle mais une identité politique. Non pas une identité immémoriale et éternelle (cet improbable « Occident judéo-chrétien » autour duquel on voudrait nous faire communier) mais une forme historique singulière. La question à se poser n’est pas « Qu’est-ce que la France ? » mais « Qu’est-ce, politiquement, que la France de 2010 ? » Non pas « Que sommes nous ? » mais « Que sommes nous devenus pour accepter d’être réduits à une nationalité ? ». Non pas « Comment promouvoir la fierté d’être français ? » mais « Pourquoi faudrait-il être fier d’être français ? Qui veut qu’on le soit, et pour quoi faire ? ».

    Il n’y a bien évidemment aucune raison d’être fier d’être français, premièrement parce que nous ne sommes pour rien dans cette nationalité dont nous ne faisons qu’hériter ; deuxièmement parce que Pétain et Lacoste sont aussi français que Jean Moulin et Franz Fanon, parce qu’à côté des innombrables oeuvres artistiques, culturelles, sociales ou politiques admirables produites par des Français existent aussi des guerres, des oppressions, des bassesses et des lâchetés tout aussi innombrables et tout aussi françaises ; troisièmement parce que, de Samuel Beckett et Pablo Picasso à Missak Manouchian et Olga Bancik, des étrangers, de passage ou installés en France, ont eux aussi marqué positivement l’histoire du pays ; enfin parce que les Françai-se-s les plus admirables ont toujours été celles et ceux qui ont fait passer avant la nation leur appartenance à une autre communauté, transnationale : la communauté scientifique, celle des artistes, des musiciens, des philosophes, des antifascistes, des femmes, des prolétaires, des damnés de la terre, des nègres ou des créoles…

    Une fois rappelées ces évidences, cinq leçons peuvent être tirées de cette séquence de « débat », que synthétisent cinq contre-mots d’ordre, apparus dans le mouvement social et la culture populaire ces dernières semaines, ces derniers mois ou ces dernières années.

    #racisme #nationalisme #neo-colonialisme #identité_nationale #obono

  • Du caractère polymorphe et multicolore du relou en milieu urbain
    http://prenezcecouteau.tumblr.com/post/146837766244/du-caract%C3%A8re-polymorphe-et-multicolore-du-relou-en

    “Non mais qu’ils ne respectent pas les femmes chez eux, c’est leur problème, mais ici, on est en France”

    “ Je suis pas raciste, mais j’en ai marre de me faire draguer dans la rue ! ”

    “ C’est dans leur culture, ils n’ont pas le même rapport à la séduction”.

    Ces déclarations n’ont pas particulièrement été tenues par des membres du FN ou même des personnes se disant (se pensant) racistes. Non. Ce sont des déclarations que j’ai entendues, que j’entends régulièrement, dès que l’on parle de harcèlement de rue.

    Parce que, comme en parlait récemment un article de rue89, c’est un fait : pour beaucoup de personnes, y compris les victimes de harcèlement de rue, les agresseurs de rue ne sont que des mecs de banlieue, de cité, de quartiers populaires. Que des immigrés, des fauchés, des lascars, des cailleras, des ouaich, des rebeus, des renois… Je parle souvent de harcèlement de rue, avec beaucoup de personnes. Et la récurrence des déclarations précédentes m’attriste.

    Non, elle me révolte, en fait. Elle me met hors de moi.

    Parce qu’en ne parlant que d’un type très spécifique de harcèlement, mes copines Blanches et/ou bourgeoises invisibilisent totalement un autre type de harcèlement que, pourtant, les femmes racisées vivent aussi fréquemment et avec autant de violence.

    J’habite dans un quartier très bourgeois qui est aussi le quartier des putes de la ville. Il y a quelques semaines, un homme d’une cinquantaine d’années se dirige vers moi. Rapidement, sans se présenter ni même me saluer (même pas un “ouaich la miss”), le mec me propose de baiser, il a de l’argent, il veut bien en mettre. Le temps de comprendre et de réagir, et je tente de m’éloigner en déclinant, agacée. Mais le monsieur m’attrape, me bloque contre le mur et insiste, en chuchotant “allez, j’ai envie, j’peux payer, laisse-toi faire, j’te trouve bonne…”, les supplications du gamin persuadé que le fait qu’il ait très envie justifie qu’il prenne. Il me faut encore quelque secondes pour réagir. Et puis j’explose. Je l’insulte de tous les noms que je connais, je le repousse, je me dégage, je hurle, je le pourris, il s’éloigne.

    Dans la rue, les passants sourient, amusés. Moi je tremble, je bouillonne et ne vois pas ce qui les amuse. Et, alors que je me remets en route, j’entends le vendeur du magasin de chaussures d’à côté (sorti pour voir ce qui se passait) déclarer à sa collègue “non, rien, juste une pute qui fait du scandale”.

    Une bourgeoise se serait fait coincer comme moi par un lascar ou un mec racisé, les gens se seraient empressés de lui demander si ça va ?, elle n’a rien ?, ne veut pas appeler la police ?. Mais je suis une meuf racisée en mini-short et collants troués qui décline les avances d’un monsieur qui doit porter trois mois de mon loyer sur le dos, et je ne suis rien d’autre qu’une pute qui fait du scandale. Parce que décliner les avances d’un homme de classe supérieure, c’est faire du scandale, faire l’intéressante, c’est moins légitime que de repousser celles d’un kéké, parce que pour un homme, argent est gageure de pouvoir de séduction, parce que l’époque où on renversait les gueuses dans un coin de ruelle sans en payer la moindre conséquence n’est pas si lointaine…

    Ils sont bien Blancs aussi, les mecs qui me suivent en voiture (avec parfois le siège bébé à l’arrière) jusque chez moi, même après que je leur ai dit et répété que non, je ne suis pas en train de travailler, juste en train de rentrer chez moi, laissez-moi maintenant.

    Ils sont toujours Blancs ceux qui croient que l’argent leur donne le droit de.

    Ils sont souvent Blancs ceux qui m’exotisent et projettent sur moi leurs fantasmes de néo-colons en accompagnant leur drague de tous leurs clichés sur les Noires. “Gazelle”. “Tigresse*”. “Lionne”. “Sauvageonne”. “Sauvage”. “Beyoncé”. “Rihanna” “ N’importe quelle Noire sexy et à la mode

    Ils sont bien blancs aussi les mecs de l’école de commerce du quartier qui viennent s’abreuver de bière virile au bout de ma rue. Ils étaient tous bien blancs et de polos vêtus le soir où, après que j’ai décliné leurs invitations à rejoindre leur table, ils ont commencé à m’appeler “Nafissatou” et à gueuler, de façon à ce que tout le monde l’entende, comment ils me prendraient quand j’aurais bu suffisamment ou laissé mon verre sans surveillance. Ils étaient une grande tablées de mecs Blancs de bonne famille à trouver hilarant de me menacer explicitement (mais pour déconner) de viol pour me punir de les avoir éconduits.

