Paul Willis, L’école des ouvriers. Comment les enfants d’ouvriers obtiennent des boulots d’ouvriers
▻https://journals.openedition.org/travailemploi/5512
Pour entrer dans le travail de Paul Willis, on peut rappeler la question posée par l’auteur dès l’abord de l’ouvrage : « La difficulté, lorsque l’on tente d’expliquer pourquoi les enfants de bourgeois obtiennent des boulots de bourgeois, est de savoir pourquoi les autres les laissent faire. La difficulté, lorsque l’on tente d’expliquer pourquoi les enfants de la classe ouvrière obtiennent des boulots d’ouvriers, est de savoir pourquoi ils se laissent faire » (p. 3). Afin de résoudre cette énigme, Paul Willis a réalisé une enquête de terrain de plusieurs mois sur un groupe d’adolescents fils d’ouvriers d’une ville industrielle des Midlands (rebaptisée Hammertown). Il a ainsi pu observer quotidiennement leurs comportements en salle de classe, les interroger régulièrement sur la base de ces observations, et les suivre jusqu’à leur sortie de l’institution scolaire, qui coïncide de près avec leur entrée dans l’univers de l’usine. Il s’agissait pour lui, comme l’écrivent Laurens et Mischi, de saisir la reproduction sociale « par en bas », en donnant une grande place à la production de significations par les jeunes eux-mêmes et sans postuler que cette production constituerait un simple « réflexe de vaincu », autrement dit une forme de rationalisation subjective et a posteriori de leur élimination scolaire.
On pourrait résumer la thèse défendue par Paul Willis comme suit : dans une société structurée par des rapports de classe, et au sein de laquelle le système d’enseignement joue un rôle crucial dans la reproduction de ces rapports et la distribution des places, la scolarisation de masse ne peut pas ne pas engendrer des comportements oppositionnels parmi ceux qui ont objectivement le moins à attendre et à espérer de l’institution scolaire, autrement dit les élèves issus des classes populaires. Or, cette opposition a toutes les chances, non pas d’enrayer le processus de reproduction sociale (comme l’imagine un populisme prompt à mythifier toute action autonome émanant des classes dominées), mais de contribuer à sa réalisation. C’est ce que l’on a proposé d’appeler le « paradoxe de Willis »2 : à travers la résistance active et créative, opposée à une scolarisation jugée vaine, ennuyeuse et répressive, les jeunes des classes populaires tendent à précipiter leur relégation objectivement probable vers des positions socioprofessionnelles souvent similaires à celles de leurs parents (ouvriers et employés). Or, s’ils n’accordent guère de crédit à l’idéologie méritocratique, c’est-à-dire aux promesses de mobilité sociale mises en avant par l’institution scolaire, s’ils considèrent que l’école, quoi qu’ils fassent, est vouée à ne pas être payante pour eux, c’est que leur expérience du monde social leur fait apparaître comme objectivement improbable la réalisation de ces promesses.