    C’est au cours d’une soirée d’école d’ingénieurs qu’après que j’ai poliment repoussé la drague polie d’un mec très poli, je me suis fait traiter de sale négresse et fait expliquer qu’il fallait pas que je me fasse de films, je n’étais qu’un choix de repli, les “filles comme moi” ne font partie que de celles qu’on veut baiser quand on s’est pris un stop par les meufs qu’on veut épouser.

    Dans le travail aussi. C’était un bon bourgeois qui, alors que j’étais encore stagiaire, m’appelait sur mon lieu de travail, saluait mes boss avant de leur dire “c’est à votre petite stagiaire que j’ai envie de parler”. C’était un grand bourgeois qui, un soir de vernissage a essayé d’obtenir de moi des gâteries dans la cuisine de la galerie, me promettant qu’il ferait de moi “quelqu’un”, comme si je n’étais personne. C’était un Blanc qui en réunion, devant mes collègues et mes supérieurs, s’amusait à commenter mon tour de taille et à se plaindre du fait que je refusais ses invitations à dîner. C’est un groupe de Blancs qui, après la réalisation d’un projet commun, a trouvé drôle de proposer de me “faire tourner” pour fêter notre succès. Ce sont toujours des Blancs qui m’ont menacée de “me griller dans le milieu” si ne me mettais pas à quatre pattes. Ce sont toujours des Blancs qui m’ont prise en otage et ont joué de leur position de pouvoir pour que je me sente coincée, humiliée, affichée, obligée. Ce sont toujours des Blancs qui m’ont fait sentir que, quoi que je fasse, quoi que j’accomplisse, à un moment ou un autre, on me remettra toujours à ma place de chatte sur jambes.

    Alors oui, je sais, il y a les “ouaich la miss” et les “madmouazel, t’es très très charmante”. Mais il n’y a pas de mystères les gens : si les banlieusards et les scarlas sont un peu en avance sur le harcèlement de rue, c’est que la harcèlement de bureau et le harcèlement de bar sont déjà pris. C’est qu’en fait, les banlieusards et les scarlas, on n’a pas trop envie de les voir ailleurs que dans la rue. Les banlieusards, les lascars et les ouaichs investissent l’espace qu’on leur laisse. Je ne dis pas que leur sexisme est moins grave ou moins violent. Je dis qu’il serait temps d’arrêter de ne parler que de celui-ci. Pendant qu’on s’acharne sur celui-ci, celui-là s’assied, déplie ses jambes et s’installe.

    Et de remettre les choses à leur place :

    Non, ce qui est révoltant, ce n’est pas de se faire draguer par un homme de classe inférieure. Non, ce qui est vexant, ce n’est pas qu’il me prenne pour une fille de son quartier.

    Non, le problème n’est pas que son vocabulaire ou sa répartie soit limitées et que sa drague manque de prose ou de mots à trois syllabes.

    Ce qui est révoltant c’est d’être sexualisée, tout le temps, tous les jours, dans tous les contextes.

    Ce qui est vexant, c’est la banalisation de l’insulte sexiste dans l’espace public.

    Le problème c’est que me sens moins légitime à aller et venir dans cet espace. Le problème c’est que malgré mon droit inaliénable de me promener, j’ai envie de m’excuser d’être présente, je me sens comme une intruse sur le pavé, comme une invitée suspecte dont on épierait les faits et gestes. Et le cul.

    Qu’on se le dise une fois pour toute : Le harcèlement de rue n’a pas d’origine géographique, de religion ou de culture (à part celle du viol). Le harcèlement de rue est la conséquence du patriarcat. Et le patriarcat n’est pas défendu par les seuls banlieusards, mais par tous ceux qui croient et affirment qu’il est le fait des autres. Le patriarcat porte autant le costard-cravate Hugo Boss que le survêt Lacoste ou le jean Célio. Mais il semblerait qu’il soit plus aisé de se plaindre de l’autre que de l’un…

    Chères personnes anti-sexistes : subir une oppression ne devrait jamais être un prétexte pour en exercer une autre. Se révolter, c’est (très très) bien. Le faire avec intelligence et sans ethnocentrisme, c’est mieux.

    Bisous

    * Moi je le sais qu’il n’y a pas de tigreSSE en Afrique. Ce sont les relous qui sont pas au courant

    #sexisme #racisme #harcelement #domination_masculine #féminisme_blanc #intersectionnalité #classisme

  • Merci de déranger ?

    Article Local Valide publié le lundi 4 avril 2016 à 21:28 | Place à défendre (PAD) ! |

    Mis a jour : le lundi 4 avril 2016 à 22:06

    Mot-clefs : Logement/squat Médias Répression Resistances contrôle social luttes étudiantes/lycéennes salariales
    Lieux : Rennes

    « Investir une ancienne caserne de gendarmerie ce jeudi 31 mars pour que la jeunesse puisse s’exprimer sur les libertés, quoi de plus logique ? » (OF, 31/03/2016)

    Ils sont là, tous les quatre, vêtus comme un jour de deuil national, sur cette émouvante photo publiée dans l’édition du 1er avril du quotidien Ouest-France : la maire de Rennes, Nathalie Appéré, qui essaie de retenir ses larmes en tripotant le petit porte-clés Vinci qu’elle garde toujours au fond de sa poche ; le bétonneur en chef Sébastien Sémeril, affichant un sourire affligé d’enterrement qui sent bon les cours de communication politique ; Didier Le Bougeant, un peu absent peut-être, a sorti son vieux keffieh poussiéreux, celui qu’il portait à la belle époque (tu te souviens Didier, comme on y allait en ce temps-là !), pour se persuader qu’il n’a pas complètement retourné sa veste ; et le petit hobbit à lunettes Hubert Chardonnet, recalé au dernier rang, et obligé de sauter sur place pour voir ce qui se passe (1).

    Ils sont là, ils prennent cette mine pincée et déconfite des moments graves et solennels. Point aveugle de la scène, vers lequel pourtant presque tous les regards convergent : cette béance creusée dans la rue Jean Jaurès par les manifestants, la veille, quand ils y ont pris quelques dizaines de pavés, et qu’ils ont oublié de les remettre - béance que les agents municipaux présents ont dû venir recouvrir rapidement de ciment, pour cacher cette horrible plaie ouverte dans la capitale de région. Au loin, caché par un panneau de chantier, le Parlement de Bretagne, auquel les forces de l’ordre ont énergiquement bloqué l’accès pendant toute la journée du 31 mars. Et Nathalie Appéré, après avoir contenu un moment son émotion devant ce petit morceau de sa ville mis à sac, qui se lâche enfin : « C’est révoltant ! » (OF 01/04/16)

    On s’étonnera quand même que la maire de Rennes ait choisi ce terme (« révoltant »), scandé un peu plus tôt dans tous les coins de la ville par les mêmes manifestants (mais à propos cette fois de l’infâme projet de loi El Khomri). Mais Nathalie Appéré-Pommier nous a habitué, depuis le début de son mandat, à être toujours à la remorque de l’Histoire, et à incarner seulement l’avant-garde zélée du monde d’avant (celui où un gouvernement socialiste n’hésitait pas à s’agenouiller servilement devant le MEDEF, et à lui lécher goulûment les bottes) (2).

    C’est pourquoi nos quatre corbeaux municipaux, serrés dans leurs habits noirs, pleurent sur la réputation salie de leur petite ville modèle pour cadres dynamiques upper class et vieilles bourgeoises réactionnaires (et tous les investisseurs parigos, qui devraient débouler bientôt en TGV), délestée de trente ou quarante de ses plus beaux pavés (3). Ils pleurent devant cette horde de malotrus, de saligauds, de méchants, de pas beaux, qui n’a montré aucun respect pour le petit central business district qu’ils s’évertuent à construire pilotis après pilotis autour de la place Sainte-Anne, pour appâter tous ceux qui ne trouvent rien à redire au même projet de loi El Khomri (ou qui le trouvent trop timide encore à leur goût). Déranger un peu, pourquoi pas ; mais ces fichus « protestataires » auraient au moins pu attendre d’être dans une caserne de gendarmerie abandonnée, le soir, entre une « disco soupe », un « concert d’artistes engagés » et un « débat géant » (4).

    Hormis qu’on ne rappellera jamais assez ici, contre les médias en général et Ouest-France en particulier, mais aussi contre la propagande préfectorale et municipale, que si des affrontements ont eu lieu rue Jean Jaurès (rue Jean Jaurès où, au passage, de nombreux manifestants ont été encore une fois les victimes de la répression policière, et où un syndicaliste de 60 ans a été lourdement violenté par les forces dites de l’ordre, comme le montre très clairement une vidéo diffusée par le quotidien 20 Minutes), c’est en réponse à une violence première, une violence intolérable, infiniment plus « révoltante » que ces trois morceaux de caillasse arrachés à la chaussée : à savoir la décision concertée du préfet de région et de la maire de Rennes de bloquer l’accès à l’hypercentre aux manifestants - quitte à employer la manière forte (et on sait qu’elle ne le fût pas à moitié).

    Motif invoqué ? Quinze polos et huit casquettes Lacoste dérobés dans une boutique à l’occasion de la manifestation du 24 mars ? La façade de la mairie barbouillée de peinture colorée ? D’autres incivilités encore (trois tags et deux affiches collées sur les murs de la ville), signalées d’un tweet à M. Chardonnet via sa légendaire application RenCitéZen (plus haut Hubert, plus haut, on ne voit pas ta barbe) ? Évidemment, il s’agit là de simples prétextes, mis au service d’un projet politique de plus grande envergure. Et ce n’est donc pas un hasard si, après la cumularde Nathalie Appéré, Ouest-France donne longuement la parole à l’omniprésent Dominique Fredj, aujourd’hui président de l’association des commerçants Rennais : « Nous sommes démoralisés, désabusés. [...] Le combat de rue s’est installé et tous les commerces du centre-ville ont été pris en otage. C’est une perte sèche de chiffres d’affaires, qui va une nouvelle fois s’élever en milliers d’euros (5). »

    Car voilà ce qu’il faut sauvegarder à tout prix à Rennes, voilà ce qui doit mobiliser toutes les forces politiques rassemblées (quitte à étouffer la voix du peuple, et à donner un mégaphone au leader de l’opposition) : les bénéfices des membres du Carré rennais (6) ! Comme si quelques milliers d’euros de plus ou de moins dans les caisses des boutiquiers du centre-ville pouvaient avoir un quelconque poids sur la balance de l’Histoire - et obliger le peuple à rester chez lui, et à ravaler sa colère (7) !

    Mais que le chiffre d’affaire des commerçants de l’hypercentre de Rennes, et plus encore ceux des boutiques bling-bling à la mode Lacoste, baisse un jour de manifestation, voilà au contraire tout ce qu’il faut pour nous réjouir ! Comme si l’espace public ne devait être que le lieu des intérêts commerciaux et économiques ; comme s’il n’était pas toujours aussi, et d’abord (antériorité historique et ontologique), le lieu de la politique ! Et on comprend bien, à l’inverse, en voyant leur mine en berne, quelles sont les basses préoccupations de nos quatre paltoquets municipaux, avec leur logo du Carré rennais tatoué sur le cul : privatiser toujours davantage ce même espace public, pour en faire un lieu privilégié d’accumulation du capital (vocation affichée de la Société publique locale Destination Rennes) - ce qui doit évidemment passer, on le voit exemplairement ici, par sa complète dépolitisation (8).

    Pas besoin d’« imaginer Rennes ensemble en 2030 », comme les mêmes le proposent encore aux Rennais pour les infantiliser davantage , ou de prendre part à cette infâme comédie qu’est la « Fabrique citoyenne » - ou alors autant aller faire la nouba avec les gendarmes-fantômes de la caserne Guillaudot. Car tout est déjà plié d’avance ici, et pour les quarante prochaines années : des boutiques cossues, des touristes d’affaires, des Parisiens friqués, des aménagements bling-bling, des hôtels de luxe, des promoteurs business class, et des cordons de CRS pour protéger les affaires de cette petite clique de nantis rassemblée sous la grande bannière du « vivre en intelligence » (9). Voilà la ville de demain (mais aussi d’aujourd’hui pour une bonne partie) imaginée par ces quatre fossoyeurs des libertés publiques. Les jeunes révoltés et les manifestants ? Ils pourront bien aller tourner en rond tout l’après-midi autour de la place Charles de Gaulle ou faire des ricochets avec leurs pavés dans les étangs des Gayeulles.

    À moins... À moins que les choses se passent autrement. Car derrière le visage gentiment consterné et contrit de Nathalie Appéré, de Sébastien Sémeril, de Didier Le Bougeant et d’Hubert Chardonnet (saute encore Hubert, saute !), rassemblés en photo de famille sur le pavé de la rue Jean Jaurès, est-ce qu’on ne lit pas aussi la crainte - celle qu’éprouve tout « responsable » quand il réalise que ce ne sont pas des enfants, qu’il a devant lui (des enfants qu’on prie toujours d’aller « déranger » ailleurs), mais des adultes, qui commencent à en avoir marre qu’on leur dise toujours quoi faire et où aller ?

    Le 31 mars, à Rennes, en plus de manifester contre la loi El Khomri, les lycéens, les étudiants, les chômeurs, les salariés et tous les autres, manifestaient aussi pour le droit à exprimer leur colère là où ils veulent, y compris dans l’hypercentre - qui ne saurait être confisqué par une poignée de marchands cupides et de cumulards aux dents longues (10).

    Qu’on se le tienne pour dit : chaque fois que le préfet et la maire de Rennes, main dans la main avec les marchands du Carré rennais, leur en interdira l’accès, cette interdiction constituera par elle-même une provocation et une violence insupportables et inacceptables, face auxquelles toute action collective visant à en annuler les effets, aura pour elle une légitimité invincible et totale.

    L’espace public n’est pas un centre commercial !

    La rue est à nous !

    Le 4 avril, et à chaque nouvelle journée d’action, manifestons dans l’hypercentre de Rennes !

    Place à défendre (PAD !)
    pad35@riseup.net
    http://place-a-defendre.blogspot.fr

    (1) Sylvain Le Moal était là aussi, mais apparemment tout le monde s’en fout !

    (2) Il n’est évidemment pas anodin que la scène que nous décrivons ici se déroule rue Jean Jaurès.

    (3) On voit bien d’ailleurs (et c’est ce qui fait tout le croustillant de la scène), que les deux agents municipaux, dans leurs combinaisons colorées, n’ont rien à voir avec ces quatre notables en goguette. Celui de gauche a en effet du mal à se retenir de rire, devant l’incongruité de la scène, et on sent l’autre infiniment gêné de se retrouver immortalisé aux côtés de ces rabats-joie dits « socialistes ».

    (4) Au soir du 31 mars, le CRIJ Bretagne organisait une soirée « Merci de déranger ! » à la caserne de gendarmerie Guillaudot, « autour du thème des Libertés ». Suite aux « débordements en cours ce jeudi soir », la Ville de Rennes et la préfecture décidèrent de l’annuler. Cf. « Rennes. La soirée dans l’ancienne gendarmerie est annulée », site : ouest-france.fr, 31/03/2016.

    (5) Et de continuer : « Comment peut-on maintenant vivre dans une ville avec des manifestations d’une telle violence ? [...] Par ailleurs, je tiens à féliciter les forces de l’ordre qui ont protégé l’hypercentre. Les policiers ont été remarquables. » (CRIJ Bretagne et Carré rennais : même combat ?)

    (6) Bertrand Plouvier a en effet demandé au préfet, après la manifestation du 31 mars, « l’interdiction de toute nouvelle manifestation jusqu’à nouvel ordre » et tiendra Nathalie Appéré personnellement responsable, en cas de nouvel épisode de violence, de « non-assistance à ville en danger » [sic]. Cf. Ouest-France, 01/04/2016.

    (7) Non disons bien ici sa « colère ». Que les journaux qui continuent de parler de « grogne », chaque fois que le peuple prend la rue, et donc la parole, ne s’étonnent pas si les mêmes pavés finissent un jour dans leurs fenêtres.

    (8) Même processus de « dépolitisation » à l’université de Rennes 2, où jamais la direction n’a autant œuvré à rendre une grève et une occupation impossibles.

    (9) Nantis qui n’en ont évidemment rien à carrer des mauvaises conditions de travail des salariés, voire même, le plus souvent, qui en profitent abondamment.

    (10) Et nous ne soutiendrons jamais assez ceux qui, au sein même de la municipalité, ont le courage de défendre ce droit sacré.

    https://nantes.indymedia.org/articles/34020

  • "Soyons réaliste, demandons l’impossible."

    Titrant à partir d’un slogan de l’époque, Mai 68 : soyons réalistes, demandons l’impossible se propose de rendre compte de la façon dont cinq témoins – connus ou moins - de mai 1968 ont vécu la période, et ce qu’ils estiment en avoir retiré, d’un point de vue sociétal ou plus personnel. Philippe Godard signe toutes les notes de bas de page, la chronologie (de 1958 à la fin des années 1970), la bibliographie et aussi l’introduction de cet ouvrage. Dès les premières pages, le ton est donné : Philippe Godard est contre le néolibéralisme actuel et déplore le manque d’imagination de notre société. Mai 1968 aura été une révolution qui dépasse les clivages politiques, une prise de conscience d’une volonté générale de liberté et d’émancipation. Assez virulent, l’auteur précise toutefois qu’une interprétation n’est pas la vérité unique, puis laisse la place aux interviews, entièrement libres (pas de jeu de questions-réponses).

    la suite : http://www.ricochet-jeunes.org/livres/livre/153-mai-68-soyons-realistes-demandons-l-impossible-1863.html

    Traité de savoir-vivre à l’usage des jeunes générations

    en lecture intégrale ici-même :
    http://arikel.free.fr/aides/vaneigem/traite-1.html

    L’insignifiant signifié

    En se banalisant, la vie quotidienne a conquis peu à peu le centre de nos préoccupations (1). - Aucune illusion, ni sacrée ni désacralisée (2), - ni collective ni individuelle, ne peut dissimuler plus longtemps la pauvreté des gestes quotidiens (3). - L’enrichissement de la vie exige, sans faux-fuyants, l’analyse de la nouvelle pauvreté et le perfectionnement des armes anciennes du refus (4)

    1

    L’histoire présente évoque certains personnages de dessins animés, qu’une course folle entraîne soudain au-dessus du vide sans qu’ils s’en aperçoivent, de sorte que c’est la force de leur imagination qui les fait flotter à une telle hauteur ; mais viennent-ils à en prendre conscience, ils tombent aussitôt.
    Comme les héros de Bosustov, la pensée actuelle a cessé de flotter par la force de son prore mirage. Ce qui l’avait élevée l’abaisse aujourd’hui. A toute allure elle se jette au-devant de la réalité qui va la briser, la réalité quotidiennement vécue.

    La lucidité qui s’annonce est-elle d’essence nouvelle ? Je ne le crois pas. L’exigence d’une lumière plus vive émane toujours de la vie quotidienne, de la nécessité, ressentie par chacun, d’harmoniser son rythme de promeneur et la marche du monde. Il y a plus de vérités dans vingt-quatre heures de la vie d’un homme que dans toutes les philosophies. Même un philosophe ne réussit pas à l’ignorer, avec quelque mépris qu’il se traite ; et ce mépris, la consolation de la philosophie le lui enseigne. A force de pirouetter sur lui-même en se grimpant sur les épaules pour lancer de plus haut son message au monde, ce monde , le philosophe finit par le percevoir à l’envers ; et tous les êtres et toutes les choses vont de travers, la tête en bas, pour le persuader qu’il se tient debout, dans la bonne position. Mais il reste au centre de son délire ; ne pas en convenir lui rend simplement le délire plus inconfortable.

    Les moralistes des XVI° et XVII° siècles règnent sur une resserre de banalités, mais tant est vif leur soin de le dissimuler qu’ils élèvent alentour un véritable palais de stuc et de spéculations. Un palais idéal abrite et emprisonne l’expérience vécue. De là une force de conviction et de sincérité que le ton sublime et la fiction de l’« homme universel » raniment, mais d’un perpétuel souffle d’angoisse. L’analyste, s’efforce d’échapper par une profondeur essentielle à la sclérose graduelle de l’existence ; et plus il s’abstrait de lui-même en s’exprimant selon l’imagination dominante de son siècle (le mirage féodal où s’unissent indissolublement Dieu, le pouvoir royal et le monde), plus sa lucidité photographie la face cachée de la vie, plus elle « invente » la quotidienneté.

    La philosophie des Lumières accélère la descente vers le concret à mesure que le concret est en quelque sorte porté au pouvoir avec la bourgeoisie révolutionnaire. Des ruines de Dieu, l’homme tombe dans les ruines de sa réalité. Que s’est-il passé ? A peu près ceci : dix mille personnes sont là, persuadées d’avoir vu s’élever la corde d’un fakir, tandis qu’autant d’appareils photographiques démontrent qu’elle n’a pas remué d’un pouce. L’objectivité scientifique dénonce la mystification. Parfait mais pour montrer quoi ? Une corde enroulée, sans le moindre intérêt. J’incline peu à choisir entre le plaisir douteux d’être mystifié et l’ennui de contempler une réalité qui ne me concerne pas. Une réalité sur laquelle je n’ai prise, n’est-ce pas le vieux mensonge remis à neuf, le stade ultime de la mystification ?

    Désormais, les analystes sont dans la rue. La lucidité n’est pas la seule arme. Leur pensée ne risque plus de s’emprisonner ni dans la fausse réalité des dieux, ni dans la fausse réalité des technocrates !

    2

    Les croyances religieuses dissimulaient l’homme à lui-même, leur bastille l’emmurait dans un monde pyramidal dont Dieu tenait lieu de sommet et le roi de hauteur. Hélas, il ne s’est pas trouvé le 14 Juillet, assez de liberté sur les ruines du pouvoir unitaire pour empêcher les ruines elles-mêmes de s’édifier en prison. Sous le voile lacéré des superstitions n’apparut pas la vérité nue, comme le rêvait Meslier, mais bien la glu des idéologies. Les prisonniers du pouvoir parcellaire n’ont d’autre recours, contre la tyrannie que l’ombre de la liberté.

    Pas un geste, pas une pensée qui ne s’empêtre aujourd’hui dans le filet des idées reçues. La retombée lente d’infimes fragments issus du vieux mythe explosé répand partout la poussière du sacré, une poussière qui silicose l’esprit et la volonté de vivre. Les contraintes sont devenues moins occultes, plus grossières, moins puissantes, plus nombreuses. La docilité n’émane plus d’une magie cléricale, elle résulte d’une foule de petites hypnoses : information, culture, urbanisme, publicité, suggestions conditionnantes au service de tout ordre établi et à venir. C’est, le corps entravé de toutes parts, Gulliver échoué sur le rivage de Lilliput, résolu à se libérer, promenant autour de lui son regard attentif ; le moindre détail, la moindre aspérité du sol, le moindre mouvement, il n’est rien qui ne revête l’importance d’un indice dont le salut va dépendre. Dans le familier naissent les chances de liberté les plus sûres. En fut-il jamais autrement ? L’art, l’éthique, la philosophie l’attestent : sous l’écorce des mots et des concepts, c’est toujours la réalité vivante de l’inadaptation au monde qui se tient tapie, prête à bondir. Parce que ni les dieux ni les mots ne parviennent aujourd’hui à la couvrir pudiquement, cette banalité-là se promène nue dans les gares et dans les terrains vagues ; elle vous accoste à chaque détour de vous-même, elle vous prend par l’épaule, par le regard ; et le dialogue commence. Il faut se perdre avec elle ou la sauver avec soi.

    3

    Trop de cadavres parsèment les chemins de l’individualisme et du collectivisme. Sous deux raisons apparemment contraires sévissait un même brigandage, une même oppression de l’homme esseulé. La main qui étouffe Lautréamont, on le sait, étrangle aussi Serge Essénine. L’un meurt dans le garni du propriétaire Jules-François Dupuis, l’autre se pend dans un hôtel nationalisé. Partout se vérifie la loi « il n’est pas une arme de ta volonté individuelle qui, maniée par d’autres, ne se retourne aussitôt contre toi ». Si quelqu’un dit ou écrit qu’il convient désormais de fonder la raison pratique sur les droits de l’individu et de l’individu seulement, il se condamne dans son propos s’il n’incite aussitôt son interlocuteur à fonder par lui-même la preuve de ce qu’il vient d’avancer. Or une telle preuve ne peut être que vécue, saisie par l’intérieur. C’est pourquoi il n’est rien dans les notes qui suivent qui ne doive être éprouvé et corrigé par l’expérience immédiate de chacun. Rien n’a tant de valeur qu’il ne doive être recommencé, rien n’a assez de richesses qu’il ne doive être enrichi sans relâche.

    De même que l’on distingue dans la vie privée ce qu’un homme pense et dit de lui, et ce qu’il est et fait réellement, de même il n’est personne qui n’ait appris à distinguer la phraséologie et les prétentions messianiques des partis, et leur organisation, leurs intérêts réels ; ce qu’ils croient être et ce qu’ils sont. L’illusion qu’un homme entretient sur lui et les autres n’est pas foncièrement différente de l’illusion que groupes, classes ou partis nourrissent autour d’eux et en eux. Bien plus, elles découlent d’une source unique : les idées dominantes, qui sont les idées de la classe dominante, même sous leur forme antagoniste.

    Le monde des ismes, qu’il enveloppe l’humanité tout entière ou chaque être particulier, n’est jamais qu’un monde vidé des sa réalité, une séduction terriblement réelle du mensonge. Le triple écrasement de la Commune, du Mouvement spartakiste et de Cronstadt-la-Rouge (1921) a montré une fois pour toutes les autres à quel bain de sang menaient trois idéologies de la liberté : le libéralisme, le socialisme, le bolchevisme. Il a cependant fallu, pour le comprendre et l’admettre universellement, que des formes abâtardies ou amalgamées de ces idéologies vulgarisent leur atrocité initiale par de pesantes démonstrations : les camps de concentration, l’Algérie de Lacoste, Budapest. Aux grandes illusions collectives, aujourd’hui exsangues à force d’avoir fait couler le sang des hommes, succèdent des milliers d’idéologies parcellaires vendues par la société de consommation comme autant de machines à décerveler portatives. Faudra-t-il autant de sang pour attester que cent mille coups d’épingle tuent aussi sûrement que trois coups de massue ?

    *

    Qu’irais-je faire dans un groupe d’action qui m’imposerait de laisser au vestiaire, je ne dis pas quelques idées - car telles seraient mes idées qu’elles m’induiraient plutôt à rejoindre le groupe en question -, mais les rêves et les désirs dont je ne me sépare jamais, mais une volonté de vivre authentiquement et sans limites ? Changer d’isolement, changer de monotonie, changer de mensonge, à quoi bon ! Où l’illusion d’un changement réel est dénoncée, le simple changement d’illusion devient insupportable. Or telles sont les conditions actuelles : l’économie n’a de cesse de faire consommer davantage, et consommer sans relâche, c’est changer l’illusion à un rythme accéléré qui dissout peu à peu l’illusion du changement. On se retrouve seul, inchangé, congelé dans le vide produit par une cascade de gadgets, de Volkswagen et de pocket books.

    Les gens sans imagination se lassent de l’importance conférée au confort, à la culture, aux loisirs, à ce qui détruit l’imagination. Cela signifie qu’on ne se lasse pas du confort, de la culture ou des loisirs, mais de l’usage qui en est fait et qui interdit précisément d’en jouir.

    L’état d’abondance est un état de voyeurisme. A chacun son kaléidoscope ; un léger mouvement des doigts et l’image se transforme. On gagne à tous les coups : deux refrigérateurs, une Dauphine, la T.V., une promotion, du temps à perdre... Puis la monotonie des images consommées prend le dessus, renvoie à la monotonie du geste qui les suscite, à la légère rotation que le pouce et l’index impriment au kaléidoscope. Il n’y avait pas de Dauphine, seulement une idéologie sans rapport ou presque avec la machine automobile. Imbibé de « Johny Walker, le wisky de l’Elite », on subissait dans une étrange mixture l’effet de l’alcool et de la lutte des classes. Plus rien de quoi s’étonnner, voilà le drame ! La monotonie du spectacle idéologique renvoie maintenant à la passivité de la vie, à la survie. Par-delà les scandales préfabriqués - gaine Scandale et scandale de Panama - se révèle un scandale positif, celui des gestes privés de leurs substance au profit d’une illusion que son attrait perdu rend chaque jour plus odieuse. Gestes futiles et ternes à force d’avoir nourri de brillantes compensations imaginaires, gestes paupérisés à force d’enrichir de hautes spéculations où ils entraient comme valets à tout faire sous la catégorie infamante de « trivial » et de « banal », gestes aujourd’hui libérés et défaillants, prêts à s’égarer de nouveau, ou à périr sous le poids de leur faiblesse. Les voici, en chacun de vous, familiers, tristes, tout nouvellement livrés à la réalité immédiate et mouvante, qui est leur milieu « spontané ». Et vous voici égarés et engagés dans un nouveau prosaïsme, dans une perspective où proche et lointain coïncident.

    4

    Sous une forme concrète et tactique, le concept de lutte des classes a constitué le premier regroupement des heurts et des dérèglements vécus individuellement par les hommes ; il est né du tourbillon de souffrances que la réduction des rapports humains à des mécanismes d’exploitation suscitait partout dans les sociétés industrielles. Il est issu d’une volonté de transformer le monde et de changer la vie

    Une telle arme exigeait un perpétuel réajustement. Or ne voit-on pas la Ière Internationale tourner le dos aux artistes, en fondant exclusivement sur les revendications ouvrières un projet dont Marx avait cependant montré combien il concernait tous ceux qui cherchaient, dans le refus d’être esclaves, une vie riche et une humanité totale ? Lacenaire, Borel, Lassailly, Büchner, Baudelaire, Höderlin, n’était-ce pas aussi la misère et son refus radical ? Quoi qu’il en soit, l’erreur, - à l’origine excusable ? je ne veux pas le savoir - revêt des proportions délirantes dès l’instant où, moins d’un siècle plus tard, l’économie de consommation absorbant l’économie de production, l’exploitation de la force de travail est englobée par l’exploitation de la créativité quotidienne. Une même énergie arrachée au travailleur pendant ses heures d’usine ou ses heures de loisirs fait tourner les turbines du pouvoir, que les détenteurs de la vieille théorie lubrifient béatement de leur contestation formelle.

    Ceux qui parlent de révolution et de lutte de classes sans se référer explicitement à la vie quotidienne, sans comprendre ce qu’il y a de subversif dans l’amour et de positif dans le refus des contraintes, ceux-là ont dans la bouche un cadavre.

  • Victoire contre l’anorexie - Elle
    http://www.elle.fr/Societe/Interviews/Victoire-contre-l-anorexie-3021251#

    À 18 ans, Victoire Maçon Dauxerre fait partie du top 20 des modèles de l’année 2011. Elle est bookée par Céline, Lacoste la veut pour sa campagne, le photographe Mario Testino l’attend en Italie. Mais elle arrête tout pour sauver sa peau. Pour rentrer dans la taille 32 des défilés, cette étudiante qui rêvait de faire Sciences-Po a perdu neuf kilos en huit semaines et sombré dans l’anorexie. Dans « Jamais assez maigre, journal d’un top model », elle raconte cette plongée dans la maladie, et l’envers du décor des Fashion Weeks. Un témoignage courageux.

    A la fin, on est rassuré : le magazine qui publie son interview n’est pour rien dans ce système.

    Une de mes plus belles rencontres, c’est Phoebe Philo, la créatrice de Céline, qui nous recevait comme des princesses. On avait un buffet avec du poisson et des légumes… Elle est très humaine. Tout comme Phillip Lim et Russell Marsh, un des plus grands directeurs de casting, qui travaille en France avec la formidable Bouba [surnom de Barbara Blanchard, directrice de casting à ELLE, ndlr]. S’il n’y avait que des gens comme eux, le monde de la mode serait merveilleux.

    Ouf.

    #mode #poids #anorexie #presse_féminine

  • Le remède, c’est la pauvreté
    http://dormirajamais.org/parise

    Cette fois je ne répondrai pas ad personam, je parlerai à tous, en particulier cependant à ces lecteurs qui m’ont âprement reproché deux de mes phrases : « Les pauvres ont toujours raison », écrite il y a quelques mois, et cette autre : « le remède c’est la pauvreté. Revenir en arrière ? Oui, revenir en arrière. » écrite dans mon dernier article. [Article paru sur le Corriere della Sera le 30 juin 1974, repris dans l’anthologie Dobbiamo disobbedire, Adelphi 2013.] Source : Corriere della Sera via Dormira jamais

    • La #consommation_ostentatoire de camelote plus ou moins luxueuse a lassé bien du monde en se banalisant, y compris des #riches dont certains se débarrassent au maximum d’objets dont l’accumulation est considérée comme vulgaire et dégradante, et qui choisissent avec soin des objets peu nombreux et durables. Sur cet axe, divers commerces prolifèrent niches par niches, cible par cible, on peut louer partout où on veut aller plutôt que de s’embarrasser d’une iou de plusieurs propriétés, aimer le « vintage », les chaines hifi et leurs vynils sont remplacées par des disques durs branchées sur des enceintes audiophiles haut de gamme qu’on ne confondra pas avec de grosses colonnes encombrantes, passer à la tablette pour mettre fin à une accumulation de livres, créer des marques pour friqués qui s’appellent « clochard ». Tout pour ne pas ressembler aux « nouveaux riches » comme aux #prolos voire aux #racailles (qui ont bouffé l’image de Lacoste, quelle tristesse), devenir imperceptibles aussi (pas de logo, pas de frime, etc), (pas tout à fait) comme disait l’autre, ce qui ne gâte rien en termes de sécurité (il y’a plein de pauvres, faut pas être lisible, ça peut craindre).
      Ces jeux d’allure rendent pour partie inopérationnelle une efficace sociologie spontanée dont chacun savait faire preuve sans même passer par une quelconque intellection, la saisie instantanée, un simple regard, enregistrant la posture, le type de chaussures, avant toute parole.

      On vend aussi beaucoup aux cadres sup sup, des échappées hors de la trépidante vie mondaine impliquée par leur travail (retraites en monastères, sports dit extrêmes).

      Et pendant ce temps, la #dépense et la dilapidation peuvent rester des instants de joie collective, y compris du fait de n’en avoir rationnellement pas les moyens.

      Ce discours sur la pauvreté rejoins celui de Pasolini contre l’#embourgeoisement des prolos. Aujourd’hui, il peut prendre effet chez une partie des hauts revenus à patrimoine (pour bien faire comprendre que le pouvoir est anonyme, soyons le), comme chez nombre assistés et autres smicards pour qui la fièvre acheteuse comme les besoins élémentaires sont inassumables.
      Aucune pauvreté n’est acceptable sans que puisse lui correspondre une pratique positive du #luxe.

      #Goffredo_Parise #littérature #obsolescence_de_l'accumulation ?

    • « Pratique positive du luxe », je veux dire par là qu’il est hors de question de laisser le luxe aux bourgeois, au capital. Le luxe n’implique pas l’accaparement et Marie Antoinette avait raison :) : pas seulement du pain, aussi de la brioche. Luxe pour tous, ou pour personne. On nous a bassiné avec la supériorité morale de la pauvreté pour mieux nous faire attendre le paradis.

      C’est très concret. Par ex. lors d’autoréductions négociées dans des supermarchés, les responsables de mags râlent toujours qu’il y’a ait autre chose que des pâtes et des couches culottes. Faut parfois planquer les bons fromages, le whisky ou les pinards pas pourris. Potlacher, c’est un luxe. On nous fait comprendre que « ça se mérite ». Moi pas comprendre.

      Sinon, bien d’accord pour dire qu’"on" est empêtré dans la conso. Sans doute aurais-je du mieux trier les exemples d’écarts qui se cherchent, du côté des bourgeois pour s’en dépêtrer.

    • Oui, son texte paradoxal nous dit qu’une certaine pauvreté peut être riche, sensible. Les moines le montraient eux aussi, pendant que l’église amassait des biens. Une des vulgates actuelles est que la richesse « intérieure », l’authenticité ne peut pas tolérer l’amassement (voir le sens péjoratif courant du mot « matérialiste »). Point de vue qui, j’essayais de le dire, peut orienter les gavés dans le trop plein (à la recherche d’un art de vivre) comme les pauvres, dans le trop plein de fausse richesse, ou dans le manque de richesse. Mais il y a manifestement là trop de morale et d’esthétique, trop de phénomènes variés et de différences sociales solides pour conclure quoi que ce soit, manque une ou des enquêtes sur les pratiques.

    • Pas besoin d’un yacht, voilà le genre de produit à 2000 boules qui se banalisent pour le chez soi : "L’équipement audio vidéo tout-en-un : serveur de stockage et lecteur multimedia HD. Disque dur de 2 à 4 To en RAID 5 - Rip CD, DVD, Blu-ray - Diffusion multiroom et partage en réseau - Compatible tuner TNT HD"ajouter un ampli bien cher et des enceintes itou, et on gagne en simplicité et dépouillement. En option une consultations Feng shui à domicile (vous savez là où les toubibs vont plus, et là où déboulent les contrôles Caf) sont pas à négliger

  • Derrière la « loi foulardière », la peur - par Alain Badiou
    http://felina.pagesperso-orange.fr/doc/laic/badiou.htm

    Au demeurant, n’est-ce pas la vraie religion massive, celle du commerce ? Auprès de laquelle les musulmans convaincus font figure de minorité ascétique ? N’est-ce pas le signe ostentatoire de cette religion dégradante que ce que nous pouvons lire sur les pantalons, les baskets, les tee-shirts : Nike, Chevignon, Lacoste,... N’est-il pas plus mesquin encore d’être à l’école la femme sandwich d’un trust que la fidèle d’un Dieu ? Pour frapper au cœur de la cible, voir grand, nous savons ce qu’il faut : une loi contre les marques. Au travail, Chirac. Interdisons sans faiblir les signes ostentatoires du Capital.

    11. Qu’on m’éclaire. La rationalité républicaine et féministe de ce qu’on montre du corps et de ce qu’on ne montre pas, en différents lieux et à différentes époques, c’est quoi ? Que je sache, encore de nos jours, et pas seulement dans les écoles, on ne montre pas le bout des seins ni les poils du pubis, ni la verge. Devrais-je me fâcher de ce que ces morceaux soient « dérobés aux regards » ? Soupçonner les maris, les amants, les grands frères ? Il y a peu dans nos campagnes, encore de nos jours en Sicile et ailleurs, les veuves portent fichus noirs, bas sombres, mantilles. Il n’y a pas besoin pour cela d’être la veuve d’un terroriste islamique.

    12. Curieuse, la rage réservée par tant de dames féministes aux quelques filles à foulard, au point de supplier le pauvre président Chirac, le soviétique aux 82 %, de sévir au nom de la Loi, alors que le corps féminin prostitué est partout, la pornographie la plus humiliante universellement vendue, les conseils d’exposition sexuelle des corps prodigués à longueur de page dans les magazines pour adolescentes.

    13. Une seule explication : une fille doit montrer ce qu’elle a à vendre. Elle doit exposer sa marchandise. Elle doit indiquer que désormais la circulation des femmes obéit au modèle généralisé, et non pas à l’échange restreint. Foin des pères et grands frères barbus ! Vive le marché planétaire ! Le modèle, c’est le top modèle. 14. On croyait avoir compris qu’un droit féminin intangible est de ne se déshabiller que devant celui (ou celle) qu’on a choisi (e) pour ce faire. Mais non. Il est impératif d’esquisser le déshabillage à tout instant. Qui garde à couvert ce qu’il met sur le marché n’est pas un marchand loyal.

    #laicité #islamophobie #loi_sur_le_voile @rezo @mad_meg @touti

    • L’argument important, c’est aussi l’emprise sociale sur les corps, lesquels doivent se montrer pour exposer leur « normalité ». Parce que sans parler forcément de burqa sociale, la grosse qui exhibe ses jambons ou la poilue son pelage de terre-neuve, est vite sommée de remballer toutes ces choses insupportables au regard, alors que, pour l’instant, le gras du bide ou le velu sont encore assez tolérés dans l’espace public.
      Je remarque que la dictature vestimentaire/corporelle pèse très fortement sur les femmes.

      Ensuite, effectivement, tout cela participe très bien à la #marchandisation du corps féminin.

    • c’est vrai que le point 13 rejoint ce qui est évoqué ici, à savoir l’obligation plus forte chez la femme que chez l’homme, de se « mettre en valeur », pour être gratifiée socialement (et professionnellement..)
      http://seenthis.net/messages/157286
      Ce qui, de fait, confine la femme dans l’image, l’encourage à se spécialiser dans un rôle d’utilité « visuelle » à ne jamais négliger ses atouts visuels, ou y consacrer une énergie non négligeable, tandis que le mâle lui est tranquille pour occuper le terrain organisationnel, décisionnel...
      Je pense que ce phénomène tend à se réduire, une femme n’est plus obligée de se mettre en tailleur pour aller bosser, et elle peut y aller sans se maquiller, cela ne doit plus trop lui nuire. Par contre ce faisant elle s’expose fortement : son apparence « brute de fonderie » sera une circonstance aggravante, au moindre reproche, une allusion perfide sur son apparence physique sera rajoutée...

    • Tout à fait d’accord avec toi @monolecte
      Les femmes sont des territoires, annexables, violable, apprenants aux uns et aux autres mais ne s’appartenant pas à elles mêmes (sinon la patriarquie est en péril comme dirait Zemmour et Soral). Dans le meilleur des cas il faut protéger le territoire, ca donne la version prince charmant.
      En patriarquie les femmes sont des médailles, des titres de noblesses qui prouvent la virilité de leurs propriétaires masculins vis à vis des autres hommes. Un homme viril doit avoir plusieurs « conquêtes », il doit « prendre » des femmes, en « pénétrer » le plus possible, les « niquer » (je me demande toujours si cette expression est en rapport avec Athéna Niké, victorieuse. Niqué voulant dire ici vaincre en fait).
      Il y a même des gros crétins misogynes qui déclarent fièrement « se les faire toutes », j’en ai vu un de mes yeux il y a peu.

      L’avis des femmes dans tout ceci importe peu, l’autre wiki1000 et ses conseils d’élégance en est une nouvelle illustration. Depuis quant on consulte les territoires avant de se les appropriés ?

      C’est comme si il n’y avait pas de tête sous les voile pas plus qu’au sommet des décolletés.

    • La peur ?

      Quel joli greenwashing de ce qu’on devrait plus simplement nommer de la xénophobie. Et tant qu’à faire aller chercher des arguments dans le catalogue des causes en vogue de l’instant, dans l’espoir d’une invitation sur France Culture, l’ami du pacte social ?

      Enième splendide illustration du rôle des intellectuels dans la cohésion sociale : surtout éviter de nommer un chat un chat, et laisser chacun ronronner lové dans ses préjugés.

    • @bp314 : qu’est-ce qu’une phobie, sinon une réaction de rejet essentiellement déclenchée par la peur ?

      Je ne suis pas d’accord avec toi. Le travail de l’intellectuel est d’essayer de comprendre. Dépasser le jugement et la condamnation, le réflexe de chacun d’entre nous, quand nous n’adoptons pas une démarche d’analyse.
      Comprendre n’est pas disculper. C’est aller au delà du procès. Car les procès n’ont jamais trop réussi à élever la conscience humaine...

    • @bp314 Le rôle de l’intellectuel est sans aucun doute de nommer. Mais la nomination a plusieurs fonctions. En l’occurrence, elle sert à donner une cause. Parler de peur ne vise pas à occulter la xénophobie mais à affirmer qu’elle repose sur un affect passif, négatif.

  • « Nation Estate », la #Palestine science-fictionnelle de Larissa Sansour
    http://www.lemonde.fr/culture/portfolio/2012/09/13/nation-estate-la-palestine-futuriste-de-larissa-sansour_1760002_3246.html#xt

    Le projet Nation Estate de Larissa Sansour, présenté pour la première fois à la galerie Anne de Villepoix à Paris (jusqu’au 20 octobre), regroupe un court-métrage de 9 minutes et une série de sept photomontages (et une affiche) autour de l’idée d’un Etat palestinien fictif installé en hauteur dans une tour géante sur le modèle des gratte-ciel américains.❞

    Le projet Nation Estate avait été à l’origine proposé dans le cadre du Lacoste Elysée Prize, organisé en décembre 2011 par le musée de l’Elysée de Lausanne. Les pressions exercées par Lacoste pour faire retirer de la compétition le travail de Larissa Sansour, jugé trop « pro-palestinien », avaient suscité la polémique.

    #art #politique #censure

    http://seenthis.net/messages/47315